L'époque du mandat britannique évoque de mauvais souvenirs. Les habitants de Jérusalem, qui vivaient à cette période, subirent l'aliénation dont faisaient preuve les Britanniques envers les juifs, leur indifférence face aux troubles et à la confusion, à l'injustice et au mal causés par les descendants d'Ishmael.

Bref, une période de grande souffrance.

Il y eut des jours pendant lesquels la terreur déferlait e tous les cotés. Les juifs, depuis leurs souterrains, combattaient les Arabes, les Arabes rétorquaient contre les Juifs, alors qu'ici et là, des soldats britanniques succombaient eux aussi... On ne voyait pas la fin de cette effusion de sang jusqu'à la déclaration officielle des Nations-Unies qui reconnaissait la légitimité internationale des Juifs à fonder leur nation en terre d'Israël.

Cependant, malgré la violence et le sang versé, la Présence divine ne quittait pas le Kotel hammaravi et la gloire ancestrale de la plus belle ville du monde. Cette ville, qui renferme la sainteté du monde dans ses murailles et ses ruelles, dans ses vallées et jusqu'au sommet d ses montagnes et relie la Néchama de chaque Juif à ses patriarches, au mont Moriah, au sacrifice d'Itshak... Et bien entendu, le Troisième Temple qui se tient prêt dans les cieux et attend l'ordre de descendre, sublime et prodigieux, avec ses portes majestueuses qui surgiront des entrailles de la Terre...

Mais revenons à Jérusalem au temps du Mandat britannique.

Des cris effroyables percèrent le brouillard de ce matin d'automne à l'entrée de Jérusalem, près de Lifta. On pouvait reconnaitre les cris d'une personne déséquilibrée... Ces cris terrifiants avaient réussi à transpercer les murs de l'hôpital psychiatrique qui se trouvait, ironie du sort, à l'entrée de la ville sainte, comme pour insinuer qu'à partir de cet endroit précis, il est très important que l'esprit de l'homme soit sain...

Qui était la personne qui criait ainsi? pourquoi?

La réponse ne saurait attendre.

Ils marchaient tous les trois. Le père, Rav Arié, homme saint, à la longue barbe, suivi de ses deux fils, n'ayant pas encore atteint l'âge de la bar-mitsvah, Rafael, âgé de 8ans et Shimon, de 6 ans.

"Attendez-moi là" leur demanda leur père et il entra dans l'épicerie qui se trouvait à coté de la station d'autobus. Il retira un shilling de sa poche et commença à remplir son sachet de toutes sortes de bonbons et de gâteaux, sans oublier la halva...

"Papa, où va-t-on?" demandèrent les enfants.

"Offrir un petit cadeau à un proche", leur répondit leur père.

Après 20 minutes de marche rapide, ils arrivèrent devant l'hôpital psychiatrique, près du village de Lifta. Rav Arié demanda à ses deux fils de se reposer sous le caroubier, qui se trouvait au bord d'une petite allée, en descente juste devant l'hôpital.

"Je reviens dans 10 minutes, en attendant, révisez vos michnayot, Traité Chabbat, je vous interrogerai quand je reviendrai."

Cette même scène se reproduisit pendant des années. Tous les Roch Hodech, le père et ses deux fils marchaient de la maison jusqu'à l'épicerie, de là le père remplissait un sachet de sucreries, puis ils se rendaient d'un pas rapide à l'hôpital, les deux enfants révisaient leur michnayot sous le caroubier et leur père revenait dix minutes ou un quart d'heure plus tard et les interrogeait. Les enfants savaient que, derrières les murs de cet asile, se trouvaient des gens déséquilibrés, des fous, ils savaient qu'il y avait là-bas une personne que leur père aimait, et de qui il se souciait, ils avaient compris qu'il s'agissait apparemment d'un proche...mais ils n'en savaient pas plus.

Quatre ans plus tard, on déclara la fondation de l'Etat 'Israël. Les britanniques capitulèrent. La guerre d'indépendance fut gagnée au prix de nombreuses vies. L'hôpital fut évacué, les malades dispersés et un bon nombre d'entre eux moururent, suite aux tourments engendrés par ces moments difficiles. Rav Arié n'effectuait plus sa visite habituelle chaque Roch hodech, et Rafael et Shimon ne posèrent pas beaucoup de questions. Ils en déduisirent que ce proche parent était probablement décédé...

Toute cette histoire finit doucement par disparaitre de leur esprit et ils n'y prêtèrent plus attention. Ils finirent par l'oublier complètement.

