Chaque mercredi, Déborah Malka-Cohen nous plonge au cœur d'un quartier francophone de Jérusalem pour suivre les aventures captivantes d'Orlane et Liel, un jeune couple fraîchement arrivé en Israël et confronté, comme tant d'autres, aux déboires de la Alya...

Dans l’épisode précédent : Après leur altercation, Orlane finit par retrouver Tamara dans le centre commercial. Celle-ci lui révèle enfin son secret : elle est en Israël pour une raison bien précise, se réconcilier avec sa sœur et passer du temps avec elle et ses enfants au cas où elle succomberait à la terrible maladie qui vient de lui être diagnostiquée…

Suite à ma conversation avec Tamara durant laquelle j’avais essayé de lui proposer mon aide, j’avais mis mon plan d’attaque “Réfoua Chéléma pour ma sœur” en marche dès le lendemain. Tout d’abord, je m’étais assurée que le prénom Rafaëla était accepté par Rav Elnathan.

En général, pour les questions de Halakha et de lois comme celles de Cacheroute, je m’adressais toujours à ‘Haïm, mon beau-frère, mais pour les questions plus personnelles, je préférais consulter quelqu’un de plus neutre qui n’était pas de la famille.

Depuis mon arrivée en Israël, dans notre quartier de francophones, toutes mes voisines n’arrêtaient pas de parler de ce rabbin qui était F-A-B-U-L-E-U-X ! Et après quelques recherches auprès de Nourit et de 'Hanna, je m'étais aperçue que je le connaissais bien, vu qu'il n'était autre que le beau-père de mon cousin Steeve (enfin Chimon...) ! Sa gentillesse naturelle et son impartialité face aux différentes situations et décisions à prendre m’avaient bluffée. Il prenait en compte le degré de religiosité de chacun et savait adapter son discours en fonction de la personne qu’il avait en face de lui. Certaines avaient besoin d’une réponse claire et tranchée sans ambigüité, tandis qu’avec autres, il fallait qu’il prenne plus de précautions et se montrer plus nuancé, même si la réponse restait la même. Après la révélation de la maladie de ma grande sœur, qui m’avait fait le même effet que si le ciel m’était tombé sur la tête, il m’avait semblé naturel de le consulter. Notamment sur la question de lui ajouter un prénom pour sa Réfoua complète.

Pour ne pas mettre mal à l’aise Tamara avec cette conversation téléphonique, j’avais attendu qu’elle sorte faire un tour pour passer mon appel. Bien que ce fût un homme très occupé qui était consulté par bon nombre de personnes, au bout de la troisième sonnerie, je fus soulagée d’entendre la voix du Rav. Au début, il avait avec politesse pris des nouvelles de mon mari et de mes enfants. Juste après, nous étions rentrés dans le vif du sujet et il ne tarda pas à me donner sa réponse :

“Rafaëla ? Hum… Je suis désolé mais cela ne va pas être possible. Habituellement quand on ajoute un prénom dans le but que quelqu’un recouvre la santé, il est préférable de choisir entre ‘Haya, ‘Hanna, Sarah ou Yokhéved. Réfléchissez avec votre sœur et envoyez-moi un message quand elle aura pris sa décision. Je ne manquerai pas de la nommer à la synagogue au moment de la sortie du Séfer Torah. Il est d’usage aussi qu’elle prenne sur elle d’être plus Tsnoua et de se renforcer en Torah. Puisse Hachem lui envoyer une guérison complète. Je vais prier pour elle et je compte sur vous pour me donner de ses nouvelles. Je tâcherai aussi de me rendre disponible si vous avez besoin de moi ou si vous souhaitez que je dédie mon cours de Talmud quotidien à sa guérison. Mais surtout je vais essayer de vous organiser un rendez-vous en urgence avec le Rav Grossman afin qu’elle obtienne une Brakha de sa part. En attendant, soyez forte et garder la Emouna, rien n’est jamais définitif.”

J’avais remercié chaleureusement Rav Elnathan en le priant bien de garder cette information pour lui car ma sœur n’était pas encore prête à communiquer sur son état de santé. Elle n’avait pas encore eu le courage de l’annoncer à son propre mari, Avi. Tamara m’avait expliqué que le lui dire revenait à rendre la maladie réelle à ses yeux et elle ne pouvait pas l’accepter, du moins pour le moment.

J’avais raccroché et avais réfléchi à la manière dont j’allais aborder le sujet du nouveau prénom à choisir. Je me devais de rester optimiste et mettre tout en œuvre pour que les portes du Ciel accueillent nos prières.

