J’ai un ami avisé qui parvient toujours à déceler des leçons pratiques dans la Avodat Hachem (service divin) à partir d’événements apparemment anodins de la vie. Enfants, nous avons fréquenté le même type d’écoles, où nous avons acquis une bonne connaissance des sports. Le sport peut constituer un trésor d’informations et celui qui offre le plus de leçons pratiques est certainement le baseball.

En Amérique, le baseball est le passe-temps national, et cela s’explique peut-être par le fait, comme me l’a suggéré mon ami, que sur de nombreux plans, il reflète la vie. Intrigué, je lui ai demandé s’il n’avait rien de mieux à faire que de digresser sur le baseball pour tenter de trouver une relation ténue avec la Avodat Hachem. Très sérieux, il me répondit : « Nous vivons dans une époque où nous avons constamment besoin de ‘Hizouk. Nous avons tant de défis à affronter et je suis prêt à me renforcer par tous les moyens. »

Il poursuivit en expliquant que le baseball diffère beaucoup de la majorité des sports. La plupart des sports sont en perpétuel mouvement et se jouent à un rythme effréné, excitant, mais le baseball, en revanche, est lent. Il y a de l’enthousiasme ici et là, mais la plupart du temps, les choses avancent lentement et parfois, fastidieusement.

La vie est ainsi faite. Nous souhaitons tous ces moments d’apogée. Nous voulons ressentir cet enthousiasme permanent. Nous voulons être stimulés. Mais la vie est différente. La vie est souvent un processus long et difficile, dénuée d’enthousiasme. On passe souvent la plupart de notre temps à mettre des choses en place, à établir des stratégies, mais au final, la majorité des projets mis en place ne se concrétisent pas. Le baseball fonctionne également sur ce modèle.

Le baseball est également le sport qui a la plus longue saison, avec beaucoup de hauts et de bas. Dans le baseball, tout le monde est rayé périodiquement, même les meilleurs joueurs, et il existe une certaine idée de « sacrifice. » Parfois, un joueur devra sacrifier ses buts personnels dans l’objectif de faire monter quelqu’un d’autre et d’aider l’équipe, même aux dépens de ses propres records et de sa réussite personnelle.

Mon ami m’expliqua alors une idée qui me fit réfléchir. Il dit : « Au baseball, si tu réussis un tiers du temps, tu es vraiment une vedette ! Ceux qui ont une moyenne au bâton de .333 entrent certainement au Panthéon ! » Réfléchissons à cela. Cela signifie qu’ils étaient en-dehors deux-tiers du temps. Même si deux-tiers du temps, ils n’ont pas réussi, ils sont jugés comme ayant enregistré un formidable succès ! »

La jeune fille mortifiée qui a obtenu uniquement 95%

Ces propos m’ont fait penser à un incident récent : l’une de mes filles était rentrée de l’école complètement abattue. Je vis sur son visage qu’elle était catastrophée. Pourquoi ? Elle avait obtenu 95 % à l’un de ses tests. Seulement 95% ! Elle était mortifiée.

La réaction de ma fille peut être considérée par certains comme un peu radicale, mais si l’on regarde autour de nous, la quête de la perfection, d’être vu comme parfait, invincible et sans défaut est si fréquente qu’un très grand pourcentage de jeunes gens, et pas uniquement jeunes, aurait la même réaction que ma fille avec son 95%.

Cette quête obsessionnelle d’être perçu comme parfait nous tue. D’extraordinaires mères juives mènent de front de grandes familles, de multiples emplois, des initiatives de ‘Hessed et tellement plus - et elles seraient absolument mortifiées si quelqu’un entrait dans leur maison, et que D.ieu préserve, y trouvait un jouet par terre ou un évier encore rempli de vaisselle attendant d’être lavée…

Pourquoi être mortifiée de reconnaître que tu es une mère de famille très occupée ?

Qu’y a-t-il de péjoratif si l’on remarque que tu n’es pas Mme Parfaite ou une supermaman ? Qu’y a-t-il de mal à reconnaître que tu es simplement un être humain chargé de myriades de tâches qui t’attendent, au point que parfois, il suffit de faire du tri et de résoudre les tâches les plus importantes tout en négligeant des choses superficielles ou moins importantes ?

Pourquoi être mortifié de reconnaître que grâce à D.ieu, tu es une maman très occupée avec beaucoup de responsabilités que même deux ou trois personnes auraient du mal à mener de front ? Pourquoi te concentrer sur les 5% qui ne sont pas parfaits, et te sentir en échec pour n’avoir obtenu qu’un 95% ?