Plus tard, lorsque leur père décéda, ils respectèrent les sept jours de deuil, alors que les visiteurs affluaient et décrivaient la bonté singulière qui avait caractérisé leur révéré père. Un jour, un homme d'un certain âge, nommé Avigdor, leur rendit visite. Il portait un chapeau descendant jusqu'au front et tenait en main un sac en plastique contenant des légumes.

"Bonjour, je m'appelle Avigdor, vous ne me connaissez pas, mais, moi, j'ai connu votre père, il y a plus de 25 ans. J'étais infirmier à l'hôpital psychiatrique, près de Lifta. Un matin, votre père arriva à l'entrée de l'hôpital et demanda:" Excusez-moi, j'entends des cris effroyables... qui est la personne qui crie ainsi ?!"

Rav Arié, votre père, remarqua tout de suite, en entrant dans le service, le fameux malade, grand de taille et courbé, qui vociférait comme un possédé des mots décousus sans aucun sens, tout en sautant, en donnant des coups de pieds et en frappant sa tête contre le mur en béton. Je me dirigeai vers lui et il me demanda: "Pourquoi crie-t-il? Pourquoi, en dehors de lui, tout le monde est si calme?"

"Je lui expliquai que l'hôpital fonctionnait selon les instructions du gouvernement britannique. Les malades n'avaient pas tous le droit de recevoir des calmants. Les britanniques avaient décrété, que seuls les malades, qui avaient un proche parent leur témoignant de l'intérêt et disposé à faire pression pour leur bien-être, pouvaient en recevoir. Comprenez bien monsieur, ai-je dit à votre père, que ce malade, portant le nom de Néhémie Bodelevsky, est seul au monde, il n'a ni proches parents ni connaissances. C'est un rescapé de la Shoah, sans-abri..."

Avigdor continua son récit:"Néh'émia Bodelevsky ? a crié votre père, avec émotion. Mais je suis apparenté à lui. Je ne peux pas y croire, Maitre du monde, Néh'émia est encre vivant et se trouve devant moi..."

"Puis, votre père s'est dirigé vers Néh'émia, cet homme déséquilibré, et l'a enlacé, embrassé avec affection et chaleur. Il a ensuite sorti de sa poche quelques bonbons et m'a demandé de me tourner vers le gouvernement, afin qu'il procure instamment des médicaments au malade. Avant de partir, il m'a remis deux shillings pour choisir les médicaments les mieux adaptés. C'est ainsi que votre père venait, chaque Roch Hodech, les mains remplies de sucreries, rendre visite au malade Néh'émia Bodelvsky, qui la plupart du temps avait le regard hagard et sortait de sa bouche des phrases dépourvues de sens. Il s'asseyait près de lui un quart d'heure, lui parlait avec beaucoup d'affection. Votre père parlait et Néh'émia écoutait silencieusement et mâchait, détendu. Avant de se séparer de lui, Rav Arié embrassait Néh'émia sur le front et lui souhaitait une prompte guérison. Néh'émia souriait et rayonnait de joie, mais il ne guérit malheureusement jamais. Deux jours avant la Déclaration d'indépendance, alors que nous étions contraints d'évacuer l'hôpital, il eut une crise cardiaque et vacilla entre la vie et la mort. Nous réussîmes à stabiliser son état et lorsqu'il reprit conscience, il me fit signe de venir vers lui, car il voulait me dire quelques mots:"Avigdor, je veux que vous sachiez, le Rav à la longe barbe, qui m'apportait chaque Roch Hodech des sucreries est un tsaddik. Il ne m'est pas du tout apparenté. Je ne l'avais jamais vu de ma vie jusqu'au jour où il est arrivé à l'hôpital avec des bonbons. Je sais Avigdor, que c'est uniquement grâce à lui que j'ai pu recevoir des calmants. Avant qu'il vienne, je rugissait comme un lion en cage, et les quelques instants de bonheur que j'ai pu vivre après l'innommable Shoah, ont été les moments passés en compagnie de Rav Arié, avec les bonbons et la halva, avec son baiser et sa bénédiction sincère. Je vous demande Avigdor de lui dire que je l'aime et que je lui demande pardon de ne l'avoir jamais remercié. Expliquez-lui bien qu'à part maintenant, dans ces terribles moments d'agonie, je n'ai jamais pu formuler une seule phrase entière et cohérente. Remerciez-le en mon nom Avigdor, c'est mon testament."

Rafael et Shimon essuyaient leurs larmes. "Et nous, au moment où papa faisait un hessed chel emet (bonté pure) envers ce malheureux juif, rescapé de la Shoah, nous révisions nos michnayot, sous le caroubier..."