Dans le chapitre précédent : Depuis son premier jour d’entrée à la fac, Marion avait fait la rencontre d’une nouvelle amie de confession juive. Très vite, nos deux jeunes filles se sont très bien entendues. On appelle ça le coup de foudre amical, qui n’arrive pas souvent. Et c’est avec un certain enthousiasme que Marion, qui travaille dans sa librairie de quartier, a choisi d’emporter chez elle un livre sur le… judaïsme !


Dans le dernier épisode : Notre Marion avait obtenu sa conversion, après seulement quatre ans de suivi intensif. Notre fraichement juive avait choisi le doux prénom de Sarah. Comme Avraham, le premier homme dans la Torah à s’être converti, elle était partie à la recherche d’Hakadoch Baroukh Hou. Et c’est en tant que juive que notre héroïne alla retrouver quelques jours plus tard Ilan Afriat… Mais avant, revenons sur un point important pour clôturer cette histoire.

Ce jour-là, le rabbin Sitbon avait dû quitter le Mikvé précipitamment, en emportant dans sa sacoche quelques dossiers en cours. Il était conscient que ce n’était pas très toléré de rapporter du travail à la maison, mais, dès que l’école l’avait appelée pour le prévenir que l’un de ses fils avait une forte fièvre, sans trop réfléchir, stressé, il avait pris tout ce qu’il y avait sur la table.

En récupérant la voiture au parking, il s’était fait la réflexion qu’avec ses deux collègues rabbins, ils avaient passé une après-midi chargée en émotion. Beaucoup de cas épineux avaient finalement pu être convertis, non sans effort de part et d’autre. Il lui arrivait quelques fois de douter quant à ces décisions finales. Après tout, il n’était qu’un homme ! Comment pouvait-il avoir la certitude qu’un candidat était 100% apte à devenir juif ou non ? Bien sûr que les examens écrits et oraux testent les connaissances des participants, mais, tout de même, être juif est beaucoup plus que de savoir répondre à des questions sur la Cacheroute. Parfois, il se disait qu’il ne faisait pas un métier des plus faciles. Et puis, certains jours, il avait l’impression que D.ieu Lui-même lui indiquait s’il devait accepter ou refuser un candidat. De temps en temps, il lui arrivait de faire des rêves en rapport avec son travail, qui le poussaient à être sûr dans ses choix, souvent tranchés. Ce qu’il aimait dans son métier, c’était la richesse et la diversité des gens qu’il était amené à rencontrer dans son bureau. Chacune des personnes qu’il côtoyait avait forcément une histoire des plus intéressantes. Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était quand il avait fini un dossier et qu’il le remettait à sa secrétaire afin qu’elle rentre toutes les données dans son ordinateur pour confirmer officiellement que la personne est bel et bien devenue juive.

Quelques semaines après le bain rituel, un certificat de conversion arrive dans la boîte aux lettres de la personne qui commence pleinement sa vie juive, comme tout à chacun. Le rabbin Sitbon était loin de se douter que, dans sa hâte d’aller chercher son fiston, il allait commettre l’une des bavures les plus graves de carrière….

Marion/Sarah

Ilan et moi avions rendez-vous dans un petit café de Montmartre. Si mes souvenirs sont bons, c’était le même qui avait servi de lieu de tournage pour le film célèbre. J’étais assez nerveuse à l’idée de revoir Ilan, car je savais qu’il n’y avait plus d’obstacles, plus de barrières entre nous deux. Il y avait la place pour que quelque chose de sérieux démarre peut-être entre nous. Bien sûr, je savais que, depuis mon passage au Mikvé, j’avais une ardoise vierge de ‘Avérot (fautes), un peu comme après Kippour, où l’on recommence l’année avec une page toute blanche. On efface tout et on essaye de ne pas recommencer les mêmes fautes. Je me disais que je n’avais pas fait ces quatre ans pour m’abandonner complètement. il était clair que si je voulais entamer une relation saine et Cachère, ce serait en tant que Chomérèt Négui’a. Ce mode de fréquentation consiste à ne pas toucher l’homme que l’on voit jusqu’au jour de la ‘Houppa. Cependant, ce n’était pas la seule raison pour laquelle je voulais voir Ilan aujourd’hui. Je ressentais un vif besoin de me confier, car mes sentiments étaient confus. J’étais très heureuse d’avoir atteint mon but, sauf que je ressentais également un grand vide. Comme si je n’avais plus de but dans ma vie. Je n’avais pas le temps de me poser plus de questions sur mes émotions, car je voyais Ilan arriver dans ma direction, assez essoufflé. Il s’excusait d’être en retard, en m’expliquant qu’il y avait eu un problème de métro.