Malheureusement, pour beaucoup d’entre nous, rien n’est plus grave que de voir nos enfants qui ne projettent pas cette image de perfection que nous avions imaginée. Nous le prenons comme un échec personnel. Un signe que nous avons flanché, nous avons manqué à notre devoir, nous avons failli à notre obligation à leur égard, ainsi qu’à l’égard de la société.

Non seulement cette attitude est dénuée de sens et contreproductive, mais surtout, c’est un signe d’une société malsaine, irréelle et qui se place elle-même en mode d’échec. A chaque fois qu’un individu a des attentes irréelles et irrationnelles, il se place en mode d’échec.

Seulement un sur mille

L’éducation des garçons n’est en rien différente. Non, tous les garçons ne sont pas capables d’étudier trois Sédarim (sessions d’étude) par jour sans pause. Nous devons certainement cultiver l’élève sur mille qui deviendra un jour un illustre décisionnaire, mais dans le même temps, nous devons reconnaître que nos Sages ont relevé qu’un seul grand décisionnaire émergera sur mille élèves. Il y a de fortes chances que ce ne sera pas votre fils, même s’il est un Tsadik talentueux…

Si nous ne sommes pas réalistes avec nous-mêmes et nos enfants, nous nous préparons toutes sortes de difficultés. (D’après les experts, tous les troubles de l’alimentation sont l’une des horribles retombées du perfectionnisme obsessionnel qui prévaut dans notre société).

Au niveau collectif, nous souffrons du même phénomène. Je répète toujours cette anecdote qui a eu un réel impact sur moi. A titre d’écrivain, des Yéchivot ont souvent fait appel à moi pour rédiger des articles de relations publiques pour eux. Je me souviens particulièrement d’une Yéchiva qui s’occupait de garçons qui n’avaient jusque-là pas réussi en Yéchiva. Cette Yéchiva travaillait réellement avec chaque élève de manière individuelle pour les encourager à donner le meilleur d’eux-mêmes et leur enseigner comment étudier et les valoriser. Je me souviens du Roch Yéchiva qui m’avait dit : « S’il te plaît, n’écris pas que la Yéchiva communique de la chaleur ou de l’attention individuelle ! Ce sont des mots codés qui feront penser à une Yéchiva de seconde zone, et personne ne nous enverra de candidat… »

Vous entendez ce qui se passe ? Observons ce phénomène. Un garçon a du mal à la Yéchiva. Aujourd’hui, nous savons qu’avoir du mal à la Yéchiva mène souvent au désastre. Si l’enfant ne sent pas qu’il réussit, s’il a le sentiment de détester l’étude ou que l’étude est très difficile pour lui, nous ignorons ce que lui réserve l’avenir.

Enfin, voilà une Yéchiva qui peut l’aider, mais si nous admettons que cette Yéchiva est « chaleureuse », le parent ou le jeune garçon lui-même ne voudra pas s’y rendre, car il projetterait une image d’imperfection, comme s’il se trouvait officiellement dans une « Yéchiva de seconde zone. »

Le perfectionnisme tue

Ce genre de perfectionnisme collectif tue.

Revenons au baseball. Un joueur avec une moyenne au bâton de .300 est considéré comme une vedette qui peut gagner plusieurs millions de dollars chaque année. On paie des joueurs des millions et des millions chaque année pour être en échec plus de deux fois sur trois.

Dans la Paracha de la semaine dernière, nous avons appris une Mitsva très particulière, la Mitsva de Bétsédek Tichpot Amitékha, la Mitsva de juger notre prochain favorablement. Lorsque nous voyons quelqu’un agir de manière apparemment négative, nous devons tenter de trouver le positif dans son action, ou au moins mettre en valeur les circonstances atténuantes qui l’ont conduit à agir de cette manière.

Il est temps de nous juger favorablement

Outre le fait d’accorder le bénéfice du doute aux autres et d’éviter de les juger avec les critères impossibles de la perfection, qui sont irréalisables et dénués de vérité, nous devons commencer à nous juger nous-mêmes favorablement, nous accordant à nous-mêmes le bénéfice du doute et éviter de nous juger aussi défavorablement.

Nous sommes nos pires ennemis lorsque nous jugeons nos réussites en fonction des critères impossibles frôlant la perfection que nous, dans notre arrogance, nous sommes cruellement imposés à nous-mêmes, sachant que la société a décidé que nous devions tous être parfaits.

Mes chers amis, je ne préconise pas de suivre les matches de baseball, mais de grâce, retenez cette leçon du baseball : vous pouvez réussir une fois sur trois et valoir néanmoins 10 millions de dollars par an !

95% n’est pas un échec.

80 % est tout à fait honorable.

Et retenez : si vous avez une moyenne au bâton de .333 , vous aurez de fortes chances d’accéder au temple de la renommée…

Rabbi Avraham Birnbaum pour Yated, traduit par Torah-Box