Chère Rabbanite Jungreis,

Je vous écris après avoir achevé la Chiva' (semaine de deuil) pour la perte d’un jeune frère, événement très douloureux, c’est le moins qu’on puisse dire. Je vous admire depuis l’époque des Chabbatot passés à l’hôtel Pine View où vos parents se trouvaient avec vous. Je n’ai pas oublié le Dérekh Erets (savoir-vivre) avec lequel vous traitiez vos parents, et, depuis lors, je vous admire. Je vous ai respecté pour votre attitude et pour vos opinions qui étaient toujours en accord avec ma façon de penser, celle d’une femme orthodoxe d’origine européenne.  

Pour en revenir à mon sujet, je vous adresse cette lettre en raison de la conduite de certaines personnes venues présenter leurs condoléances. Lorsque des téléphones portables sonnaient, les personnes présentes y répondaient, des amis se rencontraient et socialisaient juste devant nous, des conversations très animées avaient lieu devant nous. Nous étions très nombreux à faire la Chiva', et l’espace manquait. Certains invités s’asseyaient et ne faisaient pas de place aux autres pour s’approcher des Avélim (personnes en deuil) et parlaient de tout et de rien, à part du Niftar (le défunt) à voix haute. Je dois préciser que tout ceci n’a pas été fait par manque de tact, mais par ignorance des lois. Nos écoles enseignent-elles ce sujet ? Les mères le font-elles ?

En y réfléchissant, je dirais que ce ne sont pas les plus jeunes qui se sont conduits ainsi, mais plutôt la génération des 30-40 ans. Grâce à D.ieu, cette génération n’a pas vécu la Shoah et a pour la plupart ses parents et grands-parents, ils n’ont donc jamais fait la Chiva' pour personne, puissent-ils ne jamais se trouver dans cette situation.

Rabbanite, quelques mots de votre part auront un profond impact pour expliquer une conduite appropriée dans une maison de deuil. Dans l’attente de vos commentaires à ce sujet…

Une admiratrice de longue date.

Chère amie,

Tout d’abord, je tiens à vous exprimer ma profonde peine pour la perte de votre frère. Il est très douloureux de perdre un être cher. Peu importe son âge, s’il est mort subitement ou que son décès a été précédé d’une maladie, une part de votre vie est coupée et ceci fait profondément mal. Les lois de la Torah sont très sensibles à ces sentiments et ont été conçues pour aider la personne endeuillée à affronter la vie avec force et foi. Malheureusement, tout le monde ne connaît pas ces lois, et tout comme des concepts étrangers ont influencé notre manière de célébrer, ils ont également eu une influence sur notre manière de prendre le deuil, et un grand nombre d’entre nous ne savent plus comment se conduire dans une maison de deuil. La Torah compatit avec les sentiments de l’endeuillé et comprend que, très souvent, la réaction immédiate après le départ d’un être proche est de renier les faits ou de se mettre en colère. « Ça n’est pas possible ! » « Pourquoi m’a-t-il/elle quitté ? » « Pourquoi D.ieu a-t-Il permis une telle chose ? »

Nos Sages nous recommandent de nous abstenir d’offrir des paroles de réconfort à ce moment-là, car l’endeuillé est trop en colère pour les accepter. Dans la période précédant l’enterrement (période toujours brève, puisque, selon la Halakha, il doit avoir lieu le plus vite possible), l’endeuillé est un Onen et est dispensé de l’observance des commandements positifs, comme la prière, car, une fois encore, la Loi juive comprend son état d’esprit. Après les funérailles, toutefois, et le début des sept jours de Chiva', une nouvelle réalité se met en place. L’enterrement a été la première étape de bouclage. La pure vérité, indéniable, a été intégrée : la personne aimée est bien décédée.
La Chiva' invite l’endeuillé à aller au-delà de la mort de la personne et à se concentrer sur sa vie. Chaque aspect de la vie du Niftar (défunt) est passé en revue avec affection, chaque mot retenu, et chaque souvenir sert de baume au cœur brisé du Avel (endeuillé). Notre Halakha reconnaît que l’endeuillé trouve une consolation dans ces souvenirs et, en conséquence, pendant toute la période de Chiva', il est dispensé de toutes ses autres responsabilités. Il ne va pas au travail, ne répond pas au téléphone, ne nettoie pas sa maison ni ne prépare de nourriture, il ne fait pas de bain ni ne change de vêtements, ne se regarde pas dans le miroir, il n’étudie même pas la Torah (ce serait une diversion joyeuse), à l’exception de livres tels que le Livre de Iyov, les Lamentations et les lois sur le deuil - des enseignements qui l’aident encore plus à se focaliser sur la personne disparue et le sens de la vie. De plus, nos lois sont si sensibles aux sentiments de l’endeuillé que si nous faisons une visite de Chiva' et remarquons qu’il préfère garder le silence, nous devons respecter son désir et ne pas le déranger par notre conversation.

