Nous avons jusque-là décrit trois catégories d’individus sur quatre dans le cadre du précepte de juger équitablement. Les trois premiers étaient l’homme vertueux, l’homme moyen et l’homme non-vertueux. La quatrième catégorie est l’étranger, une personne que nous ne connaissons pas et dont ne nous pouvons juger de la droiture. Comme nous le ne connaissons pas, il n’y a aucun moyen logique de juger ses actions. En conséquence, il n’y a aucune obligation de juger ses actions favorablement. Mais il est louable néanmoins de lui accorder le bénéfice du doute lorsqu’il commet un acte suspicieux. Il est toujours louable de chercher une interprétation positive des actions des autres. De plus, agir ainsi revient à appliquer le commandement d’aimer notre prochain comme nous-mêmes : ce commandement nous demande de traiter et de considérer autrui de la même manière que nous voudrions être traités nous-mêmes. Nous aimerions certainement que des passants jugent nos actions favorablement.

Nous avons mentionné la fois passée qu’il y a deux aspects dans le jugement porté à autrui : l’un est de déterminer s’il a commis un certain acte ou non. Le second est de juger les motifs qui sous-tendent sa conduite. Ce principe s’applique tout autant à un étranger qu’à un proche. Pour la première catégorie, nous avons vu qu’on ne nous demande pas d’être naïf et de présumer que tout le monde est vertueux. Néanmoins, quant au second, nous sommes tenus de ne pas exercer de jugement sur la personne pour ce qu’elle a fait en présumant que nous lui sommes supérieurs.

Ce concept se retrouve dans toute la pensée juive : nous ne pouvons jamais être sûrs de savoir qui est éminent aux yeux de Hachem. Pourquoi ? Chacun est jugé en fonction de la quantité d’efforts qu’il déploie pour s’améliorer. L’un a peut-être été élevé au sein d’une famille vertueuse et a bénéficié de toutes les occasions pour manifester sa droiture, et il lui sera peut-être facile d’exécuter tous les gestes sans beaucoup d’efforts et d’accéder à un haut niveau de vertu. Mais s’il n’a pas déployé beaucoup d’efforts, il ne lui sera pas attribué beaucoup de mérites pour ses actions.

En revanche, un individu qui est né dans une famille de meurtriers, par exemple, aura beaucoup plus de mal à accéder un niveau de droiture : pour lui, s’abstenir de tuer est une grande épreuve et s’il la relève, il se peut qu’il mérite une plus grande récompense qu’un autre homme vertueux.

En s’appuyant sur ce concept, il ressort que nous ne pouvons jamais exercer de jugement sur la conduite des autres, même si nous savons qu’ils ont commis des actions incorrectes.

Nous avons couvert la majorité des lois liées à l’interprétation des actions d’autrui. La Guémara dans Brakhot aborde un dernier aspect de ce précepte ; elle reconnaît qu’en certaines occasions, il peut s’avérer totalement impossible de juger favorablement même un homme vertueux, et l’on a le droit de présumer qu’il a commis une faute. Néanmoins, la règle stipule que nous devons présumer qu’il a regretté sa faute et a fait Téchouva le lendemain (il s’est repenti[1])[2].

Comment pouvons-nous être certains que cet homme vertueux a fait Téchouva aussi rapidement ? La réponse se trouve dans un principe élémentaire de l’attitude de la Torah face à la progression : un homme doit constamment se trouver dans un processus d’introspection (‘Hechbon Hanéfech) en évaluant ses actions de la veille. Nous pouvons être certains qu’un individu vertueux réalise ce bilan quotidien et à ce moment-là où il analyse honnêtement ses actions, il va en venir à réaliser qu’il s’est trompé et fera Téchouva pour son acte.

L’idée du ‘Hechbon Néfech peut apparaître assez novatrice : la société occidentale ne met pas beaucoup l’accent sur l’importance d’analyser ses actions et traits de caractère comme instrument pour l’amélioration personnelle. On connaît le concept d’évaluer ses résultats d’exploitation et sa situation financière, mais dans le domaine de la croissance personnelle, cette approche est bien moins connue.[3] Il semble probable que l’une des causes principales du taux élevé de divorce tient à l’attitude de « J’ai raison, mais l’autre a tort et doit tenter de s’améliorer. » En revanche, l’approche de la Torah met l’accent sur l’idée que nous devons nous focaliser davantage sur notre propre attitude dans la relation et moins sur celles de notre conjoint.

La première étape du ‘Hechbon Néfech consiste à apprendre à se connaître soi-même. À savoir : développer une familiarité avec ses traits de caractère, à la fois positifs et négatifs. En l’absence d’une telle prise de conscience, un individu ne peut commencer à s’améliorer. Une bonne manière de le réaliser consiste à dresser une liste de nos principaux traits de caractère et à cerner nos points forts et nos points faibles. Autre outil pour nous aider à réaliser dans quel domaine de croissance nous voulons nous concentrer : noter les sujets de dissension dans nos relations. Par exemple, si le principal point de friction dans le mariage est notre caractère colérique, ce sera certainement le point le plus important dans ce travail sur soi.

Nous avons vu comment le ‘Hechbon Néfech est si ancré dans la pensée juive au point que nous pouvons être sûrs qu’une personne vertueuse qui s’est égarée évaluera ses actions et fera Téchouva.

 

[1] En réalité, le terme « repentir » n’est pas la bonne traduction du terme hébraïque « Téchouva » qu’il serait préférable de traduire par « retour » : la Téchouva est le retour d’un individu vers Hachem après s’être éloigné de Lui par ses actes négatifs.

[2] Brakhot, 19a.

[3] Il est vrai qu’il existe un certain nombre d’ouvrages sur le développement personnel qui contiennent parfois des aspects d’auto-évaluation, mais ils sont néanmoins limités et leur motivation est souvent de permettre à quelqu’un de réussir mieux dans les affaires et non pas nécessairement de s’améliorer sur le plan personnel.