Pour moi, le prénom Yokhéved était une évidence. Cette femme vaillante de la Torah, qui n’était autre que la mère de Moché Rabbénou, était dotée d’un courage hors norme. Elle n’avait pas hésité à aller contre la demande si cruelle de Pharaon qui avait été de tuer tous les nouveau-nés mâles des Hébreux. Elle qui était sage-femme avait refusé de se soumettre à cet ordre. Au bout de quelques temps, quand Pharaon, très énervé, lui avait demandé des explications quant au baby-boom incompréhensible qui était en train de se produire chez son peuple “d’esclaves”, elle avait simplement répondu que les femmes hébreux accouchaient d’elles-mêmes, et tellement vite, que sa venue n’était pas nécessaire. Elles se passaient très bien de ses services.

Si Tamara avait vécu au temps de Pharaon, malgré son caractère parfois ingérable, elle aurait eu exactement la même réaction : protéger les autres au péril de sa propre vie. Un peu comme sa décision de ne pas en parler à Avi pour ne pas qu’il devienne fou d’inquiétude.

C’était ainsi que j’avais présenté les choses à ma sœur alors que nous nous étions mises en route ce matin-là vers la tombe des Patriarches (le caveau de Makhpéla) à ‘Hévron. Je m’étais organisée pour faire garder mes garçons par Rachel, qui avait accepté de me rendre ce service sans hésiter. Je me faisais la réflexion qu’il était bon de pouvoir compter sur une amie surtout quand celle-ci ne cherche pas à savoir absolument pourquoi vous devez vous absenter pendant plusieurs heures d’affilée et revenir tard dans la soirée. Cette confiance et cette volonté de se rendre utile pour accomplir une Mitsva étaient on ne peut plus touchantes. Cette incroyable mentalité était très éloignée de ce que j’avais connu en dehors d’Israël.  

Même si je savais que cette petite excursion allait me demander beaucoup d’efforts physiques vu mon état, j’avais tout de même demandé à ‘Hanna (qui avait un carnet d’adresses aussi long que les pages jaunes) de me mettre en relation avec d’autres femmes qui avaient pour projet de s’y rendre ce jour-là.

D’autre part, je me disais que si je sollicitais Hachem pour aider ma sœur, je pouvais bien de mon côté sortir de mon confort quotidien et l’accompagner dans ce périple. Bien évidemment, en ne mettant pas ma grossesse en danger.

Par chance, ‘Hanna m’avait expliqué qu’il restait deux places dans le grand taxi de dix places qui avait été affecté pour ce pèlerinage. Sur le chemin qui nous amenait au caveau où sont enterrés nos illustres ancêtres (Adam, ‘Hava, Avraham, Sarah, Its’hak, Rivka, Yaakov et Léa ainsi que la tête d'Essav…. oui que la tête !), j’avais tenté d’aborder de nouveau le sujet du prénom avec Tamara :

“Donc lequel te plait le plus dans le lot ? Personnellement, je trouve que Yokhéved c’est top pour toi.

– Attends deux secondes, pourquoi il n’y a que la tête de ce roux d’Essav et pas son corps tout entier qui est enterré ? Cela m’intrigue, cette histoire.

– Parce que les enfants d’Essav n’ont pas voulu que Yaakov y soit enterré, vu qu’il ne restait qu’une place dans le caveau familial. Faisant valoir le droit d’aînesse de leur père, ils affirmaient que le droit d’être enterré à Makhpéla revenait à celui-ci. Alors ‘Houchim, le petit-fils de Yaakov qui avait compris la situation, mit fin à ce dilemme en prenant un bâton et en coupant la tête d'Essav. Pour mettre fin aux discussions en cours, il avait brandi la tête en proclamant : ‘Voilà à présent, il y a la place !’ Du coup, les enfants d’Essav étaient partis en emportant avec eux le reste de la dépouille.

– Ah d’accord je vois ! Il aura fallu que je tombe malade pour connaître ce secret de notre histoire.

– Ce n’est pas un secret. C’est écrit dans les textes.

– Oui, mais avoue que c’est une information moins connue que celle de Noé et son arche ! De plus, je n’aurais jamais pensé me rendre à ‘Hévron de mon plein gré. Tu vois, pour moi Israël, c’est un peu la destination de vacances numéro 1 sur ma liste des destinations de vacances de rêve.

– C’est vrai aussi, mais Israël regorge de pas mal d’autres choses que la plage et les bons restaurants ! Tu vas voir, avec l’aide d’Hachem tu vas t’en sortir mais là, je te laisse réfléchir à ton prénom tout neuf.”

