5.2.09

L’imam Chalghoumi veut sortir les musulmans de France de la logique de guerre



EXCLUSIF.
Menacé de mort, Hassan Chalghoumi, imam de Drancy, annonce la création de l’Association des imams de France. Il appelle au rapprochement de la mosquée avec la synagogue et l’église. Il reproche à l’UOIF et au CFCM de n’avoir pas fait un travail de pacification des esprits pendant la guerre à Gaza.


Vous créez l’Association des imams de France. Dans quel but ? Nous créons quelque chose qui n’existe pas en France, mais qui existe aux Etats-Unis et en Angleterre. Il y a, certes, le Conseil français du culte musulman (CFCM), mais cette instance s’occupe du culte. Ce que nous souhaitons, avec cette association, c’est nous inscrire pleinement dans la République. Nous voulons montrer l’exemple en rapprochant la mosquée de la synagogue et de l’église.

Combien d’imams votre association réunit-elle ?

Pour le moment, nous sommes trente, essentiellement de Paris et de sa banlieue, mais aussi de province. Nous allons lancer un appel aux imams pour qu’ils rejoignent notre association.

Que voulez-vous faire, plus précisément ?

Nous voulons faire connaître l’islam et œuvrer au rapprochement interreligieux. Le travail de l’imam ne consiste pas seulement à administrer un lieu de prière. L’imam peut aussi jouer un rôle dans la vie de la commune, dans ses fêtes comme dans ses moments douloureux. L’imam doit calmer les esprits lorsque ceux-ci s’échauffent.

Ils se sont échauffés à l’occasion de l’agression militaire israélienne à Gaza.

Oui. Il n’est pas normal de payer en France les factures des drames qui se déroulent ailleurs.

Que disent vos statuts ?

Ils sont en cours d’élaboration. Ils disent le respect des imams envers la République. La République est fondée sur la fraternité et l’égalité. La foi aussi. Nous sommes tous frères et égaux devant Dieu. Nos statuts disent aussi que ce qui se passe ailleurs qu’en France ne doit pas y être importé. Chacun est libre d’apporter son soutien à une cause, comme la cause du peuple palestinien, mais il doit le faire d’une façon pacifique, tolérante. Il n’est pas acceptable de chauffer les gens contre d’autres gens.

Est-ce que vos statuts parlent nommément des juifs et des chrétiens ?

Bien sûr. Les juifs et les chrétiens sont des gens du Livre. Nos statuts disent qu’il faut renforcer les liens avec eux et partager leurs fêtes. Il faut que les hommes de foi prennent leur place dans le débat pour calmer les agités.

Quels reproches faites-vous au CFCM et à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), à d’autres associations encore, souvent liées à un pays étranger, le Maroc ou l’Algérie ?

Première chose : l’association que nous constituons est une manière de rassembler en un collectif ce qui se fait déjà sur le terrain, mais individuellement. Deuxième chose : chacun sait bien, dans son rapport à la République, où il a raison et où il est en tort. A Drancy, nous nous efforçons de montrer l’exemple en allant à la rencontre des juifs et des chrétiens. Je suis pour que nous échangions avec l’UOIF et le CFCM, mais je ne suis pas d’accord avec certains de leurs points de vue.

Par exemple ?

Nous soutenons tous la Palestine. Tout être humain se doit de venir en aide aux victimes. C’est évidemment valable pour les victimes palestiniennes, mais aussi pour les victimes de tout pays, Israël inclus. On peut reprocher au CFCM et à l’UOIF de n’avoir pas utilisé les médias pour calmer la foule des musulmans français au moment de la guerre à Gaza. Il y a huit millions de fidèles musulmans potentiels en France. Ils ne demandent qu’une chose, qu’on n’importe pas le conflit israélo-palestinien dans la République. Pendant le conflit à Gaza, la République avait besoin du CFCM et de l’UOIF. Il y avait de l’insécurité parmi la communauté juive. Il y a 700 000 juifs en France qui se sentent menacés. Il n’est pas normal que, lorsque ça chauffe à ce point et qu’on se trouve dans le bureau d’un ministre, on demande à ce que ne soit pas médiatisé un appel au calme.

