La simple lecture de la Paracha de cette semaine qui évoque la libération des juifs du terrible esclavage égyptien suffit à faire le bonheur du lecteur.

Les versets de notre texte sont restés célèbres car ils constituent une bonne partie du cérémonial de Pessa’h auquel chacun est tant attaché. Nous aimerions porter notre regard cette semaine plus particulièrement sur l’un des commandements donnés par D.ieu lors de la sortie d’Egypte, celui d’instituer un calendrier, et examiner les implications spirituelles de cette corrélation qui nous est proposée entre la liberté d’une part et l’écoulement du temps d’autre part.

Le commencement du calendrier juif coïncide donc avec l’accession à la liberté. La Torah nous indique en effet que peu de temps avant la sortie d’Égypte, D.ieu a ordonné aux hommes de compter les mois et de les faire démarrer au mois de Nissan : « L'Éternel parla à Moché et Aharon, dans le pays d'Égypte, en ces termes : "Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois ; il sera pour vous le premier des mois de l'année." » (Chémot 12, 1-2)

Cette concomitance entre liberté et calendrier est très significative. Elle nous suggère que le temps n’a véritablement de sens que pour un homme libre qui peut disposer de son temps à sa guise. Lorsque l’homme est asservi, lorsqu’il ne fait qu’exécuter les ordres imposés par un maître, son temps ne lui appartient pas, il n’est pas en mesure de le structurer selon ses objectifs propres. Dès lors, instituer un calendrier dans une situation d’oppression et d’asservissement n’a aucun sens.

La sortie d’Égypte avait précisément pour vocation de redonner la liberté au peuple juif, et notamment la faculté de disposer de son temps. Mais la Torah propose de pousser la réflexion plus loin. En effet, on aurait pu considérer comme allant de soi que dès lors que l’homme est libéré de l’esclavage, il est maître de son temps et donc libre. Pourquoi donner un commandement spécifique sur ce principe qui semble évident ?

Notre tradition veut probablement nous mettre en garde contre une illusion qui consiste à assimiler la belle notion de « liberté » à une simple licence absolue de faire ce que l’on souhaite. En effet, si l’homme ne perçoit dans sa liberté que la possibilité de donner libre cours à ses instincts, à ses pulsions, à ses envies, il devient rapidement « l’esclave » de lui-même. C’est là le danger de toutes les addictions, notamment ses formes modernes à travers la dépendance aux écrans. L’époque contemporaine donne à voir de nombreuses illusions de liberté qui sont en réalité de puissantes aliénations et de véritables asservissements.

La Torah a prévu un commandement spécifique pour ordonner à l’homme de compter le temps afin de lui faire comprendre que le fait d’être « libre de son temps » est un droit mais aussi une responsabilité. La liberté doit permettre à l’homme de coïncider avec l’essence de son être. Elle doit lui servir à se rapprocher de la racine de son âme, à la nourrir, à vivre en harmonie avec elle dans un dialogue fécond avec Hachem.

Aussi, la première modalité à travers laquelle l’homme exerce sa liberté réside dans l’usage qu’il fait de son temps. Chaque moment de vie est une chance extraordinaire, un véritable miracle. Chaque instant de vie que l’Eternel accorde à l’homme est infiniment précieux et doit être exploité dans une direction constructrice.

Un journaliste américain interrogea un jour la Rabbanite Jungreis qui avait connu la Shoa et avait eu une vie très intense. Le journalise lui demanda : « Quel a été le moment le plus important de votre vie ? » Et la Rabbanite de répondre : « Maintenant ! »

Elle témoignait ainsi de sa conviction que chaque moment de vie doit être valorisé et vécu avec intensité. Chaque instant peut permettre à l’homme de se construire, d’avancer, ou de transmettre. L’esprit humain a parfois tendance à rétrécir l’horizon des possibilités qu’offre le temps, c’est pourquoi la Torah vient nous rappeler l’importance capitale de chaque instant.

Ceci étant dit, il faut également reconnaître que l’homme n’est pas maître de toutes les occupations et obligations qui s’imposent à lui et qui meublent son emploi du temps. La liberté réside peut-être alors dans le regard qu’il porte sur la manière dont il occupe son temps, et dans le sens qu’il arrive à donner à ses activités.

En effet, une même activité peut avoir un sens radicalement différent selon l’orientation que l’individu lui donne : elle peut être une contrainte insupportable envers laquelle il conçoit une grande frustration, ou bien elle peut être la source d’une élévation spirituelle et d’une grande joie intérieure.

Prenons par exemple une activité professionnelle. Elle peut être vécue comme une aliénation insupportable, ou alors comme la condition de l’autonomie financière d’un homme et de sa famille, le moyen de subvenir aux besoins de ses proches, de faire de la Tsédaka, de soutenir la diffusion de la Torah, d’apporter une sérénité à son épouse et à son environnement familial etc.

De même, s’occuper de ses enfants ou bien de ses parents âgés peut être vécu soit comme une contrainte oppressante et privatrice de liberté, soit comme un grand bonheur, celui de contribuer à l’épanouissement et au bien-être de ses proches, de plonger dans le fil des générations dont chacun est un maillon, de répondre aux prescriptions de la Torah et d’acquérir ainsi un grand mérite.

Voilà pourquoi il était nécessaire que l’accession à la liberté du peuple juif s’accompagne d’un nouveau rapport au temps. Est libre l’homme qui décide de la manière dont il souhaite occuper son temps, mais aussi l’homme qui choisit positivement le sens des évènements qu’il vit, c’est-à-dire celui qui recherche dans chaque moment de son existence l’occasion de sanctifier le nom de D.ieu, même s’il n’a pas choisi de son plein gré chacune de ses occupations.

Chabbath Chalom !