Tamara avait regardé par la vitre et avait observé le paysage défiler devant elle. Inutile d’être prophétesse pour comprendre qu’elle était en train de faire face à son épreuve. Pour lui changer les idées, je m’étais mise à lui expliquer la raison pour laquelle Ra’hel Iménou n’avait pas été

enterrée avec son mari Yaakov :

“Elle a péri dans la ville d’Efrat, à côté de Beth-Lé’hem, de façon à ce que tous les exilés qui sont en dehors d'Israël s'arrêtent forcément sur sa sépulture pour demander leur retour vers Jérusalem. On dit que Ra’hel est la maman de tout le peuple d’Israël et qu’elle prie continuellement pour tout le monde. En plus, elle s’est sacrifiée pour sa sœur jusqu’à lui donner même son mari, de peur de lui faire honte.”

À cette dernière phrase, ma compagnonne de voyage avait détourné son regard de la vitre pour me dire de but en blanc :

“Je te préviens sœurette, même pas en rêve je te filerai mon Avi un jour ! Tu peux toujours courir et boire de l’eau !

– Non mais ça ne va pas ! En plus, ce n’est pas tout le monde qui peut être Ra’hel, et c’est bien pour cette raison que 3.500 ans plus tard, nous rappelons toujours son nom et sa personnalité hors du commun. D’ailleurs, je note que dans notre périple… Pourquoi pas, demain, aller également sur sa tombe afin qu’elle intervienne pour nous ? Tiens au fait, cela me fait penser, j’ai eu mon Rav ce matin…

– ‘Haïm ? Ton beau-frère ?

– Non, Rav Elnathan et il m’a suggéré…

– Celui qui a aidé Steeve, notre cousin, à faire Téchouva ?

– Oui, celui-là même !

– Je l’adore ce Rav. Cela dit, j’espère que tu as tenu ta promesse de ne rien dire à mon sujet.

– Tamara, Mami, ne m’en veux pas mais j’ai été obligée de lui en parler. Mais je te promets qu’il ne dira rien à personne. Il m’a juste conseillé de te dire qu’avant de commencer ton traitement, tu devrais prendre une Mitsva sur toi comme être un peu plus Tsnoua. Un peu comme Ra’hel qui s’est…”

Sans que je ne voie rien voir venir, d’un coup Tamara s’était levée et m’avait priée “de dégager de là !” Ne faisant pas cas des autres femmes qui nous entouraient, elle s’était mise à me hurler dessus : “JE T’AVAIS DIT DE NE RIEN DIRE ET MÊME POUR UNE FOIS, TU NE PEUX PAS T'EMPÊCHER DE NE PAS TENIR TA LANGUE !”

Elle s’était élancée dans le couloir du van pour prendre place trois rangées plus loin. Me clouant sur place et ne me laissant même pas le temps de m’expliquer, elle s’était de nouveau relevée avec rage pour crier de plus belle : “QU’EST-CE QUE CA VEUT DIRE, DEVENIR PLUS TSNIOUT ? JE NE LE SUIS PAS ASSEZ ? ET C’EST POUR CETTE RAISON QUE D.IEU ME PUNIT EN M’ENVOYANT UN CANCER ? JE LE MÉRITE, C’EST ÇA ? C’EST SA MANIÈRE DE ME FAIRE COMPRENDRE QUE JE DOIS FAIRE TECHOUVA SUR LA LONGUEUR DE MA JUPE ?

– ‘Has Véchalom, personne n’a jamais sous-entendu une telle chose. Personne ne mérite un cancer. Je t’en prie, viens t’asseoir de nouveau près de moi.

– NON ! LAISSE-MOI TRANQUILLE ! JE PRÉFÈRE….”

Tamara n’avait pas pu finir sa phrase car le chauffeur avait freiné brusquement. Elle avait perdu l’équilibre et avait pratiquement atterri sur les genoux d’une des passagères, que je soupçonnais d’être française car elle avait suivi nos échanges avec passion.

Très gênée, Tamara s’était relevée pour aller s’assoir le plus loin possible de moi mais était quand même tombée sur le sol.

Elle m’avait tant énervée que je n’avais même pas vérifié si elle était de nouveau sur pied. J’avais préféré avoir la même réaction que lorsque nous étions petites, c’est-à-dire me mettre dans un coin, ravaler mes larmes et attendre qu’elle vienne s’excuser. Sauf que j’entendais la passagère marmonner un vague : “Eh bien, si on m’avait parlé de cette manière, je ne me serais pas laissée faire”. Elle m’avait donné la force de ne pas faire attention aux regards interloqués des sept autres femmes présentes (sûrement des Israéliennes qui n'avaient pas compris un traître mot de notre conflit) et de ne pas me laisser abattre par les paroles de ma sœur. Car au fond, sa maladie n’excusait pas tout !

