Dans la première Paracha du livre de Dévarim, il est écrit : « Je [Moché] vous ai parlé en ce temps-là ainsi : "Je ne peux assumer, moi seul, votre charge". » (Dévarim, 1:9)

« Choisissez parmi vous des hommes sages, judicieux et éprouvés, dans vos tribus et je les établirai vos chefs. » Vous m’avez répondu en disant : « Ce que tu conseilles de faire est bien. » (Dévarim 1:13-14).

Rachi explique sur les mots « Vous m’avez répondu » : Votre décision était intéressée. Vous auriez dû répondre : « Notre maître Moché, de qui est-il plus agréable d’apprendre ? De toi ou de tes disciples ?! N’est-ce pas de toi [qu’il est préférable d’apprendre la Torah], car tu as souffert pour elle ? »

La Paracha de cette semaine commence par une série de reproches adressés par Moché Rabbénou. L’un d’eux se rapporte au conseil donné par Yitro de nommer des hommes pour soulager Moché dans l’enseignement qu’il devait dispenser au peuple. Les Bné Israël acceptèrent volontiers la proposition. Moché les réprimanda ; ils auraient dû insister et demander à n’apprendre que de lui.

Rachi précise que Moché avait un avantage exclusif : il avait souffert (Mitstaer) pour la Torah. À quel type de souffrance fait-il référence ?

Ce terme peut être compris de deux façons. La première interprétation est proposée par Rav Moché Feinstein. Il demande pourquoi Rachi n’a pas simplement dit qu’ils auraient dû vouloir l’enseignement de Moché du fait de son érudition suprême.

À quoi sert l’ajout de sa souffrance pour la Torah ? Il répond que l’instruction d’une personne ne détermine pas sa capacité à transmettre un savoir. Un homme peut être moins cultivé qu’un autre et mieux enseigner. Ce sont ses efforts pour approfondir le sujet qui sont plus significatifs. Rav Moché Feinstein estime donc que la souffrance en question fait référence à la Messirout Néfech (don de soi, dévouement) pour comprendre parfaitement le sujet étudié. [1] C’est parce que Moché avait atteint ce haut niveau de clarté à travers ses efforts, que le peuple aurait dû désirer apprendre de lui uniquement.

Rav Steinman explique la souffrance endurée par Moché d’une autre façon. Il se concentre sur les quarante jours où Moché apprit la Torah sur le Mont Sinaï. Il passa cette période sans manger ni boire. Selon Rachi, bien que Moché fût doté d’une force miraculeuse lui permettant de survivre sans s’alimenter pendant si longtemps, Moché ressentit la faim et fut incommodé par ce jeûne. C’est pour cette raison que les Bné Israël auraient dû vouloir apprendre directement de Moché. [2] En quoi l’inconfort physique de Moché expliquerait-il ce désir du peuple juif ? [3]

Le fait que Moché accepte ce désagrément pendant son étude de la Torah prouve son dévouement infini pour acquérir une compréhension réelle de la Torah. Sa Messirout Néfech inégalée nous laisse présumer qu’il fit tout son possible pour apprendre avec le maximum de clarté. Il convenait donc de ne vouloir apprendre que de lui.

L’explication de rav Steinman montre que la Torah étudiée dans des conditions difficiles a une grande valeur. [4] Rav Pin’has Scheinberg insistait beaucoup sur l’importance d’un tel effort. Il disait que nombreux sont ceux qui ne sont prêts à étudier que quand tout va bien – ils ont besoin de chambres spacieuses, d’un climatiseur, etc., et si tout ne fonctionne pas comme ils le désirent, ils ne peuvent pas continuer. Les disciples les plus illustres sont ceux qui poursuivent leur étude en toutes circonstances. [5]

C’est le sens de la Michna de Pirké Avot : « Tel est le chemin de la Torah ; du pain [trempé] dans du sel tu mangeras, tu boiras de l’eau par petites quantités et tu dormiras sur la terre. » [6] Cela ne signifie pas que l’on doit vivre ainsi pour pouvoir étudier, mais qu’il faut être capable d’étudier même dans des circonstances tellement défavorables. Comme le disait rav Scheinberg, seule une personne de cette envergure peut atteindre une véritable érudition en Torah. Il ajoutait que la récompense d’une telle étude est extrêmement grande. Il rapportait les propos de rav Yérou’ham Leibowitz : « Si une personne patauge péniblement dans la boue pour aller étudier ; elle emportera, à sa mort, cette terre au Gan Éden et recevra une récompense pour la boue qui salit ses chaussures ainsi que pour la contrariété éprouvée. » [7]

Rav Scheinberg enseigna cette idée dans ses discours, mais aussi, et surtout, par son exemple. Quand sa Yéchiva, Torah Or, était à Bensonhurst, les étés étaient parfois caniculaires et les élèves peinaient à poursuivre leur étude (ils n’avaient pas de ventilateurs, sans parler de climatiseurs !). Pourtant, le rav qui portait plusieurs Talitot, ses Téfilin et sa Kapota (longue veste portée au-dessus des vêtements) étudiait avec une énergie sans pareille.

Ceci ne s’applique pas seulement aux hommes et à leur étude, mais également aux femmes qui doivent parfaire leur étude et leurs prières. Par ailleurs, la Messirout Néfech qu’une femme déploie pour permettre à son mari et à ses enfants d’étudier entre certainement dans le cadre de cet enseignement. Et plus la tâche est difficile, plus la récompense est grande.

Puissions-nous tous mériter de prendre exemple sur les érudits en Torah, les dirigeants spirituels de notre génération et de mettre ces leçons en application dans nos vies.


[1] Darach Moché, Dévarim, 1:14.

[2]Ayéleth HaCha’har, Dévarim 1:14.

[3] D’après l’explication de rav Moché Feinstein, cela ne pose pas de problème ; étant donné que la souffrance dont parle Rachi correspond aux efforts fournis pour acquérir plus de clarté, on comprend pourquoi Moché avait une meilleure compréhension de la Torah.

[4] Notons que la Mitsva d’étudier la Torah doit être accomplie avec joie, comme nous le disons dans Birkat Hatorah : « Que Ta Torah soit douce, Hachem, notre D.ieu, dans nos bouches… » L’idée développée plus haut n’est pas contradictoire – en effet, celui qui éprouve de la joie en étudiant aura plus de facilité à surmonter des difficultés extérieures.

[5] Rav Scheinberg, écrit par rav Yé’hiel Spero, p. 177.

[6] Pirké Avot, 6:4.

[7] Rav Scheinberg, p. 180.