La paracha de cette semaine invite les enfants d’Israël à parachever le processus de libération à l’œuvre depuis leur sortie d’Egypte, en construisant une demeure pour l’Eternel. A présent, D.ieu souhaite résider au milieu du peuple. Il s’agit d’une étape fondamentale dans l’aventure humaine et dans l’histoire de la Création, elle nous rappelle que D.ieu n’a pas vocation à rester en retrait de l’histoire humaine, Il n’est pas juste un D.ieu « Créateur du ciel et de la terre » mais Il est également, et peut-être avant-tout, un D.Ieu Qui agit aux côtés des hommes, près d’eux pour les soutenir et les protéger.

La paracha de cette semaine nous précise que le préalable à la construction du mishkan, le sanctuaire destiné à abriter les tables de la loi et à partir duquel D.ieu s’adressera au peuple, consiste dans la collecte des matériaux nécessaires à sa fabrication matérielle. Aussi, est-il demandé au peuple d’apporter un certain nombre d’offrandes composées d’or, argent, cuivre, lin etc…

Notons qu’il n’est pas demandé au peuple une quantité précise dont chacun devrait s’acquitter mais il est fait appel à la générosité spontanée des hommes selon cette belle formule « que chacun apporte selon ce que son cœur l’incite à donner ». Ce ne sera pas le cas lors de la construction des Temples de Jérusalem, comme nous le voyons dans la Haftara, pour lesquels, des quantités considérables de matières premières étaient requises et qui représentaient une charge très lourde pour le peuple. Nos sages veulent voir dans la générosité spontanée des offrandes apportées pour le mishkan une des raisons de sa plus grande sainteté que les Temples ultérieurs.

Notre paracha mentionne également les pierres précieuses qui devaient être apportées pour constituer le pectoral du grand prêtre. Ces dernières seront apportées en dernier lieu par les princes des Tribus d’Israël. Leur attitude contraste avec celles du peuple. S’il est vrai que ce dernier fut pris d’un grand élan de générosité qui permit de collecter spontanément et rapidement tout ce qui était nécessaire pour le Temple, il n’en a pas été de même pour les chefs de Tribus qui ont fait le raisonnement suivant « Nous allons laisser le peuple apporter tout ce qu’il souhaite, et ensuite, une fois qu’il aura fini, nous nous chargerons d’apporter ce qui manque ». Ce raisonnement n’était pas dénué de sens, ni même de générosité, mais il a été reproché aux chefs de Tribus car il témoignait, selon nos Sages, d’un manque de zèle. En effet, le peuple avait fourni tout ce qui était nécessaire et il ne restait plus rien aux chefs de tribus, si ce n’est ces pierres précieuses.

Nous touchons là à une vertu très importante de notre tradition qui s’applique aussi bien dans la vie matérielle que dans la vie spirituelle : le zèle. Nos Sages nous recommandent ainsi de ne pas être négligent dans notre travail matériel et de veiller à gérer avec sérieux et diligence notre parnassa (nos sources de revenus) afin de la préserver.

Mais la vertu du « zèle » ou « zerizout » en hébreu prend un autre relief en matière spirituel. Lorsque l’homme a la possibilité d’accomplir une mitsva, deux perspectives s’offrent à lui.

La première approche consiste à considérer la mitsva comme une action à accomplir parmi toutes celles dont il doit s’acquitter au cours de la journée. Il réfléchira si cette mitsva lui incombe vraiment, s’il est vraiment indispensable qu’il accomplisse lui-même. Comme nous le voyons, l’homme ne fait pas preuve d’une mauvaise volonté délibérée (nous ne traiterons pas de ce cas ici) mais simplement il temporise, raisonne et apprécie la nécessité d’accomplir cette mitsva au cours de sa journée.

La seconde approche consiste à faire de la mitsva un impératif absolu qui doit être accomplie le plus tôt. Dans cette perspective, la mistva n’est pas une activité parmi d’autres, elle ne s’ajoute pas à mon agenda à côté de mes autres obligations, elle les précède, et elle s’élève au-dessus de toutes les contingences matérielles.

Chacun l’aura compris, un écueil menace l’accomplissement de la mistva : celui de la ramener dans les limites étroites du temps social, de réduire l’infini dans le fini, de ramener l’absolu dans le contingent.

