La paracha de cette semaine termine par la triste histoire du mékalel, le fils d’un Égyptien marié à une Juive, qui blasphéma le Nom de D. et qui, en conséquence, fut puni de la peine de mort. Cet épisode commence par les mots : « Le fils d’une Israélite sortit – et il était le fils d’un homme égyptien — parmi les enfants d’Israël… »[1]Hazal et les commentateurs se penchent sur la signification ambiguë du mot « sortit ».

Rachi, rapportant le Midrach, explique que la Thora nous informe qu’il « sortit de son monde »[2]. Les commentateurs précisent qu’il perdit sa part dans le Olam Haba à cause de la terrible faute qu’il commit.

Le Taz, dans son commentaire sur la Thora, se focalise sur les termes employés par Rachi, à savoir qu’il quitta « son monde » et non « le monde ». Il écrit : « Il semble que chaque membre du peuple juif est, depuis le jour de sa naissance, connecté au Monde Supérieur, à un endroit saint. Mais quand l’homme faute, il quitte l’endroit auquel il est relié, d’où l’usage du mot "sortit". »[3]

Cette explication nous aide à mieux comprendre la conception de la Thora sur la récompense et la punition dans le Olam Haba. On pourrait penser que l’individu n’y est pas directement lié, mais que quand il décède et que son âme s’élève, il reçoit des prix (comme lors d’une tombola) pour les mitsvot qu’il a faites et qu’il en perd pour les fautes commises. La récompense dans le Olam Haba est alors considérée comme une gratification.

Le Taz nous montre que ce n’est pas le cas — depuis sa naissance, le Juif est intrinsèquement connecté au Olam Haba. Ce qui l’y rattache, c’est évidemment son âme ; en accomplissant des mitsvot, il nourrit son âme et « améliore » donc la nature du Olam Haba qu’il « recevra ». Par ses erreurs, il souille son âme et entache son Monde Supérieur – et sans techouva, il doit passer par le Guehinom, pour purifier son âme[4]. La faute du mékalel était si grave qu’il en perdit sa part dans le Monde Futur[5]. La récompense et la punition ne sont donc pas arbitraires, mais c’est la personne qui crée ou détruit elle-même son Olam Haba.

Il existe une autre leçon importante que l’on peut tirer du commentaire du Taz. Certaines religions estiment que les gens sont naturellement mauvais depuis la faute d’Adam, et qu’il nous faut sortir de cet état de méchanceté innée. En réalité, c’est l’inverse qui est vrai. Nous sommes intrinsèquement bons, saints et liés au Olam Haba – notre tâche consiste à ne pas le perdre, mais plutôt à bien garder notre part.

Ce concept est rapporté par la michna dans Sanhédrin qui affirme : « Chaque Juif a une part dans le Monde Futur… »[6] Les commentateurs se demandent s’il chaque Juif est vraiment admis au Olam Haba. En effet, la michna énumère par la suite les personnes qui n’y ont pas droit !

La michna n’affirme pas que chaque Juif mérite, à la fin de sa vie, d’entrer au Olam Haba, mais que chacun en a un ‘Hélek (une part), et qu’il convient de garder et de développer cette portion. Si cette mission est négligée, l’individu risque de perdre sa part, et c’est le cas des personnes mentionnées dans la michna.

On peut mieux comprendre cette michna grâce à l’analogie suivante. La portion décrite ressemble au lotissement d’un terrain ; chacun reçoit une parcelle de terrain en friche. C’est à lui de retourner et d’abreuver la terre, de l’engraisser et de la cultiver de façon à ce qu’une bonne récolte soit produite. Si à la fin du bail consenti, la récolte est bonne et abondante, il peut recueillir le fruit de son dur labeur. Cependant, s’il délaisse la terre, elle restera stérile et s’il la maltraite, en y jetant des produits chimiques ou dangereux, elle sera endommagée. Il se retrouvera alors avec une parcelle infertile.

De même, nous sommes tous nés avec une âme pure qui est notre lien avec le Olam Haba. Si nous respectons la Thora et les mitsvot, nous l’élèverons afin qu’après notre départ de ce monde, elle puisse jouir des merveilles spirituelles du Olam Haba. Cependant, si nous la négligeons et l’abîmons, elle sera salie et souillée au point de ne plus pouvoir profiter de ce monde suprême, et cette âme devra subir le pénible passage au Guéhinom pour pouvoir avoir accès au Gan Eden.[7]

Pour résumer, chaque juif est intrinsèquement lié au Olam Haba et son comportement dans ce bas monde détermine la qualité de sa part dans le Monde Futur. Cet enseignement nous est de grande valeur. Le yétser hara (le mauvais penchant) prétend parfois que même si l’on se conduit mal, Hachem pardonnera l’infraction et que l’on pourra éviter ses conséquences négatives, sans devoir faire techouva.

Cette approche est totalement fausse – quand une personne commet une faute, elle endommage automatiquement son âme — cela ne dépend pas de la grâce ou de la dispense qu’Hachem lui accordera. Hachem a mis en place un système dans lequel nos actions ont des répercussions spirituelles. Donc, de la même manière que dans le monde matériel, certaines actions peuvent provoquer d’irréparables dommages (comme le fait de sauter du toit d’un immeuble…), le même principe s’applique dans le monde spirituel. Seule la techouva peut rectifier les dégâts causés par la faute.[8]



[1] Vayikra, 24:10.

[2] Rachi, Vayikra, 24:10, qui renvoie à Vayikra Raba, Emor, 32:3.

[3] Divré David, rapporté dans Tallelé Oroth, 24:10.

[4] La nature et le but du Guéhinom nous dépassent. Précisons simplement que la conception laïque de l’« enfer » ne ressemble en rien à la description qu’en fait la Thora. Malgré sa nature très déplaisante, le Guéhinom est bénéfique puisqu’il purifie la personne et lui permet d’entrer et de bénéficier du Olam Haba.

[5] Le Éts Yossef sur le midrach note que le mékalel n’a évidemment pas fait techouva sur sa faute, étant donné qu’on nous précise qu’il perdit sa part de Olam Haba.

[6] Sanhédrin, Pérek ‘Hélek, 90a. C’est également la michna qui figure au début de chaque chapitre de Pirké Avot.

[7] Le ‘Hafets ‘Haïm utilisait la même analogie pour expliquer cette michna. Elle se trouve dans Michel Avot, Volume 1, p. 6.

[8] Notons que la techouva d’une personne qui a fauté avec l’intention de se repentir par la suite, n’est pas acceptée. Ce n’est que si elle trébuche, puis regrette sincèrement ses actions, qu’elle est pardonnée.