J’avais attendu que la voiture s’arrête à un feu rouge pour m’élancer vers elle et m’asseoir près d’elle, même si elle ne le souhaitait pas.

“Tu vas bien m’écouter. Je m’en contrefiche que tu sois énervée contre moi ! Il est temps d’affronter ! Appelle Avi et je te jure que dès qu’on descend de ce Chirout, tu vas me voir prier comme jamais et si tu refuses de t’améliorer en Tsniout, je le ferai pour toi ! Je ne suis peut-être pas Ra’hel Iménou et tu n’es peut-être pas Léa mais je t’aime si fort que je ne cesserai jamais de MOI m’améliorer, dans le seul but que tu t’en sortes, parce que je ne veux pas te perdre.”

A ces mots, le visage de Tamara s’était radouci. Avant de me répondre, j’avais vu un sourire se dessiner sur ses lèvres et elle avait déclaré :

“Pourquoi ce serait moi qui jouerait le rôle de Léa ? Il parait qu’elle n’avait plus de cils à force d’avoir pleuré à la perspective d’épouser Essav. Je veux bien que tu m’identifies à Ra’hel, elle avait la réputation d’être super belle. Tu vois, il n’y a pas que toi qui connait des choses.”

Ensuite, elle avait pris ma main pour la serrer fort et m’aider à m’extirper de ce fauteuil sur lequel je m’étais assise, car après près d’une heure de route, nous étions enfin arrivés.

Toujours un peu secouée par notre conversation, j’avais descendu les marches du grand taxi de façon prudente. La bonne nouvelle, c’était que dès que j’avais posé les pieds dans cet endroit chargé en Kédoucha, j’étais plus apaisée. Tamara m’avait même trouvé une chaise et la passagère, du nom d’Ilana Karoubi, m’avait versé un verre d’eau à cause de la chaleur qui régnait. Elle m’avait presque obligée à manger de ce gâteau au miel qu’elle avait confectionné le matin même.

Très vite, Tamara était partie se recueillir et m’avait laissée avec cette nouvelle connaissance.

En me voyant prendre mon livre de Téhilim pour lire le psaume 20 et celui de l’âge de ma sœur plus une année, Ilana m’avait abreuvée de Brakhot pour que j’ai une bonne délivrance en bonne santé et que tout ce que je souhaitais du plus profond de mon cœur soit exaucé.

C’était bercée par les paroles douces de Madame Karoubi (qui se rendait toutes les semaines depuis 30 ans à la Méarat Hamakhpéla) que j’implorais Hachem sur Son trône divin et Ses anges, en particulier celui de la mort, pour qu’il ne revienne que dans 120 ans emporter directement au Gan Éden la Néchama de Tamara.

Bien que j’eusse l’habitude de faire mes prières quotidiennes avec le plus de ferveur possible, je savais que quelque chose d’unique venait de se produire pendant ma Téfila : j’avais senti mon âme vibrer en mon for intérieur, comme si je faisais revivre autour de moi ceux de ma famille qui étaient partis trop tôt.

De loin, j’observais à la dérobée celle pour qui je priais. Elle était visiblement en train de faire sa Amida et avait plié les genoux tellement bas que j’avais peur qu’elle ne tombe pour la deuxième fois de la journée. Là, m’était venue une réflexion : et si la maladie de Tamara avait pour seul but que nous nous réconcilions elle et moi, afin que cette épreuve nous donne la force et l’amour suffisant de nous supporter l’une et l’autre et pour ensuite nous retrouver ici… ?

Je n’ai jamais eu de réponse mais en sortant de ces moments si intenses en prière, Tamara avait au moins fait son choix :

“Ce sera Yokhéved car je vais avoir besoin de son courage pour passer cet appel. Je vais appeler mon mari et tout lui avouer… Souhaite-moi bonne chance.

– Je suis là et serai toujours là en cas de besoin. Je vais m’asseoir dans le minibus. Bon courage et ne t’inquiète de rien, tout va bien se passer.”

Et tandis que je prenais place pour rentrer chez moi, je reçus le message que j’attendais depuis le matin : “J’ai réussi à obtenir pour votre sœur un rendez-vous avec le Rav Grossman. Dans trois jours à 13h30, à Migdal Haémék, dans le nord d’Israël. Béhatsla’ha. Ma femme et moi-même vous envoyons nos sincères salutations”.

Rassurée et enjouée, j’attendais le retour de Tamara à mes côtés pour lui annoncer la bonne nouvelle. Hélas, ce fut la mine déconfite qu’après quelques minutes elle revint vers moi, et je n’allais pas tarder à comprendre le pourquoi de cette tristesse qui se lisait dans ses yeux brillants de larmes…

Suite à la semaine prochaine...