La paracha de Devarim est toujours un moment particulier de notre calendrier que nous abordons avec une certaine émotion. En effet, il s’agit d’une part du début du dernier livre de la Torah, du pentateuque, le livre de Devarim ou Deutéronome. A ce titre, il se présente davantage comme une synthèse des livres précédents plutôt que comme leur suite, et il semble à maints égards, une rétrospective et un testament spirituel de Moïse, le plus grand prophète et leader que notre peuple ait connu.

En outre, cette paracha précède toujours le jeûne du 9 Av, durant lequel nous commémorons de nombreux drames qui ont émaillé la vie de notre peuple, et notamment l’un des épisodes les plus tristes de notre histoire, la destruction du Temple de Jérusalem et les premiers exils du peuple Juif.

Voilà donc un programme lourd pour cette semaine et un défi pour notre quête du bonheur au fil de la paracha. Pour autant, comme nous le savons, le judaïsme n’est pas une religion du désespoir ou du renoncement, il trouve une raison d’espérer dans chaque situation, fut-elle dramatique, et c’est probablement ce qui a permis à notre peuple de résister et traverser l’Histoire, avec l’aide d’Hachem.

Et de fait, notre peuple trouve des raisons d’espérer notamment dans la promesse éternelle de la rédemption finale, à travers la venue du Machiah’, la résurrection des morts et la reconstruction du Temple de Jérusalem. Ces principes font partie des piliers fondamentaux de la foi juive, tels qu’exprimés par Maimonide à travers le fameux « Ani Maamin be emouna shelema be-viat hamashiah’ » « Je crois d’un cœur entier en la venue du Machiah ».

Cette espérance est rappelée dans des termes forts et définitifs dans notre paracha, et elle prend un relief tout particulier dans cette période difficile qui précède Ticha be Av. Mentionnons en effet ces versets au début de notre texte : « L'Éternel, votre Dieu, vous a fait multiplier, et vous voilà, aujourd'hui, nombreux comme les étoiles du ciel. Veuille l'Éternel, Dieu de vos pères, vous rendre mille fois plus nombreux encore et vous bénir comme il vous l'a promis ! » (Deutéronome, 1-10.11).

Le Maguid de Douvno donnait une belle parabole pour aider à comprendre ces versets de manière plus profonde. Imaginons un homme qui rentre chez lui, fatigué par une dure journée de labeur, et affamé. Il demande à sa femme de passer à table, et celle-ci lui demande de patienter un peu, elle lui a préparé un repas succulent mais qui n’est pas encore prêt. Après quelques minutes, l’homme demande encore à passer à table, il ne peut plus attendre. Et son épouse de lui demander à nouveau de patienter le temps que les mets succulents qu’elle lui a préparés finissent de mijoter. Et notre homme de s’exclamer « J’espère que cette attente est justifiée par la qualité du repas ! ».

Et le Maguid de Douvno de nous expliquer que cet homme fatigué ressemble au peuple Juif, épuisé par les différentes épreuves qu’il a traversées durant son histoire, et qui souhaite la venue de son Libérateur le plus tôt possible. Mais l’Eternel a prévu pour lui une grande récompense dans le monde futur, et celle-ci ne peut s’obtenir qu’au terme d’un certain processus dont tous les instants sont nécessaires pour permettre la libération finale.

Nous le comprenons : le deuil et l’affliction ne sont jamais les derniers mots de l’histoire juive. L’obscurité est passagère, elle est provisoire et elle précède toujours une grande lumière que l’on voit poindre derrière elle.

Aussi, Ticha’ be Av ne doit pas être appréhendé uniquement comme un moment de désolation. Il doit nous donner aussi de l’espoir et une force pour avancer et nous renforcer.

Il faut tout d’abord méditer sur les écueils que nous évoquons lors de cette journée particulière et qui sont autant de défis que nous devons relever durant le reste de l’année.

