Ceux qui ont suivi l’actualité de la Cacheroute ont probablement entendu toutes sortes d’imprécations à l’encontre de la figue. Celle-ci serait habitée par d’innombrables intrus, interdits à la consommation. Par conséquent, il serait impossible de consommer des figues sans risquer d’enfreindre de nombreux interdits de la Torah.

D’un autre côté, la figue fait partie des 7 fruits d’Israël, à partir desquels la Torah loue les mérites de la terre d’Israël.

Dès lors, il devient difficile de comprendre comment un fruit aussi prestigieux et vanté dans la Torah peut poser tant de problèmes de Cacheroute.

Je vous propose un tour d’horizon de la problématique de la figue, à travers les écrits talmudiques et la littérature rabbinique de nos jours, en passant par les décisions des maîtres de notre génération, et les analyses scientifiques.

I- L’importance de la figue dans la Torah :

La figue est maintes fois mentionnée dans les écrits talmudiques. Il ne fait aucun doute que la figue était consommée par les maîtres du Talmud. La figue était un aliment tellement courant que son volume était utilisé comme unité de mesure.[1] On sait qu’à l’époque talmudique, la figue était consommée fraîche ou séchée. On constituait notamment des pains de figues sèches. Il s’agit d’une agglomération de figues à laquelle on donnait une forme arrondie. On la laissait sécher. On coupait ensuite des tranches à la hache[2], et on les consommait ainsi.

Autre preuve que la figue peut être consommée : la figue est citée dans la Torah comme l’un des sept fruits par lesquels la terre d’Israël est louée : “Une terre qui produit du blé et de l'orge, du raisin, des figues, et des grenades, une terre d’olives huileuses et de miel.”[3]

Cela a une incidence sur la Halakha, la loi juive. En effet, lorsqu’il y a plusieurs aliments à notre disposition, il y a un ordre de priorité, pour savoir sur quel aliment nous allons réciter la bénédiction en premier.

Lorsqu’il y a l’un des sept fruits d’Israël, c’est lui qui a priorité par rapport aux autres fruits. Au sein des fruits d’Israël, l’ordre de priorité est le suivant :[4]

  1. Blé
  2. Orge
  3. Olive
  4. Datte
  5. Raisin
  6. Figue
  7. Grenade

La figue arrive en 6ème position, c’est-à-dire avant la grenade. Donc, non seulement il est permis de consommer la figue, mais, en plus, c’est une Mitsva de faire la bénédiction sur la figue plutôt que sur la grenade. Or, lorsqu’on fait une bénédiction sur un fruit, on doit le consommer immédiatement après la bénédiction.

Les membres de certaines communautés juives ont même l’habitude de consommer des figues lors du Séder de Roch Hachana pour réciter une formule des souhaits de bénédiction pour l’année à venir.[5]

Enfin, dans son Kitsour Choul’han ‘Aroukh, le Rav Chlomo Ganzfried écrit dans un chapitre consacré à l’hygiène du corps : “Les figues, le raisin, les grenades sont toujours bons, soit frais, soit séchés, et l’on peut en manger à satiété. Cependant, on n'exagérera pas leur consommation, bien qu’ils soient les meilleurs fruits des arbres.”[6]

Pourtant, il est clair que les figues fraîches comme les figues sèches sont souvent infestées. Nous allons tâcher de comprendre pourquoi elles sont tellement infestées, et pourquoi la Torah et nos Sages nous ont, malgré tout, toujours permis d’en consommer, avec certaines précautions toutefois.

II- Pourquoi la figue est-elle tellement infestée ?[7]

Tout d’abord, il faut savoir que certaines figues sont infestées par essence. En fait, dans le sens biologique du terme, la figue n’est pas un fruit, mais une inflorescence, c’est-à-dire une sorte de poche qui contient des dizaines de fleurs. Les fleurs de la figue, ce sont les petits filaments blancs à l’intérieur de la figue. Au bout de ces fleurs, des petites graines. Ces petites graines sont les véritables fruits de la figue (au sens biologique).

Le figuier vit en symbiose avec une sorte de guêpe appelée le blastophage. Pour se reproduire, le blastophage a besoin du figuier, ou, plus précisément, de la figue.

De même, pour se reproduire, le figuier a besoin du blastophage.

En fait, il y a des figuiers mâles, appelés caprifiguiers, dont les figues ne sont pas comestibles, et des figuiers femelles, appelés figuiers domestiques, dont les figues sont comestibles.

- Les figues qui proviennent des figuiers mâles ont des fleurs mâles et des fleurs femelles.

- Les figues qui proviennent des figuiers femelles n’ont que des fleurs femelles.

