« Yossef ne pouvait plus se contenir en présence de tous ceux qui se tenaient devant lui. Il s’écria : "Faites sortir tout le monde d’ici !" Et aucun homme ne fut présent lorsque Yossef se fit connaître à ses frères. »[1]

La Paracha de Vayigach commence par le point culminant de la confrontation entre Yossef et Yéhouda et continue par la révélation poignante de Yossef. Deux questions peuvent être posées sur ce verset. Tout d’abord pourquoi, Yossef avait-il besoin de se contenir ? Et puis que signifient les mots suivants : « en présence de tous ceux qui se tenaient devant lui » ?

L’explication du Kli Yakar sur ce passage nous aide à répondre à la première interrogation. Il précise que tout ce que Yossef fit subir à ses frères avant de se dévoiler à eux était planifié à l’avance afin de leur faire réaliser la gravité de leur faute et afin de la rectifier[2]. Il fit en sorte d’agir mesure pour mesure, que ce soit en emprisonnant Chimon qui était l’instigateur du complot contre lui, ou bien en voulant garder Binyamin, le deuxième fils de Ra’hel pour voir si leur haine à l’égard de Yossef avait disparu (et la détermination de Yéhouda pour sauver Binyamin[3] prouva bien que le but avait été atteint)…

Le Chem Michmouël explique qu’après le plaidoyer passionné de Yéhouda, Yossef ne pouvait plus continuer sa comédie, car, comme l’affirme le Midrach, Yéhouda était sur le point de le tuer. Ce qui laisse sous-entendre que sans cela, il aurait poursuivi[4] — parce qu’il voyait que la haine et la méfiance semées plusieurs années auparavant n’avaient pas totalement disparu. Mais ses émotions étaient trop fortes et il ne pouvait plus continuer, même s’il connaissait l’importance de ce supplice pour les frères.

Rav Yérou’ham Leibovits fait une remarque qui peut résoudre le deuxième problème posé, celui concernant la présence de tierces personnes. Yossef ne voulait pas embarrasser ses frères en se dévoilant devant tous les Égyptiens présents, c’est pourquoi il les renvoya. Malgré sa grande émotivité, Yossef eut la présence d’esprit d’écarter les étrangers pour ne pas faire honte à ses frères.[5]

À l’inverse, Réouven, le frère de Yossef est critiqué par Yaacov Avinou pour avoir trébuché dans ce domaine. Plusieurs années auparavant, il déplaça le lit de son père.[6] Quand Yaacov bénit ses enfants, il blâme Réouven pour son impétuosité. À cause de ce défaut, il perdit le droit d’ainesse. D’où le caractère pernicieux de la Béhala. La véhémence et l’empressement poussent la personne à prendre des décisions impulsives, irréfléchies, sans prêter l’attention nécessaire aux conséquences de ses actions.[7]

Notons que c’est précisément Yossef qui remplaça Réouven dans son statut de Bekhor (d’aîné), puisqu’il reçut une part double – ses deux fils, Éphraïm et Ménaché devinrent des tribus à part entière. C’est certainement du fait que Yossef excellait dans le domaine qui faisait défaut à Réouven.

Ces traits de caractère – la placidité et la fougue – nous accompagnent au quotidien et il faut connaître leurs implications dans notre vie. Tout d’abord, savoir réagir correctement aux émotions qui nous envahissent parfois, savoir se maîtriser. Les Guédolim excellent dans ce domaine. En un jour enneigé, Rav Sim’ha Zissel Broïde, le Roch Yéchiva de ’Hevron ouvrit la porte de la Yéchiva pour en sortir, au moment où un Ba’hour un peu exubérant lançait une boule de neige – bien évidemment, sans aucune intention de viser le Roch Yéchiva ! La plupart des gens auraient machinalement tourné la tête en direction du lanceur, mais pas Rav Broïde. Il se contint et ne chercha pas à savoir qui était le coupable ! Le jeune homme en question n’avait assurément pas fait exprès de lui causer du tort et il n’y avait donc aucune nécessité de lui faire honte en le dévisageant.

Bien sûr, ce genre de réactions ne peut survenir qu’après des années de perfectionnement de soi, mais chacun peut tenter de l’émuler à son niveau. Prenons l’exemple d’un téléphone qui sonne en pleine Téfila, à la synagogue. Évidemment, il convient de faire attention à ce que chaque téléphone soit éteint (ou au moins silencieux) avant d’entrer à la Choule, mais cela peut arriver d’oublier. Si une sonnerie se fait entendre, il n’y aucun intérêt à tourner la tête pour voir de qui cela provient, si ce n’est de gêner son propriétaire... S’abstenir de regarder demande un certain niveau de maitrise de soi.

Puissions-nous tous mériter d’émuler Yossef dans sa présence d’esprit et dans sa remarquable capacité à se contrôler.


[1] Béréchit, 45:1.

[2] Kli Yakar, 42:9.

[3] Béréchit, 42:21-22.

[4] Béréchit, 45:1. Voir Chem Michmouël, Béréchit, année 5671, p. 270 qui interprète le verset de cette façon.

[5] Daat Torah, Vayigach, Biourim p. 255

[6] Voir Parachat Vayichla’h, 35:22 ainsi que les commentaires sur cet incident.

[7] Inutile de préciser que Réouven était un grand Tsadik et, comme souvent, la Torah grossit son erreur pour que nous puissions en tirer leçon.