– Ne t’en fais pas. L’essentiel c’est que tu sois là.

– Garçon ? Un café s’il vous plaît ! Alors, raconte-moi tout ! Contente ?

– Oui, si on veut…

– Tu devrais sauter de joie, tu as travaillé tellement dur !

– Je suis heureuse, mais, depuis la semaine dernière, je me sens… vide de l’intérieur. Avec la peur de ne plus savoir quoi faire de tout ce temps que je consacrais à l’étude. Tu vois, chaque fois que j’avais un moment de libre, je le consacrais aux révisions pour ma conversion et maintenant, qu’est-ce que je vais devenir ?

– Ce que tu vis est tout à fait normal ! C’est comme quand on passe un examen très important, on révise, révise, révise et hop, comme un soufflet, la tension redescend petit à petit. Sauf que, dans ton cas, tu pourras toujours continuer d’étudier, et pourquoi pas m’apprendre…

– C’est une idée ! J’ai bien essayé, mais je ne peux plus regarder physiquement un livre sans ressentir une boule au ventre.

– Oui, mais là est le challenge ! Avant d’être juive, tu étudiais pour être prête à un examen, mais maintenant, tu n’as plus d’enjeu, sauf celui d’étudier pour D.ieu ! Et mieux pratiquer Torah et Mitsvot.

– C’est vrai que j’ai hâte de pouvoir être à Chabbath prochain pour commencer cette nouvelle vie !

– Justement, en parlant de nouvelle vie…

Mon coeur battait à la chamade. J’avais tellement repoussé de fois l’idée qu’Ilan et moi, nous pourrions un jour être ensemble, que j’avais l’impression d’avoir retenu pendant des mois cet amour que je ressentais pour lui. Même si nous avions eu des hauts et des bas, à présent, j’étais sûre qu’il était fait pour moi.

– Marion… pardon, Sarah, tant que ta situation n’était pas réglée, tu ne voulais pas t’engager, mais désormais, rien ne t’empêche de revenir habiter sur Paris pour de nouveau se voir, et, qui sait...

Je souriais à pleines dents tant j’étais heureuse et je terminais sa phrase par :

– Oui, qui sait ? Peut-être que cela va nous mener quelque part.

Et là, il avait avalé son café d’un trait et prononça ces mots qui allaient changer nos vies à tous les deux :

– Sarah, veux-tu m’épouser pour qu’ensemble nous construisions un foyer juif ?

Je me souviens que les larmes avaient coulé le long de mes joues lorsque je répondais un timide oui. Maladroits de ne pas pouvoir nous prendre dans les bras pour célébrer ce moment, c’était des « je t’aime » verbaux qui étaient venus compléter l’un des moments les plus heureux de ma vie.

Pour célébrer nos fiançailles, Ilan et moi avions demandé l’addition pour aller vite l’annoncer à nos proches. Je pensais à mes parents, la famille Bismuth, et surtout à mon autre famille que j’avais laissée à Caen, le rabbin Cohen et sa femme qui avaient si bien su m’entourer. Il était évident que je voulais que ce soit eux qui nous préparent au mariage. Ilan aussi voulait me présenter à sa famille au grand complet et ses amis proches. Ce fut des instants de grandes joies et de bonheur pour tous les deux.

Au fur et à mesure que les jours passaient, nous commencions à préparer activement notre mariage. Mon nouveau fiancé me faisait part de son envie de célébrer la cérémonie en Israël, pour éventuellement s’y installer pour de bon. De mon côté, je trouvais que cela faisait beaucoup pour moi. Quand j’avais fait part de mes doutes à Ilan, il avait balayé d’un revers de la main toutes mes questions et c’était tête baissée que j’avais accepté ma future Aliyah…