A quoi faites-vous allusion ?

Pendant le conflit à Gaza, il y a eu une réunion entre plusieurs ministres et des autorités religieuses musulmanes pour appeler au calme. J’y étais. Certaines parties, parmi les musulmans, n’ont pas voulu que cette réunion de travail soit médiatisée. Elles disaient être d’accord avec le fond de notre discussion mais elles ne voulaient pas que cela se sache. Mais pourquoi ne pas vouloir médiatiser un appel contre l’agression de synagogues ? En quoi ces agressions aident-elles le peuple palestinien ? J’aimerais bien comprendre. Si des musulmans sont agressés en Inde, va-t-on s’en prendre en France à des bouddhistes ou des hindouistes ? Toujours pendant le conflit, le directeur de l’Institut de théologie de la Mosquée de Paris, Djelloul Seddiki, a décidé de démissionner de l’Amitié judéo-musulmane de France présidée pas le rabbin Michel Serfaty, dont je reste le seul représentant musulman. Ce départ était regrettable à un moment où le dialogue était des plus nécessaires. L’amitié, c’est encore plus important quand les choses ne vont pas bien.

Etes-vous bien sûr, vu ce contexte, que l’Association des imams de France voie le jour ?

Oui, j’en suis certain. L’idée est acquise, nous en sommes au stade administratif, à la rédaction des statuts. Hier soir (mercredi), nous, les trente imams, avons accueilli deux imams palestiniens, dont un se nomme Tayseer Rajab Al Tamimi. Celui-ci officie également comme juge des affaires religieuses et il vient, c’est une première, de nommer deux femmes juges en Palestine. Ceux deux imams nous ont dit qu’il y avait des manières pacifiques d’aider le peuple palestinien, par la prière, en demandant la paix, en donnant de l’argent à des associations caritatives. Ils nous ont délivré le message suivant : laissez vos mains et vos langues propres, ne propagez pas la haine contre les gens du Livre.

Ne craignez-vous pas que vos adversaires vous traient de collabo des juifs et de l’Etat ?

Lorsque j’ai commencé mon travail de religieux à Bobigny, je suis allé voir la mairie pour demander un lieu de prière. Certains ont dit alors : « Celui-là, il travaille avec la mairie. » Mais nous avons eu un lieu de prière et les gens étaient contents. Ensuite, je me suis installé à Drancy et j’ai parlé à M. Lagarde (le maire, ndlr). Même type de remarques. Mais là aussi, nous avons obtenu un lieu et les gens étaient contents. Puis je me suis rapproché des juifs et on m’a accusé d’être manipulé par les juifs. Et maintenant, avec la création de l’Association des imams de France, certains vont dire que je suis manipulé par M. Sarkozy. Qui sait, demain, si on ne dira pas que je suis une marionnette d’Obama ? On laisse parler. La seule parole qui compte, c’est celle du terrain. Les personnes qui viennent vers nous nous donnent raison. Mais elles ont peur.

De quoi ?

Elles ont peur de ceux qui ne pourraient pas comprendre notre action. Nous leur disons de ne pas avoir peur, car nous représentons la voix de la majorité des musulmans qui en a marre de ces conflits et qui pense à l’avenir de ses enfants.

Votre sécurité est-elle menacée ?

Ma maison a été saccagée en 2005 lorsque je me suis rendu au mémorial de la déportation à Drancy pour appeler les musulmans à respecter l’histoire de la Shoah. Dernièrement, pendant le conflit à Gaza, ma voiture a été entièrement recouverte d’huile de vidange et j’ai reçu des menaces par téléphone, où l’on me disait de faire attention à ma vie. On cherche à me faire taire et à faire taire tous ceux qui pourraient dire la même chose que moi. Je bénéficie d’une protection rapprochée.

Propos recueillis par Antoine Menusier et Nadia Méhouri