« Voici les descendants de Noa’h ; Noa’h était un homme juste, parfait dans sa génération ; Noa’h marchait avec Hachem. » (Béréchit, 6:9)

Rachi explique sur les mots « dans sa génération » : Certains de nos Sages interprètent [ce terme] comme une louange ; « s’il avait vécu dans une génération de personnes vertueuses, il aurait été d’autant plus vertueux ». Et certains l’interprètent négativement ; « Comparativement aux gens de sa génération, il était Tsadik, mais s’il avait contemporain d’Avraham, il n’aurait rien valu du tout. »

Plusieurs questions peuvent être soulevées sur l’explication de Rachi.[1] L’opinion positive estime que Noa’h aurait été plus vertueux s’il avait vécu parmi des hommes justes. Donc l’avis inverse aurait dû dire que si Noa’h avait existé du temps d’Avraham, il aurait été à un moindre niveau qu’une personne vertueuse. Pourquoi employer des mots si durs, « il n’aurait rien valu du tout » ?

Pour répondre à cette question, il faut savoir qu’Avraham n’était pas simplement « davantage » vertueux (au sens quantitatif – il accomplissait plus de bonnes actions) que Noa’h, mais que l’essence de leur vertu était complètement différente. Donc, quand Rachi écrit que Noa’h n’aurait rien valu comparativement à Avraham, cela signifie que même s’il avait été meilleur grâce à la bonne influence d’Avraham, il aurait néanmoins été « insignifiant » à ses côtés. Ceci parce qu’Avraham était d’un niveau complètement différent de celui de Noa’h[2].

En quoi le niveau d’Avraham était-il si contrastant de celui de Noa’h ? Rachi nous le révèle dans son commentaire suivant sur les mots « Noa’h marchait avec Hachem. » Il écrit qu’au sujet d’Avraham il est écrit qu’il marchait devant Hachem ; Noa’h avait besoin d’aide, d’être soutenu, tandis qu’Avraham se renforçait et allait de l’avant dans sa vertu.[3] Les commentateurs notent qu’Avraham était proactif, il n’avait pas besoin d’être stimulé par des événements extérieurs pour servir Hachem et accomplir des actes de bonté. Noa’h, quant à lui, devait être aidé par des circonstances extérieures pour manifester sa grandeur.[4]

Rav Dessler développe cette idée en soulignant que Noa’h est appelé « Ich Tsadik » alors qu’Avraham est nommé « Ich ’Hessed ». Noa’h prodigua d’incroyables bienfaits dans l’arche, nourrissant des centaines d’animaux quotidiennement durant plusieurs mois. Mais tout ceci n’était que du Tsédek – il remplissait son devoir. Cela ne provenait pas d’un désir de donner, mais d’une réaction face aux besoins des autres. Avraham, en revanche, ne faisait pas de ’Hessed par obligation, mais du fait de son ardent désir à donner.[5] Cette différence entre Noa’h et Avraham ne se limitait pas au ’Hessed physique, mais concernait également le domaine spirituel. Le Sforno affirme que Noa’h réprimanda ses contemporains, mais n’en fit pas plus – il ne leur apprit pas à connaître Hachem et à suivre Ses voies. Par conséquent, il n’avait pas suffisamment de mérites pour sauver l’ensemble de la génération.[6] Par contre, Avraham fit bien plus que son devoir à ce sujet.[7]

Bien que Noa’h fût un Tsadik, il n’atteignit pas le niveau d’Avraham qui était « ’Hassid ». C’est en ce sens qu’il n’aurait rien valu par rapport à ce dernier. La tâche de chaque Juif est (au moins) d’aspirer à émuler Avraham en étant proactif dans son service d’Hachem et dans son ’Hessed.



[1] Voir Gour Arié, ibid., et Sifté ’Hakhamim pour les autres interrogations sur Rachi.

[2] Ceci répond à une autre question sur Rachi, que pose le Maharal. Dans l’avis favorable, Rachi fait référence aux gens vertueux, tandis que dans l’interprétation négative, il compare Noa’h à Avraham. Pourquoi ne pas, là aussi, faire un parallèle avec d’autres personnes ? Le Maharal répond que Noa’h n’aurait rien valu que s’il avait été comparé à Avraham, mais pas aux autres justes de la génération. Ceci rejoint l’idée évoquée – à savoir que le niveau de vertu d’Avraham était qualitativement autre que celui de Noa’h, ainsi que celui de tous les individus de cette époque.

[3] Rachi, Béréchit, 6:9.

[4] Voir Gour Arié, ibid. ; Mikhtav Mééliahou, 2e Volume, p. 168 ; Chlah Hakadoch, Parachat Noa’h, Torah Or 2 ; Tiféret Chlomo.

[5] Mikhtav Mééliahou, 2e Volume, p. 179.

[6] Sforno, Béréchit, 6:8.

[7] Voir Méiri, Avot, 5:2 ; Léchem Chamaïm, ibid. ; Sforno, Parachat Toldot, 26:5 ; ’Hatam Sofer dans son introduction au Yoré Déa, intitulée Pitou’hé ’Hotam ; ’Hafets ’Haïm, ’Homat Hadat, chapitres introductifs.