En se garant près de l’école, angoissé, le Rabbin Sitbon avait couru chercher le petit Levy-Isaac, qui était souvent sujet à cette fièvre qui venait et repartait pendant trois jours entiers. On avait détecté la maladie génétique de son fils quand il avait trois ans. Les spécialistes lui avaient dit que ce n’était pas grave, mais assez contraignant au quotidien. Depuis, le petit Levy prenait un traitement en prévention des crises douloureuses qu’il subissait régulièrement. Heureusement que les enseignants de l’école se montraient compatissants envers ses absences à répétition. Le Rav montait les étages quatre par quatre pour trouver son enfant, une fois de plus, étendu sur le lit de l’infirmerie. Il le prit dans ses bras en évitant de le réveiller. Il savait que le petit allait avoir du mal à dormir à cause des douleurs qui n’allaient pas tarder à le réveiller et le faire délirer. Il se disait souvent qu’il n’y avait rien de pire que de voir son enfant malade. Il l’emmena jusqu’à la voiture, oubliant complètement sa sacoche qui refermait les dossiers à étudier, qui resteront plus de trois jours sans que personne ne pense une seule seconde à la femme de ménage du Mikvé de Belleville qui ne savait pas lire. Si quelqu’un avait pris la peine de regarder de plus près les papiers qui trainaient par terre, il aurait très certainement hurlé à la dame de ne surtout pas les jeter dans la poubelle avec autant d’insouciance.

Le lundi matin, le rabbin Sitbon était de retour au travail, malgré la fatigue qui se lisait sur son visage. La dernière crise en date que son fils avait subie l’avait épuisée. Lui et sa femme n’avaient pas beaucoup dormi, car ils avaient dû jongler entre les nuits en pointillées de Levy-Isaac et le reste de la fratrie, qui réclamait aussi de l’attention. Les dossiers de conversion du consistoire de Paris lui étaient passés par-dessus le chapeau. Il avait dû gérer d’autres problèmes relationnels liés aux gens de sa communauté. Cela avait été une rude semaine, doublé d’un rude week-end, comme on dit. Il était arrivé au bureau de bonne heure pour rattraper le retard qu’il avait accumulé. Le souci, c’est qu’il eut la désagréable surprise de trouver dans la salle d’attente un ancien candidat recalé, Monsieur Pollin, qui avait décidé de lui faire savoir toute sa frustration et tout le bien qu’il pensait de « ces escrocs barbus » !

Notre rabbin avait, à maintes reprises, expliqué à ce monsieur au caractère nerveux et colérique que, tant qu’il n’avait pas décidé de mettre les Téfilines tous les matins et de fermer ses magasins le Chabbath, aucun rabbin digne de ce nom ne lui donnera sa conversion. Monsieur P. avait une fois de plus claqué la porte en affirmant que personne ne le comprenait, en hurlant que quelqu’un allait payer pour tout le mal qu’on lui faisait !

Un peu ébranlé par cet échange musclé, le rabbin Sitbon avait un peu le moral en berne et la fatigue se faisait de plus en plus ressentir. Vers 15h, ne tenant plus, il avait prévenu sa secrétaire qu’il prenait le reste de son après-midi pour rentrer chez lui. Il dévala les marches du consistoire sans se douter qu’on le suivait. Il se rendit au -2 pour aller chercher sa voiture et démarra. Sans rien voir venir, une voiture lui fonça droit dessus et le tua sur le coup…

Avant de mourir, le rabbin Sitbon eut juste le temps d’apercevoir qui était le conducteur qui avait volontairement appuyé sur l’accélérateur ! Très vite, une enquête policière avait été ouverte et, après seulement neuf jours, Monsieur Pollin a été inculpé pour homicide volontaire.

Marion-Sarah

Le voyage organisé en Israël pour planifier notre mariage s’était très bien passé et il me tardait d’y être ! Nous en avions profité pour avoir une idée plus précise du lieu où nous voulions nous installer après notre union. Nous avions trouvé une toute petite location à un prix raisonnable. Il n’y avait plus qu’à aller retirer notre dossier de mariage au consistoire pour commencer les démarches. D’ailleurs, j’en profiterai pour demander mon certificat de conversion. J’étais censée le recevoir par la poste, mais je n’avais toujours rien reçu. Lorsque j’en avais parlé à Ilan, il m’avait conseillé de m’y rendre dès le lendemain, car nous avions absolument besoin de ce papier si nous voulions faire avancer les choses au plus vite. L’agence juive aussi allait me demander mon certificat. Vu l’importance de ce document, je m’en voulais un peu d’avoir été aussi négligente. Je comptais bien rectifier mon erreur, sauf que… lorsque j’étais arrivée au service des conversions, j’avais été très surprise de trouver une nouvelle secrétaire. On ne peut pas dire que l’ancienne allait me manquer, vu son taux de sympathie qui n’était pas élevé, mais, au moins, elle me connaissait. Je me présentais à Madame Levy et, très vite, elle me fit part du décès du rabbin Sitbon. J’en avais eu le souffle coupé de tristesse et, très vite, j’avais fondu en larmes. La secrétaire avait eu la gentillesse de me proposer un verre d’eau et un mouchoir. Une fois le choc passé, je lui avais fait part de la raison de ma présence initiale. Elle pianota sur son ordinateur pour me regarder d’un drôle d’air :

– Vous êtes sûre de la date de votre Mikvé ?