Voici comment les blastophages vivent en symbiose avec les figuiers :

1- Les blastophages femelles pénètrent dans les figues des figuiers mâles et pondent leurs œufs dans les fleurs femelles. En pénétrant dans la figue, le blastophage femelle apporte avec elle du pollen qui provient du figuier mâle, dont elle est elle-même sortie (après sa naissance). En entrant dans la figue, le blastophage femelle ne peut plus en sortir. Elle perd généralement ses ailes lors de son entrée.

 

Blastophage femelle, reconnaissable à ses ailes.

2- Les larves des blastophages mâles se développent avant les larves des blastophages femelles. Les mâles viennent féconder les femelles alors qu’elles sont encore dans les fleurs.

 

                Coupe longitudinale d'une figue desséchée de Caprifiguier. Chaque fruit de figue contient un jeune Blastophage adulte. Les points noirs et brillants sont des femelles de blastophages.

3- Les mâles vivront toute leur vie dans la figue. Les femelles sortiront pour entrer dans un autre figuier en apportant à nouveau le pollen du figuier mâle d’où elles sont nées. Certains blastophages femelles trouveront domicile :

 

Blastophage mâle. Il n’est pas ailé.

- soit dans un figuier femelle, auquel cas le blastophage ne pourra pas pondre ses œufs (car la forme des fleurs du figuier femelle est inadaptée). Le blastophage femelle sera donc pris au piège, mais il permettra la fécondation et donc la reproduction du figuier femelle grâce au pollen emporté par le blastophage.

 

Figue d’un figuier femelle, avec mise en évidence d’une fleur femelle. Les fleurs femelles des figuiers femelles sont trop longues pour permettre aux blastophages femelles d’y pondre leurs œufs.

- soit dans un figuier mâle, auquel cas le blastophage pourra entamer un nouveau cycle de production de son espèce.

En d’autres termes, il est normal que la figue soit infestée, du moins dans un grand nombre de figuiers, puisque les figues fécondées qui assurent la reproduction de l’espèce contiennent au moins une blastophage femelle.

Ces types de figuiers qui vivent en symbiose avec les blastophages sont très courants, en Turquie notamment.

Cependant, il existe également des variétés de figuiers Parthénocarpiques, que l’on retrouve notamment en France et en Israël. Ce sont des figuiers domestiqués qui peuvent se reproduire sans fécondation.

Hormis les blastophages, les figues comestibles peuvent être infestées par de nombreux intrus :

- des larves de mouches (en surface de la figue ou à l’intérieur de la figue),

- des larves de mites ou de coléoptères (à l’intérieur de la figue).

Nos maîtres de l’époque talmudique n’ignoraient pas que la figue était couramment infestée.

Il est ainsi rapporté dans le traité Baba Batra : “Il est de notoriété publique que lorsqu’une personne vend des figues à son prochain, l’acheteur accepte à l’avance que 10% des figues soient infestées.”[8]

En outre, il est rapporté dans le Midrach Rabba que Rabbi 'Akiva et ses disciples avaient coutume d’étudier le Chabbath, sous un figuier. À la saison où les figues furent parvenues à maturité, le propriétaire vint chaque jour de bonne heure pour cueillir les figues mûres. Les disciples de Rabbi 'Akiva décidèrent de se déplacer afin de ne pas l'importuner, parce qu’ils craignaient que le propriétaire ne les soupçonne de voler les figues. Ils s’en allèrent et s’installèrent ailleurs. Le lendemain, lorsque le propriétaire se leva de bonne heure, il ne trouva pas les Sages. Il en fut contrarié, car il était honoré par leur présence sous son figuier. Il les chercha jusqu’à les trouver. Il leur demanda :

- Mes maîtres, vous m’accordiez un bienfait par votre présence, et vous décidez maintenant de m’en dessaisir ?

- À D.ieu ne plaise !

- Dans ce cas, pourquoi avoir quitté mon figuier pour un autre endroit ?

- Nous craignions que tu ne nous soupçonnes de te voler !

- À D.ieu ne plaise. En fait, si je me lève de bonne heure chaque matin pour cueillir les figues, c’est parce que, dès que le soleil brille sur les figues, elles sont infestées.

Immédiatement, ils retournèrent sous le figuier, prirent une figue mûre et l’ouvrirent. Elle était infestée. Ils s’exclamèrent : “Le propriétaire a bien parlé !”.[9]

III- Quelles sont les recommandations des spécialistes contemporains sur la consommation des figues ?

En définitive, les figues sont très infestées depuis toujours, mais cela n’a jamais empêché nos maîtres de les consommer. En fait, contrairement aux rumeurs, aucun rabbin contemporain s’étant spécialisé dans la vérification des aliments n’a interdit catégoriquement la consommation de la figue. Ils ont juste recommandé la plus grande prudence, tant le risque est élevé. Or, chaque bête ingérée représente de quatre à six interdits.[10] Même les surveillances rabbiniques les plus prestigieuses commercialisent des figues sèches avec leur tampon de Cacheroute, en précisant sur l’emballage : “Bien vérifier avant la consommation”.