Tout d’abord, le défi de l’unité et de la solidarité au sein de notre peuple. Ticha Be Av nous rappelle les conséquences funestes des discordes, du manque de considération mutuelle et, bien sûr de la haine gratuite. Pour leur faire échec, nos Sages nous recommandent de développer dans nos cœurs « l’amour gratuit », la volonté de faire le bien à l’ensemble de nos frères, sans rien attendre en retour, et parfois même sans raison. Juste faire le bien. Même si cela peut paraitre vague et très (trop) ambitieux, chacun pourra, à son niveau, trouver le moyen de faire ne serait-ce qu’un peu plus dans ce sens. Et comme nous le disent nos Sages « un peu de lumière chasse beaucoup d’obscurité » !

Ensuite, le défi de ressentir le désir personnel et profond de la restauration du Temple. Comme nous l’avons vu, nous sommes sensés souhaiter chaque jour de tout notre cœur la reconstruction du Temple, mais cet exercice n’est pas évident pour des générations si éloignées de l’époque du Beth Hamikdash. Aussi, l’objectif des règles rigoureuses qui encadrent cette date visent à amener l’homme à ressentir émotionnellement, dans sa chair, la disparition du Temple et le vide irremplaçable suscitée par sa disparition. Or, le corollaire de cette absence est de désirer sa reconstruction. Cet objectif est de nature à exalter l’homme, lui donner force, courage et espérance dans sa vie quotidienne.

Enfin, le défi de la joie. En effet, nos Sages nous rappellent que la destruction du Temple est certes liée à nos fautes. Mais celles-ci trouvent leur véritable origine dans le manque de joie que nous ressentons dans le service divin (R. H. Margolin, Living Simcha). Si nous désirions authentiquement de tout notre cœur, avec joie, servir Hachem, alors la faute serait impossible. Si seulement nous mesurions le privilège extraordinaire que nous avons d’être les dépositaires de la loi de D.ieu, d’un trésor inestimable conçu sur-mesure pour permettre à l’homme d’être heureux et épanoui, nous prendrions à cœur chacun des mots de cette sainte Torah. Une des leçons de Tisha be Av est précisément d’amener l’homme à renforcer sa joie dans l’étude de la Torah et dans la pratique des mitsvot.

Comme nous le voyons, le défi posé par notre paracha toute comme par cette période difficile que nous vivons consiste à ne pas se laisser aveugler par les difficultés et les épreuves, et à garder, chevillés au corps, non pas seulement l’espoir, mais la conviction que la délivrance est proche.

Les maîtres du Talmud nous font remarquer (Traité Makot, 24 b) que de même que les prophéties les plus sombres, et parfois les plus improbables, se sont toutes accomplies, à cause de nos fautes, de même, les prophéties les plus joyeuses et exaltantes s’accompliront grâce à nos mérites.

Rappelons pour conclure ce mot de R. Hayim de Volozhine, à propos de cette sentence talmudique « Tout celui qui prend le deuil pour la destruction Jérusalem a le mérite de voir la joie de cette ville reconstruite » (Traité Taanit 30b). Et notre maître de s’interroger pourquoi ne pas avoir dit « aura le mérite » au futur, lorsque le Temple sera reconstruit. Et R. Hayim de Volozhine d’observer que, généralement, lorsqu’un homme meurt, son deuil prend fin au terme de 12 mois, et son souvenir s’étiole ensuite progressivement. Ce n’est pas le cas de Jérusalem dont nous pleurons encore chaque année la disparition. Comment est-ce possible ? Car Jérusalem n’est pas morte. Elle est certes dans un état de destruction, mais chaque fois que l’on prend le deuil pour elle, nous la faisons revivre intérieurement et nous puisons énergie et force dans le souvenir de ce qu’elle était, afin de nous amender et avoir le mérite, avec l’aide d’Hachem, de la voir reconstruite très prochainement.