Mon père est toujours prêt à raconter des blagues sur le mariage. L’une qui déclenche inévitablement des rires est celle-ci : « Je suis marié depuis quarante ans, mais j’ai l’impression que ça fait deux jours… (pause pour que l’assistance puisse s’exclamer : ouah !) Yom Kippour et Ticha’ Béav ! ». Bien qu’il soit satirique d’assimiler le mariage à un jeûne de 25 heures, malheureusement, de nombreux couples mariés depuis longtemps pensent que cette blague contient une parcelle de vérité. Ils réfléchissent à leur mariage en se demandant s’ils ont été en quelque sorte enivrés par l’enthousiasme et qu’on les a persuadés de se marier. On dirait qu’ils sont coupables d’avoir contracté un engagement sous influence.

Les Juifs ont été confrontés exactement au même problème le jour de leur mariage il y a 3300 ans : Matane Torah, le don de la Torah. La Torah affirme (Chémot 19, 17) : « Moché fit sortir le peuple du camp au-devant de la divinité et ils s’arrêtèrent au pied de la montagne. » La Guémara dans Chabbath 88a dit : « Hachem a tenu la montagne au-dessus de la tête du peuple comme un tonneau (pour la bière/l’alcool) et a dit : "Si vous acceptez la Torah, très bien, mais dans le cas contraire, ce sera votre tombeau". »

Pourquoi D.ieu a-t-Il eu recours à un fût pour contraindre les Juifs ?

Rabbi Shimon Schwob explique que cette Guémara traduit l’état affectif des Juifs au moment où ils ont reçu la Torah. Ils étaient inondés de miracles exprimant l’amour du Maître de l’univers à leur égard. Ils ont assisté aux plaies d’Égypte, à l’ouverture de la mer, ils ont vu la nourriture céleste, la défaite d’Amalek et d’innombrables autres miracles qui ont créé de l’affection en eux pour D.ieu. Toutes ces expériences les ont contraints à vivre un engagement sous influence. Tout comme l’alcool obstrue la clarté de pensée, le peuple juif était ivre des miracles. Cette forme d’engagement était superficielle et serait confrontée aux défis lorsque l’orchestre cesserait de jouer, au moment de l’extinction des feux. Le niveau de pratique des Juifs allait diminuer alors que les miracles de leur Bien-aimé devenaient de plus en plus subtils et dissimulés dans la nature.

La Guémara poursuit : « Néanmoins, les Juifs ont accepté à nouveau la Torah à l’époque d’A’hachvéroch. » Et Rachi d’expliquer : « En raison de l’affection pour le miracle réalisé pour eux. » Le miracle de Pourim ne s’est pas déroulé en un clin d’œil, il a eu lieu sur une durée de neuf ans. Les Juifs de Perse étaient plongés dans l’obscurité. Il n’y avait pas de miracles visibles, tout se déroula par des moyens « naturels » au jour le jour. C’est uniquement en méditant que les Juifs réalisèrent que D.ieu veillait sur eux avec attention et affection. A ce moment-là, ils approfondirent leur engagement, par amour sincère, et non par simple engouement éphémère. Les Juifs étaient prêts à observer la Torah dans toutes les circonstances.

La manière d’intensifier nos engagements personnels doit suivre celle des Juifs de Perse. Que ce soit dans le domaine du mariage ou de notre observance personnelle de la Torah, il est faux de croire que la passion pour nos engagements était supérieure lorsque nous étions jeunes et que tout était captivant. Notre mariage et les bons vieux jours de la Yéchiva ou du séminaire étaient des expériences d’engagement sous influence : c’était une forme plus superficielle d’engagement. Une forme d’engagement plus profonde et durable se développe uniquement au sein de l’obscurité du quotidien. Nous devons constamment songer à notre conjoint et considérer la gentillesse, la sécurité, la préoccupation, les soins et l’amour qu’il nous prodigue au jour le jour de manière subtile. Nous devons être attentifs lorsque nous comptons toutes les bénédictions et les miracles subtils que D.ieu nous confère à chaque instant. Les choses qui suscitaient notre admiration ne sont peut-être pas apparentes, mais elles existent toujours sous la surface. Après tout, la nature est en réalité constituée des miracles dont l’existence nous est devenue familière.

Rav Pinny Roth