La paracha de cette semaine nous dit : « Noa’h, homme de la terre, s’avilit et planta une vigne. Il but de son vin et s’enivra, et il se mit à nu au milieu de sa tente. » [1]

À la fin du déluge, quand Noa’h rejoignit la terre ferme, il dut entreprendre une tâche décourageante, celle de reconstruire le monde. Il commença par planter une vigne, acte qui eut des conséquences terribles. ‘Hazal critiquent sévèrement la décision de Noa’h de commencer par la vigne. Le vin peut grandement réjouir l’individu et l’aider à se sentir plus proche d’Hachem, mais Noa’h aurait dû commencer par quelque chose de plus nécessaire à la reconstruction du monde. [2]

N’oublions pas, toutefois, que Noa’h était un grand tsadik, on ne peut donc pas interpréter son erreur de manière superficielle. Les commentateurs tentent d’expliquer le raisonnement de Noa’h quand il planta la vigne. [3]

Le Yalkout Chimoni explique que lorsque Noa’h but du vin, il ressentit une grande joie. [4]

Le rav Méir Rubman zatsal, dans son livre Zikhron Méir, précise que quand Noa’h regagna la terre ferme, il fit face à une destruction absolue, le monde dans lequel il avait vécu était complètement anéanti et tout être vivant avait disparu. Il se sentit accablé et découragé par cet horrible spectacle. Il savait que de tels sentiments ne l’aideraient pas à redonner au monde un aspect spirituel, parce que la Chekhina (Présence Divine) ne réside que lorsque l’on est joyeux d’accomplir la volonté d’Hachem. [5]

Sachant que le vin avait la capacité de réjouir les gens, il décida de planter une vigne et d’en utiliser le fruit pour faire descendre la Chekhina sur terre.

Cette explication pose néanmoins une difficulté – si ses intentions étaient louables, pourquoi ses actions provoquèrent-elles tant de dégâts ?

Le rav Sim’ha Wasserman zatsal explique qu’il avait d’autres motifs, moins nobles, qui l’incitèrent à commencer à reconstruire le monde par la plantation de vigne. Devant une telle désolation, Noa’h éprouva le besoin de s’égayer et de sortir de l’horrible situation à laquelle il était alors confronté. Par conséquent, il choisit de planter une vigne, et son vin lui permettrait d’échapper au terrible malheur qu’il vivait [6]. Ce choix fut considéré comme un échec pour quelqu’un du gabarit de Noa’h et il eut donc des conséquences négatives. ‘Hazal le critiquent et affirment qu’il aurait dû chercher à reconstruire plutôt qu’à fuir. Rav Wasserman note que ‘Hazal ne disent pas que Noa’h a commis une grave faute, mais qu’il fit quelque chose de « ‘hol » (de la racine « vaya’hel », terme employé pour évoquer l’erreur de Noa’h), un manque de pureté et de grandeur.

Il y a environ soixante ans, plusieurs personnes durent affronter une épreuve terrible. L’Holocauste détruisit des millions de vies et des communautés entières furent déracinées ; nombreuses sont les personnes qui virent toute leur famille disparaître.

Devant cette catastrophe, les rescapés avaient certainement très envie de « prendre la fuite ». Cependant, certains individus amorcèrent immédiatement une renaissance du peuple juif. D’illustres personnages, comme le rav de Poniewietz zatsal ou le rav de Klausenberg zatsal perdirent tous leurs proches durant la Shoah et se lancèrent malgré tout dans l’immense défi de la reconstruction. Le rav Issakhar Frand chlita offre l’exemple marquant de quelqu’un qui ne succomba pas au désespoir d’après l’Holocauste.

Le rav Joseph Rosenberg zatsal arriva aux États-Unis après la guerre et remarqua qu’il y avait une mitsva, en particulier, qui était complètement oubliée – celle du chaatnez (mélange interdit de laine et de lin). Il fonda seul des laboratoires de vérification du chaatnez et, durant des décennies, vérifia la présence de chaatnez sur des centaines de milliers de vêtements. Le ‘hourban qu’il dut affronter fut double. L’incroyable perte physique d’une part, mais aussi une misère spirituelle – l’abandon d’une mitsva.

