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22 juin 2007

Relations Tunisie - Israël : un article révélateur du quotidien "le Temps"

Introduction :
Et où en sont les relations entre la Tunisie et Israël ?
Petit rappel : même si elle n'a jamais connu d'état de guerre avec l’État juif, distant de plusieurs milliers de kilomètres, la Tunisie s'est toujours alignée sur la position des autres pays de la Ligue Arabe, refusant pendant des dizaines d'années le moindre contact avec lui, pour ensuite, timidement, aller vers une reconnaissance "de facto" et sans chaleur : le maximum de rapprochement eut lieu entre 1996 et 2000 avec l'échange de chargés d'affaires dans la foulée des accords d'Oslo, relations "low profile" rompues par Tunis dès le début de la deuxième Intifada. Depuis, et malgré l'impasse totale dans les perspectives de règlement du conflit israélo-palestinien, des ressortissants israéliens viennent de façon épisodique sur le sol tunisien, qu'il s'agisse d'officiels acceptés dans le cadre de congrès internationaux (comme l'ex-Ministre des Affaires Étrangères Silvan Shalom il y a deux ans), ou comme touristes (comme lors du pèlerinage à la "Ghriba" de Djerba). En fait, la Tunisie occupe une position médiane au Maghreb, entre l'Algérie toujours virulente dans son antisionisme, et le Maroc où les relations avec Israël sont depuis longtemps décomplexées ...
Il m'a semblé intéressant de reproduire ici cet article publié dans le quotidien gouvernemental "Le Temps" en avril dernier, parce que dans le fond tout y est : le vieux refus arabe, hélas, de toute légitimité historique ou politique à l’État juif - si on entend cela à Tunis, on peut comprendre combien les Israéliens ont raison de douter d'une vraie réconciliation avec le monde arabe ; mais aussi - preuve d'intelligence et de réalisme ! - un vigoureux plaidoyer pour accepter un compromis sur la base de "deux États pour deux Peuples", la seule solution acceptable pour la Communauté internationale. Bonne lecture !
J.C

Elites politiques et dérives populistes, par Rhida Kefi
La 3ème session de l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM) s'est réunie à Tunis, du 16 au 18 mars, sous la présidence de M. Foued Mebazaa, président de la Chambre des députés tunisienne et président en exercice de l'APEM, et M. Hans-Gert Poettering, président du Parlement européen, et avec la participation de parlementaires européens et sud méditerranéens, venus d'Algérie, du Maroc, d'Egypte, de Jordanie, des Territoires Palestiniens et. d'Israël.

La présence, à Tunis, à cette occasion, d'une délégation de parlementaires israéliens n'a cependant pas été du goût de certains leaders de l'opposition, qui se sont fendus de communiqués reprochant au gouvernement un acte de normalisation avec Israël. Ces communiqués ressemblent à s'y méprendre à ceux déjà publiés en d'autres circonstances, notamment à l'occasion de la participation d'une délégation israélienne au second volet du Sommet mondiale de la société de l'information (SMSI), en novembre 2005, à Tunis. La portée opportunément populiste de ces communiqués ne nous a pas échappé. Pas plus d'ailleurs que la bonne (ou mauvaise) foi de leurs auteurs. Et pour cause : certains de ceux qui se sont dits choqués par la présence d'Israéliens dans notre pays ont souvent siégé, eux-mêmes, dans des réunions internationales aux côtés de délégués israéliens. D'autres ont même honoré des invitations émanant de think tanks connus pour leur soutien inconditionnel à Israël, comme l'American Enterprise Institute, à Washington, où, soit dit en passant, Me Néjib Chebbi, du Parti démocratique progressiste (PDP) avait prononcé un discours le 31 mars 2006.