Alors, comparons maintenant ceci avec ce qui se passe aujourd’hui dans de nombreuses maisons de deuil, et nous verrons à quel point nous nous sommes éloignés de l’attitude de la Torah à cet égard. Très souvent, les visiteurs viennent dans la maison de deuil dans l’esprit de tirer profit de la soirée. Ils rencontrent des amis, des voisins, des connaissances professionnelles, et font de la maison de Chiva' un lieu de socialisation, voire même de transactions commerciales. Au lieu d’éteindre leur téléphone portable en entrant dans la maison, ils n’ont aucun problème à le laisser allumé et à répondre aux appels. Lorsqu’ils engagent la conversation avec l’endeuillé, au lieu de diriger la conversation autour du défunt, ils font des remarques insensibles et bavardent vainement.

Puisque l’endeuillé n’a pas le droit de se préparer de la nourriture, des plateaux de nourriture sont envoyés. De nombreux visiteurs oublient que ces plateaux sont envoyés aux Avélim et ne sont pas destinés à leur servir de repas. J’ai bien peur que vous ayez raison avec votre remarque : les gens n’ont pas de mauvaises intentions, ils sont simplement mal informés. Je suis donc heureuse de publier votre lettre dans l’espoir de rectifier ce qu’il convient dans ce domaine et que les Juifs retrouveront la voie de la Torah dans ce domaine.

Dérekh Erets (savoir-vivre) dans une maison de Chiva' : ce que nous devons faire, c’est relater des histoires intéressantes sur le défunt si nous l’avons connue(e), et, si ce n’est pas le cas, inviter l’Avel à vous faire partager les moments forts de la vie du défunt. « Raconte-moi quelque chose sur ton père, ta mère, ton frère ou ta sœur, ton mari, ton épouse… ». Lorsque vous exprimez votre intérêt, veillez à ce que vos questions ne soient pas focalisées de manière morbide sur la maladie ou la mort de la personne, mais plutôt sur sa vie. Votre but est de réconforter et non d’aggraver la douleur de l’endeuillé. Faites une visite brève, mais significative, et lorsque de nouveaux visiteurs se présentent, faites-leur de la place. Avant de partir, récitez la bénédiction appropriée : « Puisse D.ieu vous accorder le réconfort parmi les endeuillés de Tsion et de Jérusalem ». Ceci rappelle aux Avélim qu’ils ne sont pas seuls, que D.ieu Lui-même leur apporte le réconfort parmi les myriades d’endeuillés de Tsion et de Jérusalem, et cette bénédiction a un effet apaisant sur leur esprit brisé.

Donnez la Tsédaka en souvenir du défunt, participez au Minyan et étudiez des Michnayot à sa mémoire. Nos Sages nous enseignent qu’un individu peut rester vivant après la mort si ses actes vertueux, ses paroles de Torah, ses actes de bonté sont rappelés. Ces actions et paroles continueront à avoir un impact sur le monde même s’ils ne sont plus physiquement présents. Ceci doit être le but de ceux qui font une visite de Chiva' : aider l’endeuillé, même à petite échelle, à maintenir le souvenir vivant de leur être aimé. Puisse Hachem nous accorder très bientôt le jour où nous ne ferons plus de visite de condoléances, car nous assisterons à la réalisation de la prophétie : « Bila Hamavèt Lanétsa’h » : la mort sera bannie à tout jamais avec l’avènement de la période messianique.