L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.

Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.

Résumé de l’épisode précédent :

Le moment fatidique est enfin arrivé pour Eliakoum, le jeune esclave hébreu qui doit à présent faire ses preuves, en tant que professeur de tir à l’arc pour le compte du Prince Ankhéfènie...

 

Eliakoum pénétra le palais royal. Il arpentait les longs couloirs tapissés de mosaïque. Quelle splendeur ! Il n’avait jamais rien vu d’aussi splendide. Il ressentait à la fois de l’admiration et du dégoût dans ce palais empreint de la souffrance des siens.

« Laissez-nous ! », ordonna le prince à ses domestiques une fois au pied de ses appartements.

La résidence du prince était presque aussi grande que le baraquement de toute la tribu de Binyamin.

«Les gens du palais vont faire passer le mot que tu es mon invité, tu n’as rien à craindre », assura le prince.

Ankhéfènie s'intéressa à son convive. « Où as-tu appris à manier l’arc de la sorte ? ».

« C’est mon père, maître, il était très habile dans le maniement des armes… ».

« Tu parles au passé ! »

« Oui, seigneur, il n’est jamais revenu d’une des corvées ». Sa voix trahissait son émotion.

Un silence gênant s’immisça entre les deux hommes.

« Je te payerai un shât d’or pour tes leçons, ce prix te convient-il ? » 

« Cela est plus que trop, maître. Je ne sais pas si moi ou ma famille dépenseront une telle somme durant toutes nos vies réunies », répondit Eliakoum.

Le prince sourit. La délicatesse de son jeune interlocuteur lui plaisait beaucoup. Il se dirigea vers une grande armoire en bois de chêne et sortit deux arcs en métal fin.

« Celui-ci sera le tien, débutons la leçon », ordonna-t-il.

Eliakoum se concentra sur le maniement de l’arme et dissipa toute angoisse. Il montra au prince comment étirer l’arc avec la force du buste, lui expliqua comment respirer en accord avec son mouvement…

« Vous devez faire le vide dans votre tête et sentir votre souffle, rien d’autre ne doit exister à part la cible qui est devant vous. Vissez vos pieds dans le sol, bien parallèles comme ceci ».

Le prince se montrait très habile. Après un moment d’exercices répétés, Eliakoum jugea que le prince pouvait désormais passer à la phase pratique et s’exercer sur une vraie cible.

Des coups se firent soudainement entendre sur la lourde porte des salons du prince d’Egypte.

« Qui va là ! J’avais demandé à ne pas être dérangé !», tonna le prince.

Une voix lointaine répondit au loin. Seigneur, c’est le prince de Libye, avec une nouvelle énigme pour vous. »

Ankhéfènie regarda un instant Eliakoum puis se dirigea vers la porte. Le messager lui tendit un papyrus avant de refermer la porte. Le prince déroula le papyrus. « Cher prince Ankhéfènie, je vous envoie une nouvelle énigme de Libye. Un roi enferma une femme coupable de trahison dans une des geôles du palais, il donna comme instruction que personne ne nourrisse ni n’abreuve la femme, jusqu’à ce que mort s’ensuive… La fille unique de la femme supplia le roi de lui accorder une visite journalière. Le roi eut pitié et accorda à la jeune femme son souhait, mais à la condition qu’elle soit fouillée à son entrée par une brigade s’assurant ainsi qu’elle ne transmette rien à sa mère… Mais après quatre semaines, la mère ne mourait pas. Le roi ne comprit guère la raison de sa survie, jusqu’à ce qu’il découvre le mystère… Dis-moi, prince d’Egypte, quelle était donc le secret de cette dame ? ».

Le prince avait lu la missive à voix haute. Il se tenait là, la lettre dans une main, l’arc dans l’autre, réfléchissant.

Après un court instant, il leva les yeux. 

« Qu’en dis-tu Eliakoum ? ». C’était la première fois qu’il l’appelait par son prénom.