Or, dès lors que l’on considère la mitsva comme une « activité » parmi d’autres, on éteint son caractère transcendant, on éteint le feu sacré qui doit nous habiter dans son accomplissement. Elle est alors la proie de la raison, de la logique, des calculs qui peuvent finir par me dissuader de l’accomplir.

Comme nous le savons, l’homme est composé à la fois d’une âme et d’un corps. Notre âme nous encourage à nous élever spirituellement, à nous rapprocher de l’Eternel en accomplissant Sa volonté à la fois dans notre rapport à Lui mais aussi dans nos rapports à nos prochains. Elle diffuse une force centrifuge qui nous ouvre vers l’extérieur, vers autrui, et vers D.ieu. Notre corps œuvre dans le sens contraire, il nous ramène en permanence vers nous-mêmes, vers nos besoins, vers nos intérêts. Il est une force centripète (qui ramène tout vers l’individu) en même temps qu’une force d’inertie.

Mon âme me pousse à donner une tsedaka généreuse, mon corps ma rappelle que je vais surement être sollciité à nouveau à l’avenir, qu’il faut être raisonnable, que l’on n’est pas sûr de la destination des fonds…

Mon âme me pousse à rendre visite à un malade ou une personne âgée, mon corps me rappelle que j’ai beaucoup de travail, et qu’un coup de fil suffira.

Bref, nous pourrions résumer ces deux dynamiques en ces termes : alors que notre âme adhère spontanément à l’appel impérieux de faire le bien et la volonté de D.ieu, notre corps temporise, raisonne, délibère, il affadit le goût du sacré.

Les Tsadikim ont ceci de spécifique qu’ils se méfient de l’inertie du corps, de sa lenteur et sa paresse qui, au mieux, incitent l’homme à prendre son temps avant d’agir, et, au pire, le dissuade de réaliser certaines Mitsvot.

Il est rapporté, à propos d’un Tsadik du dernier siècle, que lorsqu’il entendait qu’un Talmid ‘Hakham était de passage en ville, il se dépêchait de se rendre près de son lieu de résidence, et seulement là-bas, ils prenaient les renseignements pour vérifier s’il s’agissait véritablement d’un Talmid ‘Hakham qui justifiaient qu’on se déplace pour le saluer. En effet, s’il avait fait l’inverse et s’il avait laissé plus de temps à sa réflexion pour bien apprécier l’opportunité de se déplacer, il aurait pu trouver des prétextes pour ne pas le faire.

De même, un grand Sage qui était souvent sollicité pour écrire des lettres d’approbation avant la sortie d’un ouvrage, commençait immédiatement à rédiger les premières lignes de peur que l’inertie et la paresse ne le convainquent que l’ouvrage en question n’en vaut pas vraiment la peine.

C’est précisément dans un écueil de cette nature que son tombés les chefs de Tribus. Au lieu de répondre spontanément à l’appel de générosité lancé au peuple pour apporter tous les matériaux nécessaires à la confection du sanctuaire, ils ont temporisé, raisonné, pensé qu’il était plus « logique » de laisser le peuple apporter leurs offrandes, pour offrir ensuite ce qui ferait défaut. Mais, voilà, il ne manquait rien, et les chefs de tribus sont passés à côté de leur mitsva.

Voilà donc pourquoi il était essentiel d’enseigner aux Bné Israël la grande valeur du zèle, de l’empressement qui sied à l’accomplissement des Mitsvot. La Zérizout, le zèle, est nécessaire car elle vient faire échec aux stratégies du Yétser Hara qui souhaite refroidir l’homme dans son rapport à la Torah et aux Mitsvot, asséchant ainsi son énergie spirituelle.

Cette disposition d’esprit et de cœur est précisément là où se loge la liberté individuelle des hommes. En effet, nous avons certes l’ordre d’accomplir les Mitsvot et en principe, nous ne pouvons pas y échapper, mais nous sommes libres sur les moyens que nous mettons en œuvre pour les accomplir (Rav Rozenberg). Parmi ces moyens, le zèle est la première des vertus qui conditionne la beauté et l‘éclat avec lequel nous les accomplissons.

Puisse l’Eternel nous donner la force de préserver le feu sacré de notre âme qui nous permet de vaincre l’inertie et la paresse du corps. Nous pourrons ainsi, au cours de notre vie, connaître des moments de grâce qui permettent d’échapper au règne du banal, de l’anodin, du routinier, et de ressentir au plus profond de nos êtres le canal qui nous relie directement à D.ieu.