La paracha de cette semaine est d’une grande richesse en matière de travail des vertus. Il suffit d’évoquer les passages les plus emblématiques de la paracha tels que les dix commandements ou encore le premier paragraphe du Shema’ pour constater que nous avons sous nos yeux une grande panoplie de dispositions morales à étudier.

Nous aimerions porter notre attention sur le passage suivant pour en tirer des enseignements moraux : « N'ajoutez rien à ce que je vous prescris et n'en retranchez rien, de manière à observer les commandements de l'Éternel, votre Dieu, tels que je vous les prescris » (Dévarim, 4. 2).

Ce passage est surprenant car notre paracha débute sur l’importance des mitsvot, puis elle semble faire une parenthèse pour rappeler l’interdit et la gravité de l’idolâtrie spécifique du culte de Ba’al Peor, puis elle revient au cœur de son sujet : l’observance fidèle des mitsvot.

Evidemment, cette juxtaposition des versets exige un examen approfondi, car rien n’est fortuit dans notre sainte Torah et tout est porteur de sens. 

Comme nous l’avons vu, les versets qui précédent le rappel de l’interdit de l’idolâtrie de Ba’al Peor exhortent l’homme à ne pas « ajouter » de mitsvot à la Torah, ni d’en « retrancher ». Cette disposition d’apparence anodine est en réalité fondamentale, elle a garanti la préservation de notre tradition et nous a prémuni des excès du fanatisme.

En effet, en matière de religion et de fidélité à l’Eternel, le dévot peut être prêt à tout. Que puis-je refuser au Créateur ? Rien n’est assez grand pour Lui montrer mon amour ! Tout semble dérisoire par rapport à la dette que nous avons à Son égard !

Or, précisément, ce type de raisonnement peut amener l’homme aux pires excès et aux pires dérives, à l’image du culte de Ba’al Peor mentionné ici qui amenait l’homme à s’avilir de la pire manière, ou du culte de Molekh qui voyait des hommes passer par le feu leurs enfants pour les « offrir » à leur idole. Inutile de s’étendre sur les formes modernes de ce fanatisme qui justifient les pires atrocités au nom de la religion, chacun les a en tête.

Mentionnons également que sans aller à de telles extrémités, la conscience exacerbée de la sainteté des actes religieux peut amener l’homme à développer des exigences exorbitantes avec lui-même, une volonté de perfection parfois incompatible avec la nature humaine. Les troubles obsessionnelles compulsifs (les fameux TOC) trouvent parfois leur origine dans une volonté de bien faire, mais finissent par créer des rituels autonomes que l’homme s’impose à lui-même en dehors du cadre de la Torah.

En interdisant à l’homme d’ajouter (ou de retrancher) quoi que ce soit aux commandements de la Torah, notre tradition nous a prémuni contre les excès destructeurs auxquels peut conduire l’expression de la foi. En effet, lorsque l’homme souhaite se rapprocher de son Créateur, il peut être tenté de faire preuve d’un zèle excessif, et d’aller au-delà de ce qu’on lui demande.  il peut même être prêt à « tout » pour prouver sa piété. 

Or ces excès sont précisément le contraire de ce que la Torah nous demande. Comme le mentionne le Rambam à de nombreuses reprises, une règle d’or dans la pratique de la foi est le « juste milieu ». Notre tradition a fait ainsi preuve d’une parfaite et subtile connaissance de l’esprit humain et des méandres dans lesquels il peut s’abîmer.

Précisons qu’il ne s’agit évidemment pas de recommander une forme de « froideur », de « tiédeur », ou de « distance » dans la pratique de la foi, il convient, bien entendu, d’entretenir le feu sacré qui nourrit la volonté des hommes de se rapprocher de leur Créateur. Il est également très important d’entretenir une grande exigence dans la pratique des mitsvot, le travail des midot. Toutefois, il faut s’en tenir à ce que préconisent la halakha et nos Sages dans leur interprétation de celle-ci.

En outre, ce verset vient rappeler à l’homme la nécessité d’accorder une égale importance à tous les commandements de la torah. En effet, selon sa sensibilité, son éducation, son histoire, l’homme peut être amené à ressentir plus fortement la nécessité et la grandeur de certains commandements, alors que d’autres lui « parlent » moins. Cette inclinaison naturelle de l’esprit, fut-elle légitime et compréhensible, ne doit pas avoir d’impact dans la pratique des mitsvot, elle ne doit pas conduire l’homme à en « rajouter » dans certains points et en négliger d’autres. Il doit s’efforcer de leur accorder la même importance en les appliquant fidèlement à ce que la Torah nous demande de faire.

C’est ainsi que le Rabbi de Kotzk expliquait les versets de notre paracha de la manière suivante : « Ne déforme pas les commandements divins au gré de ta propre volonté. Observe-les tels qu’ils ont été donnés dans la Torah et commentés dans le Talmud. Si tu choisis quelles mitsvot sont plus ou moins importantes, tu crées ta propre Torah. Or toute Torah de ta propre création n’est rien d’autre que de l’idolâtrie, car tu sers ta propre volonté plutôt celle de D.ieu. Ne transforme pas ce que D.ieu t’a commandé en idole, ne transforme pas les mitsvot en idoles ! »

Nous ne pouvons conclure cette étude sans mentionner un autre verset de notre paracha qui complète les propos précédents. Nous trouvons ainsi la recommandation suivante « Tu feras ce qui est bon et juste à tes yeux » (Deutéronome, 6. 18). Rachi commente ce verset en insistant sur la nécessité d’agir parfois au-delà de la stricte justice, de la stricte halakha. Est-ce à dire que l’on peut sortir du cadre de la halakha, contrairement à ce que nous venons de voir ?

Evidemment, non. Au contraire, il s’agit d’encourager l’homme à ne jamais perdre de vue l’esprit de la halakha, et à être attentif à ce que la pratique de la loi ne l’amène pas à agir contrairement à l’esprit de celle-ci. Par exemple, une personne qui mangerait de la nourriture cachère de manière excessive et sans élégance, ne transgresserait pas l’interdit de ne pas manger cacher, mais pourtant, il ne respecterait pas l’esprit de la Torah. Le Talmud nous donne d’autres exemples où les hommes ont agi formellement dans le cadre de la Loi, mais pourtant, ils n’ont pas agi de manière « bonne et juste ». Nos Sages nous disent même que ce serait une des raisons de la destruction du Temple.

Tout en exigeant de l’homme qu’il n’ajoute pas ni ne retranche des règles de la Torah, cette dernière reconnaît implicitement qu’elle ne peut pas légiférer et prévoir toutes les situations dans lesquelles un homme se trouvera confronté au cours de sa vie. Pour celles qui sortent du cadre strict de la halakha, l’Eternel donne aux hommes cette boussole « faire ce qui est bon et juste » en gardant en tête l’esprit de justice, de bonté et de générosité qui est préconisé par la Torah.

Concluons sur cette anecdote éloquente. Le Rabbi ‘hassidique de Rizhin interrogea un de ses élèves sur le nombre de parties qui compose le Choul’han Aroukh. « Quatre ! » lui répondit son élève. « Comment, tu ne connais pas la cinquième partie ? » lui objecta le Rav. « Mais Rav, il n’y en a que quatre ». « Il existe une cinquième partie (non écrite) et qui se résume au principe suivant « Traite toujours chaque homme comme un Mentsh » » conclut le Rizhiner Rebbe.

Cette section non-écrite du Choul’han Aroukh est une règle d’or qui permet d’agir « conformément à ce qui est bon et juste » tout en se préservant des excès et de la démesure préjudiciable au service divin.