« Maître », répondit-il, « la poitrine de la jeune femme était sûrement gorgée du lait de ses enfants qu’elle donna à boire à sa mère… ».

La mine du prince s’illumina. « Félicitations Eliakoum, ton esprit est bien vif. Étudiez-vous les sciences à Goshen ? ». Son ton était respectueux envers l’Hébreu à présent. 

Le prince était féru de culture, il aimait beaucoup la sagesse. Pour lui, la connaissance n’avait pas de distinction, qu’elle vienne de Canaan ou de Libye. S’il la jugeait authentique, il l’étudiait. A son grand regret, il n’avait côtoyé que peu de penseur étrangers, le Pharaon lui défendait de s’instruire hors de l’Egypte ; seules les lettres du prince de Libye étaient cautionnées à la cour…

« Oui maître, nous avons une longue tradition datant de nos ancêtres, Avraham Its’hak et Yaakov, portant sur l’unicité de D.ieu et la philosophie ».

« Y serais-tu initié pour m’en dévoiler les usages ? ».

« Je peux vous apprendre ce que mon père m’enseigna, cela représente la base, mais le savoir de notre peuple est infini répondit Eliakoum pour qui l’arc était devenu secondaire.

L’intérêt du seigneur redoubla. Il invita Eliakoum dans sa salle d’étude privée.

Les deux hommes pénétrèrent une immense salle remplie d’étagères sur lesquelles toutes sortes de papyrus étaient entreposés. Une épaisse table en or massif était installée au milieu de la pièce, avec deux sièges identiques, l’une face à l’autre.

« J’ai fait construire cette salle pour étudier les sciences avec les savants des quatre coins de l’Egypte. Comme tu peux le remarquer, les chaises sont similaires pour que mon titre princier ne perturbe pas mes interlocuteurs… ».

Eliakoum était déconcerté par l’attitude si noble de ce prince. Est-ce bien le fils de celui qui asservissait son peuple avec tant de cruauté ? Cautionnait-il seulement les agissements de son père ? 

Toujours sur ses gardes malgré les recommandations du prince, Eliakoum prit place.

« Dis-moi Eliakoum, quelles divinités servent les Hébreux ? », demanda le prince de but en blanc.

« Nous servons le D.ieu unique, Créateur du ciel et de la Terre, celui qui se dévoila à nos prophètes ».

« Je croyais que tu allais m’apprendre une sagesse pertinente, Eliakoum, mais peut-être devrais tu te cantonner au tir à l’arc ! Tout le monde sait en Egypte que les divinités sont diverses, il y a le Nil, Râ, Djen et d’autres que les nations servent, mais un D.ieu Unique, personne n’en parle vraiment ».

« Maître, permettez-moi d’exprimer la pensée de mes maîtres avant de la juger si sévèrement ». Eliakoum baissait les yeux pour ne pas se montrer impertinent.

Le prince s’arrêta un instant avant de continuer. « Poursuis donc ton exposé ».

« Merci mon maître. Nous sommes porteurs d’une tradition qui a pour origine le premier homme, Adam, créé par D.ieu. Adam était alors le seul être humain sur Terre, jusqu’à ce que l’Eternel décide de créer sa femme, ‘Hava. Adam, ‘Hava et leurs enfants communiquaient avec le Créateur, ils transmirent à leur famille la connaissance de D.ieu et son Unicité. Adam eut comme principal disciple son fils Chet, puis plus tard Metouchéla’h, un plus lointain descendant. Tous deux transmirent à leur tour la parole de D.ieu. Métouchéla’h côtoya Adam pendant 243 ans et décéda en l’an 1656. Il transmit à son tour les secrets des origines de la vie à Noa’h, qu’il côtoya durant 600 ans.

