Toute la journée, les visiteuses s’étaient succédées pour être reçues par la Rabbanite Kanievsky, une pour épancher son cœur en peine, une autre pour demander conseil ou pour solliciter une bénédiction. A toutes, la Rabbanite avait répondu avec patience et chaleur ; une à une, elle les avait reçues avec ce sourire qui faisait fondre les cœurs et éliminait toutes les barrières.

Pourtant, à l’insu de la Rabbanite, une jeune femme avait été évincée. En la voyant arriver, son entourage, soucieux de maintenir un semblant d’ordre et de ménager quelque peu la Rabbanite dont le visage trahissait une grande fatigue, l’avait chassée sans façon. C’en était trop ! Jusqu’à quand cette déséquilibrée continuerait-elle à venir harceler la Rabbanite ?

N’y avait-il donc pas de limites à son insistance ? Elle était déjà venue un nombre incalculable de fois. Lors de sa première visite, elle s’était présentée et avait demandé que la Rabbanite la bénisse d’après une formulation aussi pitoyable que grotesque, griffonnée sur un papier : « Que je ne meure ni aujourd’hui, ni demain, ni dans deux jours, ni dans trois jours, etc. » Dans un élan de commisération pour la malheureuse, la Rabbanite s’était empressée de lui donner satisfaction. Mais cette âme pathétique ne s’arrêta pas là et réapparut le lendemain, avec une version « revue et corrigée ». Elle revenait chaque jour, parfois même à plusieurs reprises, avec un texte de plus en plus long et insensé !  

Toutes les personnes présentes étaient consternées à chacune des apparitions de la malade, toutes sauf la Rabbanite, chez qui la compassion dépassait toute autre considération. Face à des personnes à l’intelligence ou à l’esprit défaillant, elle restait toujours aussi calme, redoublant même de prévenance et d’indulgence. Aussi refusait-elle à tout prix qu’on la chasse et, avec délicatesse et chaleur, elle récitait à chaque fois la bénédiction demandée, se concentrant sur chaque mot comme à son habitude. Pour rien au monde, elle n’aurait montré le moindre signe d’impatience ou de lassitude. Même lorsqu’elle était très faible ou fatiguée, elle ne se sentait pas le cœur de renvoyer la malheureuse sans lui donner sa bénédiction.

Pourtant, ce jour-là, jugeant que la jeune fille avait dépassé les bornes, quelqu’un l’avait évincée sans plus de manières. Lorsqu’elle l’apprit, la Rabbanite fut si tourmentée qu’elle ne put fermer l’œil de la nuit. En effet, elle savait s’identifier et ressentir la peine de tout Juif, qu’il soit sain d’esprit ou non. Faire de la peine à autrui était pour elle une bien plus grande souffrance que la fatigue naturelle générée par tant d’allées et venues.


Même avant Pessa'h...

Ce fut loin d’être la seule occasion où elle se trouva confrontée à ce genre de personnes à la santé mentale chancelante. Une de ces visiteuses assidues avait l’habitude de ramasser dans les rues toutes sortes d’objets bons pour la décharge, moitié par lubie, moitié pour son « commerce ». Elle eut un jour la malheureuse inspiration de se présenter chez les Kanievsky peu avant l’heure de la Bedikat ‘Hamets (recherche du ‘Hamets, veille de Pessa’h), entourée comme d’habitude de ses nombreux paquets.

Sans façon, elle les déposa dès l’entrée sur le sol que les filles de la Rabbanite venaient de l’aider à laver. Indignées, celles-ci voulurent tout mettre dehors, mais la Rabbanite les arrêta en disant : « Depuis quand est-il permis de jeter les biens d’autrui hors de chez nous ? »

Quelle patience lorsque l’on sait la quantité de travail que représente le nettoyage minutieux d’une maison avant Pessa’h, nettoyage réalisé dans des conditions d’autant plus difficiles lorsque l’on vit dans un logis constamment ouvert à tout venant !