Les critiques de Chebbi et de ses camarades de l'opposition auraient pu se justifier si la Tunisie n'avait pas des engagements internationaux au sein des Nations unies ou du processus Euromed qui lui imposent de siéger, ne fut-ce qu'au niveau de ces deux instances, aux côtés de son homologue israélien. En ce qui concerne la dernière réunion l'APEM, il convient aussi de ne pas perdre de vue qu'Israël est membre à part entière de cette institution au même titre que la Tunisie et qu'un éventuel refus de notre pays d'accueillir des parlementaires israéliens aurait eu des conséquences sur l'avenir de notre partenariat avec l'Union européenne. Enfin, il aurait été plus décent, et sans doute aussi plus utile, au moment où la communauté internationale semble déterminée à relancer le processus de paix au Proche-Orient, d'appeler au dialogue entre Palestiniens et Israéliens, ne fut-ce qu'au niveau parlementaire, et d'éviter les discours de rupture. Tant il est vrai qu'on ne fait pas la paix avec ses amis, mais avec ses ennemis, et qu'à cet égard, on ne peut pas être plus Palestiniens que les Palestiniens, au moment où ces derniers, le président Mahmoud Abbas en tête, multiplient les canaux de discussion avec leurs ennemis de toujours.
Qu'on me comprenne bien : je ne plaide pas ici en faveur d'une normalisation des relations avec l'Etat hébreu. Car je continue d'être foncièrement antisioniste et d'assimiler le sionisme à une forme de racisme. Je continue aussi de considérer Israël comme est un Etat «illégitime» et par essence raciste, un Etat d'apartheid, comme le fut jadis l'Afrique du Sud, un Etat qui se barricade derrière des murs de haine et de rejet des Palestiniens, ses voisins et néanmoins victimes, qu'il enferme dans des bantoustans, des sortes de gigantesques prisons à ciel ouvert. Je continue également de militer contre cet Etat, notamment en stigmatisant ses menées militaristes et en dénonçant ses projets expansionnistes au Proche-Orient.
Mais, tout en refusant de changer cette opinion négative sur Israël, tant que ses dirigeants ne prouveront pas leur volonté de vivre en paix aux côtés de leurs voisins arabes, je ne perds jamais de vue qu'Israël est devenu, à la suite des guerres successives qu'il a remportées contre ses voisins arabes (1948, 1956, 1967, 1973, 1982 ...), une puissance militaire incontournable au Moyen-Orient. Et qui inspire le respect du à un ennemi qu'on redoute. Je ne perds pas de vue, non plus, que l'«entité sioniste», comme aiment à l'appeler nationalistes arabes et islamistes, est devenue «légale» depuis sa reconnaissance par la communauté internationale, en 1947, puis par les vingt-deux Etats membres de la Ligue arabe, après l'annonce de leur plan de paix, au sommet de Beyrouth, en 2002. Relancé au dernier sommet arabe de Riyadh, le 28 mars, ce plan offre à Israël une normalisation de ses relations avec tous les pays arabes en échange d'un retrait des territoires arabes occupés par l'Etat hébreu depuis 1967, de la création d'un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale et d'un règlement équitable de la question des réfugiés palestiniens. Je ne perds pas de vue, enfin, que certains des Etats arabes, qui furent jadis les irréductibles ennemis d'Israël, comme l'Egypte, la Jordanie et, à un degré moindre, la Mauritanie, ont établi avec l'Etat hébreu, bien avant 2002, des relations diplomatiques en bonne et due forme. Alors que d'autres Etats de la région ont noué des relations commerciales suivies avec Israël et que d'autres encore ont ouvert avec lui des canaux diplomatiques plus ou moins secrets.

C'est pour toutes ces raisons que je ne m'explique pas la position de certains de nos opposants qui continuent de se voiler la face et de crier hypocritement au scandale dès que l'Etat, respectueux de ses engagements internationaux, accueille - sans doute à contre cour et ne cachant d'ailleurs pas son embarras - une délégation israélienne sur son territoire ou participe à une réunion internationale à laquelle prend part également une délégation israélienne ? En tant que citoyen arabe soucieux des intérêts (et de l'avenir) des Palestiniens, je me contenterais, pour ma part, autant par réalisme politique qu'en désespoir de cause ou faute de mieux, de défendre la cause d'un Etat palestinien viable à l'intérieur de frontières reconnues internationalement, mais un Etat palestinien à côté de celui d'Israël, et non pas contre lui, puisque la création de l'un, aujourd'hui souhaitée par la communauté internationale, demeure tributaire de la reconnaissance définitive de l'autre, tout aussi souhaitée par cette même communauté, et de la ratification d'un accord de paix entre les deux parties. N'en déplaise aux membres du Hamas et du Djihad islamique et à tous les extrémistes de la région qui soutiennent les ultras de Gaza et de Cisjordanie, il n'y a pas aujourd'hui d'autre solution pour un règlement un tant soit peu acceptable de la question palestinienne. De la même manière, mais pour des raisons qui tiennent plus de la rigueur morale et intellectuelle que de la simple realpolitik, je récuse toute forme de négationnisme ou d'antisémitisme (anti-juif). Car si l'Etat d'Israël a été fondé sur une injustice infligée aux Palestiniens, cela ne nous autorise nullement à minimiser, et encore moins à dénier, par ressentiment, les injustices infligées, au cours des siècles, aux Juifs. Car ce déni de l'Histoire risque de justifier, en retour, aux yeux des Israéliens, dont beaucoup s'opposent à la politique de leur gouvernement et se disent favorables à la création d'un Etat palestinien, la minimisation des souffrances actuelles des Palestiniens.

Autrement dit: les réflexes anti-israéliens, souvent ressentis par la communauté internationale comme antisémites, desservent les Palestiniens plus qu'ils ne les servent.

Article paru sur le site du quotidien "le Temps",
3 Avril 2007