Chaque membre de notre tradition a eu de nombreux élèves, si bien que beaucoup ont transmis le message d’Adam aux gens de leurs époques… Mais, pendant que la parole de D.ieu se répandait parmi les êtres humains, le Mal aussi se propageait et atteignait l’humanité telle une gangrène, jusqu’à ce que D.ieu, voyant leurs comportements pervers et immoraux, décida d’envoyer un Déluge qui éradiqua toute la vie sur Terre, à l’exception de Noa’h et des siens, ainsi que certains animaux sélectionnés pour perpétuer leur espèce, qui survivraient dans une arche protectrice ».

« Comment le Mal est-il apparu ? », interrompit le Prince intéressé par le récit.

« Adam et ‘Hava étaient immortels, à l’image de D.ieu. Il les plaça dans un jardin nommé Eden. Le couple était autorisé à consommer les fruits de tous les arbres qui s’y trouvaient, à l’exception d’un seul : le fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. S’ils enfreignaient la règle, ils le paieraient de leur vie, ils perdraient leur immortalité… C’est alors que D.ieu envoya le Mal, qu’Il créa pour confronter Adam et ‘Hava à l’épreuve, celle de la désobéissance. Le Mal était incarné dans le serpent. Le reptile fit trébucher les époux. La sentence fut décrétée : Adam et sa femme furent chassés du jardin d’Eden … »

« Donc c’est votre D.ieu qui a créé le Mal ? », demanda le prince, interloqué.

« Oui maître. Mon père m’en expliqua la raison. D.ieu attend de nous que nous soyons des êtres bons, au point où tout notre être tende uniquement vers la bonté et la morale, à l’image de D.ieu ; pour cela, l’Eternel créa le Mal afin que notre choix en faveur du bien soit le fruit de notre décision personnelle. C’est ainsi que, libre de toute contrainte, la bonté suprême nous pénètrerait profondément. Seul le rejet du Mal témoigne réellement de l’envie du Bien. »

Les propos d’Eliakoum pénétraient l’esprit captivé du prince qui voulait en entendre plus sur les fondements de cette tradition qui lui semblait empreinte d’une grande noblesse quoique quelque peu étrange. De plus, certains récits égyptiens relataient effectivement une catastrophe planétaire qui détruisit jadis le monde par l’eau. Le prince était curieux de savoir comment cet épisode était expliqué par les Hébreux Cependant, le prince émettait de grandes réserves. Le discours du jeune Hébreu était totalement nouveau pour lui. Il devait en savoir plus…

« Parle-moi encore de votre tradition concernant votre D.ieu ».

Eliakoum reprit. « Pour mettre fin au Mal extrême qui régnait en ces temps, D.ieu envoya un déluge, dont il n’épargna que Noa’h et sa famille. Après le Déluge, Noa’h et ses trois fils, Chèm, ‘Ham et Yafèt reçurent le commandement de D.ieu de repeupler le monde. Ils sont les pères du nouveau monde. Et le Mal s’immisça à nouveau dans les usages des hommes et les poussa de nouveau à l’idolâtrie et à la perversité, au point qu’ils s’allièrent tous en Babylonie dans la construction d’une tour qui avait pour objectif de renier D.ieu en le combattant. C’est alors qu’un homme s’éleva au-dessus du lot, disciple de Noa’h, de Chem puis de son fils ‘Evèr. Il s’appelait Avraham, il côtoya Noa’h durant 58 ans. Avraham propagea les enseignements de Chèm et de ‘Evèr partout dans le monde, fédérant une grande assemblée de disciples».

Le prince ne tenait plus. Il était tiraillé entre l’apparente sincérité de son interlocuteur illustrée par la précision de son récit, et de l’autre le manque de preuves de ses histoires dans les chroniques égyptiennes. « Assez Eliakoum ! Tu es un beau parleur, j’ai côtoyé beaucoup de penseurs égyptiens et personne ne m’a parlé de cette mystérieuse tradition dont tu parles ! ».

Il se leva et dit d’un ton sec : « Demain, nous reprendrons nos leçons du maniement de l’arc. J’enverrai un garde prévenir ta famille que tu séjourneras un moment au palais ».