Barou’h Hachem, nous vivons à une époque où il n’est pas nécessaire de lutter contre un massacre comparable à celui du déluge ou de la Shoah. Nous sommes toutefois aux prises avec un ‘hourban, à plusieurs niveaux. Sur le plan national, nous savons que le Klal Israël rencontre la plus grande désolation spirituelle de son histoire, qui se traduit, entre autres, par d’innombrables mariages mixtes. Selon certains calculs, l’assimilation des Juifs est plus forte durant les soixante dernières années que pendant l’Holocauste ! Ce ravage est moins visible et moins choquant que le génocide, mais ses conséquences sont immenses.

Il existe de nombreuses façons d’aider des Juifs non pratiquants, mais le plus important reste de ne pas chercher à fuir le problème et la responsabilité qui nous incombe.

D'un point de vue plus personnel, nous connaissons tous des personnes qui endurent des souffrances individuelles. Certains n’ont pas de quoi subvenir aux besoins de leur famille, d’autres ont de gros soucis de santé, de nombreux jeunes hommes ou jeunes filles ne trouvent pas de bon parti, des personnes veuves ou divorcées se sentent seules et impuissantes, la liste n’en finit plus.

Lorsque l’on rencontre quelqu’un en difficulté, nous avons également le choix entre nous dérober ou chercher à aider et construire. Rav Frand affirme qu’il n’est pas suffisant d’avoir de la peine et de plaindre son prochain. Il est de notre devoir de tenter de l’aider d’une quelconque façon. Par exemple, si quelqu’un perd son emploi, nous pouvons essayer de nous mettre en contact avec certaines de nos connaissances pour l’aider à trouver un nouveau gagne-pain. Quand on rencontre une personne qui ne trouve pas de chidoukh, nous pouvons consacrer un peu de temps à réfléchir à un partenaire potentiel.

Bien entendu, au cours de notre vie, nous devons presque tous faire face à des tragédies ou des catastrophes. Ces événements traumatisants sont souvent de véritables gageures, et l'on a naturellement tendance à vouloir fuir l’épreuve. C’est cependant une marque de grandeur que de s’efforcer de reconstruire et de progresser.

Lors d’un cours émouvant, avant Yom Kippour, Rav Frand posa quatre questions à l’assistance. L’une d’elles fut la question que le marin posa au prophète Yona lors de la terrible tempête qui menaçait de faire sombrer le bateau, quand on trouva Yona endormi, dans l’agitation générale. « Pourquoi dors-tu, lève-toi et invoque ton D. » [7] Le marin demandait à Yona comment il pouvait trouver le sommeil dans une telle situation, il lui fallait faire quelque chose ! De même, Rav Frand nous exhorte à nous poser la question : « Pourquoi dormons-nous malgré les événements tumultueux qui surviennent autour de nous. »

Puissions-nous tous mériter de nous efforcer de reconstruire et non de prendre la fuite quand nous sommes confrontés à un défi ou à une épreuve.



[1] Noa’h, 9:20-21.

[2] Voir Rachi, 9:20 et Yalkout Chimoni, Parachat Noa’h. Certains commentateurs disent aussi que le problème du vin est qu’il peut être très néfaste s’il est mal utilisé, comme ce fut le cas lors de cet incident. Par conséquent, ils estiment que Noa’h aurait dû planter quelque chose qui provoque moins de dégâts que le vin.

[3] Voir l’explication du Chla pour une interprétation plus profonde sur le fait que Noa’h choisit du vin.

[4] Noa’h, ibid.

[5] Chabbat, 30a.

[6] Rapporté par rav Issakhar Frand chlita, Parachat Noa’h, 5768. Mon rav, le rav Its’hak Berkovitz chlita propose une explication très ressemblante.

[7] Yona, 1:6.