En outre, dans son guide de Cacheroute publié annuellement, le Badatz de la ‘Eida Ha’harédit avertit : “Dans les figues sèches, on trouve fréquemment des bêtes variées (...). Or, compte tenu de la forme du fruit, il est très difficile de le vérifier, en particulier lorsque le fruit est sombre. Si on n’a pas l’expertise requise pour effectuer une vérification méticuleuse, on a un risque élevé de transgresser l’interdiction de consommer des bêtes. Il est souhaitable pour toute personne craignant D.ieu de ne pas les consommer du tout.”[11]

Méthode recommandée par Rav Moché Vayé :[12]

Figues fraîches :

  1. On rince abondamment la figue. On ôte les éventuels pucerons en surface du fruit, ainsi que l’opercule (c’est l’ouverture, en bas de la figue),
  2. On ouvre la figue en deux, et on retourne la figue, chair vers l’extérieur, pour accroître la visibilité entre les graines, et on scrute la présence éventuelle de larves blanches,
  3. Si le fruit est propre, on le met dans un récipient transparent rempli d’eau, chair face à l’eau, et on vérifie si des larves blanches en sortent.

Si pendant une seule de ces étapes on aperçoit une bête, il ne faut pas consommer la figue.

Figues sèches :

  1. On vérifie sur la surface extérieure du fruit la présence éventuelle d’acariens minuscules (mais visibles à l’œil nu),
  2. On rince abondamment la figue sur la surface extérieure,
  3. On coupe l’opercule (c’est l’ouverture, en bas de la figue),
  4. On coupe la figue en deux et on l’observe attentivement à la lumière.

Si pendant une seule de ces étapes on aperçoit une bête, il ne faut pas consommer la figue.

Ajoutons un dernier élément :

Les figues sèches vendues dans le commerce sont séchées dans des fours et non au soleil. Autrement dit, elles sèchent pendant une période inférieure à douze mois. Mais si une personne conserve des figues pendant une période de douze mois, on n’aura pas besoin de vérifier l’intérieur des figues, si elles ne présentent pas de signe d’infestation extérieur. En effet, au niveau de la Halakha, les bêtes sont considérées comme désagrégées et donc annulées après une période de douze mois.[13] Leur progéniture éventuelle est autorisée à la consommation, car toute bête qui est née dans un fruit détaché de l’arbre est permise à la consommation tant qu’elle n’en est pas sortie.[14] C’est sans doute pour cela que les Sages de l’époque talmudique pouvaient consommer des pains de figues. Ces figues avaient probablement été séchées pendant plus de douze mois. Or, si la face extérieure du pain de figue était intacte, il était permis de consommer ce mets sans autre vérification.


[1] Le volume d’une figue sèche (Groguérèt) est fréquemment utilisé dans le Talmud. Par exemple, une personne qui a transporté le Chabbath un objet d’un domaine public à un domaine privé n’est sanctionnable que si le volume de l’objet correspondait au volume d’une figue sèche.

[2] Traité Chabbath, chapitre 17, Michna 2.

[3] Deutéronome, 8, 8. Le miel dont il est question ici représente la datte, qui est mielleuse.

[4] Choul’han ‘Aroukh Ora’h ‘Haïm 211, 4. Cet ordre de priorité dépend de la place du fruit dans le verset par rapport au mot “terre” : plus le fruit évoqué est proche du mot “terre”, plus le fruit est prioritaire pour la bénédiction.

[5] Les Juifs originaires de Tunisie formulent notamment le souhait suivant : “Que soit Ta volonté devant Toi, Éternel notre D.ieu et D.ieu de nos pères, que cette année à venir soit pour nous bonne et douce comme la figue”.

[6] Kitsour Choul’han ‘Aroukh, chapitre 32, alinéa 16.

[7] Toutes les données scientifiques et les clichés contenus dans cette partie proviennent d’une étude réalisée par Roger Prat et Jean-Pierre Rubinstein, de la Sorbonne.

[8] Traité Baba Batra, chapitre 6, Michna 2.

[9] Midrach Chir Hachirim Rabba, chapitre 6.

[10] Traité Makot 16b.

[11] Il est intéressant de constater que dans ce guide annuel la ‘Eida Ha’Hareidit cite comme référence le Kitsour Choul’han ‘Aroukh du Rav Chlomo Ganzfried (Chapitre 46, Alinéa 39). En fait, il n’y a pas de contradiction avec ce que nous disions au niveau de la note 6. En réalité, ici le Rav Ganzfried met en garde contre certains fruits et légumes qui sont tellement infestés, qu’une personne qui craint D.ieu s’abstiendra d’en consommer, mais il ne mentionne pas la figue.

[12] Bdikat Hamazon Kéhalakha, Volume 2, page 551.

[13] Choul’han ‘Aroukh YD 84.8.

[14] Choul’han ‘Aroukh YD 84.4.