« Ne te venge, ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple, mais aime ton prochain comme toi-même. ».[1]

« Aime ton prochain » : y a-t-il un commandement plus connu que celui-ci ? Or, nous devons nous demander ce qu’il implique au niveau individuel. Si on le comprend au sens littéral, nous devons éprouver les mêmes sentiments d’amour pour les autres que ce que nous ressentons naturellement pour nous-mêmes. Or, est-ce vraiment possible ? Nous ressentons tous un amour très fort pour nous-mêmes, et il clairement impossible d’aimer les autres au même point.

Explication plus satisfaisante de ce commandement : l’obligation d’aspirer à désirer la réussite de notre ami. Cette attitude ne repose pas sur les émotions, mais provient plutôt d’une compréhension intellectuelle selon laquelle le succès d’autrui doit également être une source de joie pour nous-mêmes. Afin d’accéder à ce niveau, nous devons travailler sur nous-mêmes pour éliminer les sentiments de jalousie envers les autres. La jalousie survient lorsqu’on se sent menacé par les accomplissements de nos amis, créant en nous un sentiment de ne pas être à la hauteur. Mais nous devons reconnaître que chacun est doté de talents faits sur-mesure pour lui, pour l’aider à réaliser son potentiel dans la vie.  

Par exemple, les qualités requises pour un lanceur de balle au base-ball sont très différentes de celles exigées pour être un excellent frappeur. Un lanceur de balle serait-il jaloux de la capacité du frappeur à frapper le ballon très fort ? De même, un frappeur se sentirait-il défavorisé de ne pouvoir saisir le ballon aussi bien que le lanceur de balle ?! Non, ils réalisent qu’ils ont un rôle spécifique dans l’équipe qui requiert certains talents, et d’autres non. De la même manière, il n’y a aucune raison que je sois jaloux des facultés de mon ami(e). Si j’en avais eu besoin, on m’en aurait gratifié !

Lorsque nous aurons intériorisé cette idée, il nous sera bien plus facile de partager la joie de nos amis et de compatir avec leurs souffrances. Lorsqu’un ami cherche du travail, le commandement d’aimer notre prochain comme nous-mêmes nous demande de faire l’effort de vouloir qu’il réussisse au même titre que nous voudrions réussir nous-mêmes. Et s’il échoue à un examen, nous devons tenter d’imaginer ce que nous ressentirions dans la même situation et transférer ce sentiment sur lui. C’est l’un des aspects clés du principe d’aimer notre prochain, et si nous pouvons vivre conformément à ce principe, nous pourrons éviter une jalousie injustifiée et être bien plus heureux de notre sort.

Le Talmud approfondit les implications de ce commandement. Il évoque la figure de Hillel, un grand Rav, qui était le dirigeant de sa génération. Un non-Juif qui voulait se convertir au judaïsme l’aborda et lui demanda de lui enseigner le principe le plus fondamental du judaïsme. Hillel répondit : « Ne faites pas à votre ami ce qui vous est détestable ». Dans la Torah, cette demande est exprimée sous une forme positive : « aime ton prochain » ; néanmoins, Hillel a insisté sur l’aspect négatif de ne pas blesser les autres.

La plupart d’entre nous avons de bonnes intentions envers les autres, nous voulons les aider, et certainement pas leur causer de chagrin. Néanmoins, trop souvent, nous sommes responsables d’avoir blessé leurs sentiments ou de leur avoir causé du tort d’une manière ou d’une autre. Hillel nous enseigne que l’un des principes de base sous-tendant les relations interpersonnelles est de développer une sensibilité envers les sentiments des autres. Un bon moyen d’y arriver est de penser à ce qui nous fait de la peine et de développer ensuite une conscience de la manière dont cela peut affecter nos proches. Par exemple, nous aimons souvent plaisanter sur nos amis, cela peut paraître inoffensif, mais parfois, nos plaisanteries peuvent les offenser - la majorité d’entre nous, dans notre for intérieur, n’aimons pas que les autres se moquent de nous, alors comment nos amis doivent-ils se sentir lorsque nous les traitons de la sorte ?!

Vous vous interrogez peut-être : certaines choses ne me dérangent pas, mais dérangent peut-être mon ami, dois-je me montrer sensible sur ce point ? La réponse est : oui, chacun d’entre nous a ses propres attitudes et points sensibles. Hillel nous enseignait que, de la même façon que nous attendons de nos amis d’être réceptifs à nos besoins particuliers, nous devons agir avec la même considération envers eux.

Nous pouvons dorénavant comprendre plus facilement pourquoi Hillel a déclaré qu’éviter de blesser autrui est un principe si fondamental du judaïsme. La cause principale de l’incapacité à développer une relation avec Hachem est le repli sur soi. Si quelqu’un se préoccupe uniquement de ses propres sentiments et de sa vision du monde, il sera incapable d’accepter les « opinions » d’Hachem sur la vie telle qu’elles s’expriment dans la Torah. En revanche, une personne qui n’est pas prisonnière d’une certaine mentalité pourra prendre en considération les sentiments des autres, et plus facilement accepter que sa vision de la vie n’est pas la seule viable. Il sera davantage disposé à sortir de son soi et à tenter de comprendre le point de vue d’Hachem sur le monde.


[1]       Vayikra, Paracha Kédochim, 19:18.