– Ah oui, tout à fait sûre ! Pourquoi ?

– C’est curieux, je ne vous trouve pas.

– Mais attendez, c’est impossible ! Je suis passée le 21 avril à 14h45 au Mikvé de Belleville, il y a moins de trois mois.

– Désolée mademoiselle, mais il n’y a aucune trace informatique. Bon, je vais regarder aux archives. Votre dossier ne doit pas être bien loin.

Plus Madame Levy cherchait, plus une boule à la gorge me montait. Paniquée, je demandais à intervalle régulier :

– Alors, vous trouvez ? Et maintenant ? Cherchez à mon prénom peut-être ?

– Écoutez Mademoiselle, je ne vois aucune trace de votre dossier. Je vais demander aux rabbins présents.

La secrétaire partit à la recherche d’informations pour revenir avec une mine sévère, accompagnée d’un monsieur que je ne connaissais pas.

– Ma secrétaire vient de m’informer que vous êtes venue réclamer votre certificat de judaïcité, n’est-ce pas ?

– Oui, j’ai eu mon Mikvé le 21 avril à…

– Sous la supervision du rabbin Sitbon ?

– Oui, tout à fait. J’ai plusieurs témoins qui peuvent prouver que j’ai eu ma conversion. Rien que le rabbin Cohen de Caen pourra témoigner en ma faveur.

– Bon, entrez dans mon bureau, nous allons en discuter.

Après m’avoir écouté, le nouveau rabbin m’avait demandé par écrit le plus de témoignages possible. Il croyait en ma bonne foi et m’avait expliqué que le service avait égaré les dossiers de quatre candidats qui s’étaient mystérieusement envolés dans la nature. Il m’avait dit de ne pas trop m’en faire, car, au pire des cas, nous allions procéder à un Guiyour Lé’houmra.

– Un quoi ?

– Un Guiyour Lé’houmra veut dire que, comme il y a un doute sur votre conversation du fait que nous n’avons pas de preuves écrites, mais que plusieurs témoins fiables assurent que votre conversion est Cachère, vous n’allez pas refaire tout le processus, mais simplement vous tremper au Mikvé une nouvelle fois, mais sans bénédiction.

Un peu sonnée par cette nouvelle étape, j’avais essayé de ne pas prendre trop mal la nouvelle. C’est ainsi que, quelques jours plus tard, une fois tous les documents réunis, je renouvelais pour la seconde fois mon bain rituel.

Au bout de cinq mois de préparatifs, mon fiancé et moi-même étions mariés. Notre mariage avait été célébré en Israël, comme prévu. J’avais demandé au rabbin Cohen de venir nous bénir, mais son emploi du temps ne le permettait pas. Même si j’étais un peu triste que lui et sa femme ne puissent assister à ce jour si important pour moi, danser avec mon amie par qui tout avait commencé était tout un symbole. J’avais été ravie d’apprendre que, pendant son année de séminaire, son Rav lui avait organisé plusieurs Chiddoukhim, dont le dernier avait été concluant. Mademoiselle Bismuth allait épouser un jeune anglais. En conséquence, Ilana allait habiter à Londres, dans le quartier juif de Golders Green. J’étais heureuse pour elle autant qu’elle était heureuse pour moi.

On pouvait voir sur les photos de mariage à quel point j’étais fière de tenir ma Kétouba entre mes mains. Le seul petit souci qui, à l’époque, n’avait pas son importance à nos yeux, c’était que le statut de “Guiyour Lé’houmra” avait été noté à la place du statut classique de “Guiyour”.

Deux mois plus tard, au comble de notre bonheur, je tombais enceinte de ma princesse, Batshéva.

Et puis, un jour, trois ans plus tard, j’avais reçu un coup de fil d’Angleterre : Ilana m’annonçait qu’elle venait d’avoir un petit garçon. Elle m’avait prié de venir assister à la Brit Mila. C’était non sans embuches qu’elle et Joshua avaient enfin goûté au bonheur de devenir parents à leur tour.

Dès que j’avais raccroché, j’avais appelé mon mari pour lui annoncer la bonne nouvelle et lui expliquer qu’il m’était impensable de ne pas assister à cette grande joie. Il m’avait demandé d’en parler à mon médecin, pour savoir s’il était conseillé de voyager dans mon état, car j’étais enceinte de sept mois. Je lui avais répondu :

– C’est à partir du huitième mois que c’est interdit, pas avant. Je vais prendre deux billets, un pour moi et un pour Batshéva, parce que je sais que tu ne peux pas t’absenter à cause de ton travail. On part trois jours, tu es d’accord ?

Il m’avait répondu oui, même si je sentais qu’il n’était pas tranquille. Et, comme un sixième sens, le vol Tel-Aviv/Londres avait été très difficile et les turbulences du voyage ne m’avaient pas épargnée. Si bien qu’à peine avions-nous atterri que j’avais senti des contractions qui m’indiquaient clairement que le travail avait déjà commencé avec trois mois d’avance. J’avais à peine eu le temps de demander en urgence à un douanier d’appeler une ambulance. Ma petite Batshéva avait été prise en charge par les ambulanciers et, le temps d’arriver à l’hôpital le plus proche, mon fils poussait déjà son premier cri, alors qu’au même moment, je rendais mon dernier souffle…

De là où j’étais, j’avais vu les services sociaux prendre mes enfants en charge. Ilan mettra vingt-quatre heures pour comprendre ce qui nous était arrivé. Il se sera battu comme un lion pour récupérer la garde de nos enfants, mais hélas, il tombera dans une grave dépression, due à mon deuil, ce que l’état londonien jugera inapte pour s’occuper de nos propres enfants.

C’est pour cela que je ne suis jamais vraiment partie. Je me devais de veiller sur tous les trois. Je ne retrouverai le repos que lorsque je saurais que mes enfants seront déclarés comme de vrais juifs à part entière. Car hélas, mon bien-aimé avait égaré ma Kétouba et le reste de mes papiers personnels. Bien sûr que le consistoire avait une trace, mais quand Batshéva était venue pour retirer son dossier pour se marier, par précaution due à ce flou autour de ma renaissance en tant que juive, ils avaient préféré qu’elle et mon petit Benjamin régularisent leur statut et repassent par le Mikvé à leur tour. C’est pour cette raison que, lorsque j’ai vu ma fille s’installer dans ce wagon, devant le rabbin Cohen, je lui ai donnée la force d’aller lui parler. Elle qui est une grande timide…

– Et voilà Mademoiselle, vous connaissez toute l’histoire de votre mère.

– Mais alors… je suis juive ! Je le savais ! Je l’ai toujours su au fond de moi. C’est pour ça que je me rendais à Caen dans l’espoir de vous parler.

– C’est chose faite ! Vous êtes aussi juive que moi ! Seulement, nous n’avons jamais pu le prouver. Où en êtes-vous dans votre processus ?

– J’ai presque fini et mon petit frère aussi.

– A la bonne heure ! Dès qu’on arrive, je vais appeler mon épouse pour lui expliquer qui vous êtes ! Elle sera folle de joie ! Bien évidemment, vous passerez Chabbath chez nous. Sans discussion.

C’est sur ces paroles que je sentais pour la première fois ma Néchama remonter tout doucement vers Hachem. J’ai toujours pensé que l’on voit le film de sa vie quand on décède pour de vrai, alors que pas du tout… Mon âme apaisée voyait défiler le mariage de ma fille et de mon fils. À eux deux, ils me donneront plus de neuf petits-enfants, dont trois qui vont devenir des grands érudits en Torah. Et c’est seulement pour cela que je savais que ma mission, même si elle avait été de courte durée, avait été remplie ! Moi, Sarah, j’avais donné une nouvelle lignée de juifs tous pratiquants. Aux portes du ciel, Hachem Lui-même et Ses anges étaient venus m’accueillir en me disant :

– Eh bien ! Tu en as mis du temps pour revenir ! Viens, viens voir Sarah ce qui t’attend ! Une grande fête a été préparée en ton honneur ! Que la Sim’ha (joie) commence…