Le judaïsme authentique accorde une grande importance à l’environnement dans lequel il évolue. Ecoles juives, lieux de culte et organisations israélites en tous genres. Le judaïsme est communautaire. 

Pourquoi ?

Le judaïsme serait-il un club privé dont les membres seraient affiliés par leur ascendance ? Ne serait-ce pas orgueilleux, voire insultant vis à vis des non Juifs ?

Alors, sentiment de supériorité ou protection du patrimoine spirituel ? Essayons de lever le voile sur ce mode de vie trop souvent mal interprété et tentons d’en comprendre les raisons.

La première à encourager le peuple juif à limiter les relations avec les nations du monde, c’est la Torah elle-même. Lorsque, sur le point d’entrer en terre d’Israël, la Bible mettait en garde le peuple juif de ne pas fréquenter les peuples idolâtres avoisinants, elle donnait une marche à suivre. « Ne suivez point des divinités étrangères, aucun des dieux de ces peuples qui vous entourent » (Deutéronome 6, 14) Pour quelle raison la Torah isole-t-elle son peuple des autre nations ? 

Rachi explique sur place : « Puisque tes voisins se livrent à l’idolâtrie, il y a plus de risque que tu en sois influencé » . C’est donc l’influence extérieure qui justifie la mise à distance. Se protéger de l’influence de l’idolâtrie. Préserver son patrimoine spirituel. Ne pas risquer d’entacher ses croyances.

Mais l’influence justifie-t-elle un tel éloignement ? Ne pourrait-on pas y faire face au lieu de s’éloigner ? Le pouvoir de l’influence est-il si fort ?

Le Rambam, dans son ouvrage Michné Torah, explique que « la nature de l’homme est d’être influencé dans ses idées et ses comportements par ses amis et de se comporter de la même manière que les citoyens de son pays » (Lois de la connaissance chap. 6, 1). L’influence des autres semble inévitable. Nous sommes irrémédiablement incités par les comportements des autres. Ils déteignent sur nous, au point que si le lien est trop étroit, nous risquons de les imiter. 

Ce qui, au niveau parental, revient à préserver ses enfants des mauvaises influences de la rue, l’est tout autant au niveau divin afin de préserver le peuple monothéiste de l’idolâtrie et de nos jours de l’athéisme ou des autres croyances en général.

Comment marche l’influence ? Est-elle réellement inévitable pour qu’on la craigne tant ?

Le mécanisme de l’influence

Grâce à l’avènement des neurosciences, nous découvrons tous les jours un peu plus le fonctionnement de l’Homme, sa complexité et son mécanisme. C’est là qu’il faut se diriger si nous souhaitons comprendre plus amplement notre nature et du même coup les propos de nos Sages. 

Remontons le temps, trente ans plus tôt, au département de neuroscience de la faculté de Parme en Italie. L’équipe du chercheur Giacomo identifie les neurones miroirs. La découverte est de taille : il s’agit de l’identification des principaux systèmes neuronaux activés lors de l’apprentissage cognitif et social. En neuroscience cognitive, les neurones miroirs jouent un rôle majeur, notamment dans l’apprentissage, la compréhension de la communication et même dans certains processus affectifs. Le professeur Ramachandran, autorité dans le domaine, les appelle même les « neurones empathiques ». 

Comment les neurones miroirs s’activent-ils en nous ?

C’est là que nos réseaux miroirs - ces réseaux de cellules nerveuses dans notre cerveau - entrent en jeu. Ils sont l’un des moyens qui nous permettent de rentrer en résonnance avec les personnes qui nous entourent ; d’être capable de ressentir, d’interpréter et de comprendre, sans en être vraiment conscient, ce sens qu’ils tentent eux-mêmes de nous transmettre entre les lignes de leurs phrases, entre les espaces de leurs mots.

Les réseaux miroirs sont l’un des supports biologiques de cet accès spontané et immédiat qui permettent l’interprétation que nous nous faisons du ressenti des autres par l’intermédiaire de leurs gestes, des expressions de leur visage, de la modulation de leurs voix.

Nos réseaux miroirs s’activent en nous, à la fois lorsque nous effectuons un geste, mais aussi lorsque nous voyons une autre personne réaliser le même geste. Et ainsi, nous déchiffrons leurs intentions en nous appropriant leurs actions, en les mimant en nous. Nous traduisons leurs mouvements dans le langage silencieux de nos propres intentions. Le geste que nous voyons l’autre faire, nous lui prêtons la même intention, la même signification, que celle que nous ressentirions si nous le faisions nous-même. Ainsi, nous nous mettons à la place de l’autre, de notre propre point de vue pour le comprendre.

Des chercheurs des Pays-Bas ont tenté de mesurer l’activité cérébrale des personnes qui cherchaient à comprendre les mouvements d’autres personnes pour mesurer la cohésion des individus entre eux lors d’un échange. (Schippers MB, Roebroeck A, Renken R, Nanetti L, Keyssers C. Mapping the information flow from the brain to another during gestural communication. Proc Natl Acad Sci Usa 2011, 107 : 9388-93). Les chercheurs avaient demandé à des personnes de jouer à un jeu de devinette où il s’agissait de mimer sans paroles la signification d’un mot, de manière à permettre aux spectateurs de deviner le mot en un temps limité. Les chercheurs ont dcoient apparaître un mot sur un écran et devaient s’efforcer de réaliser les gestes qui permettraient aux autres candidats de comprendre son sens. Les acteurs étaient filmés et la séance se déroulait dans un appareil d’imagerie qui permettait d’analyser les activités de leurs cerveaux. Durant la deuxième séquence du jeu, les chercheurs avait demandé aux joueurs de deviner le sens du mot en observant les gestes des acteurs. A leur tour, ils étaient installés dans un appareil d’imagerie qui analysait l’activité de leurs cerveaux. Puis les chercheurs ont comparé les activités des réseaux miroirs des acteurs et des spectateurs. Les chercheurs se sont rendus compte que l’activation des réseaux miroirs des spectateurs en train d’essayer de comprendre le mot suggéré par les acteurs était identique à l’activité des acteurs au moment où ils réalisaient leurs gestes pour décrire le mot.

Durant cette communication gestuelle, les spectateurs mimaient en eux les gestes des acteurs qui tentaient de leur faire comprendre le mot en question.

Au-delà de la gestuelle, il en va de même lorsque nous écoutons une personne parler ou raconter une histoire. Nous faisons résonner en nous les mots du narrateur, afin de les interpréter, de les comprendre. C’est ce que suggère une étude de chercheurs en neurologie de l’Université de Princeton aux Etats-Unis. (Stepens GJ, Silbert Lj, Hasson U. Speaker-listener neural coupling underlies successful communication. Proc Natl Acad Sci Usa 2011, 107 :14425-30)

Les chercheurs avaient enregistré des personnes pendant qu’elles racontaient une histoire personnelle qui leur était arrivée. Les spécialistes leurs avait demandé de raconter cette histoire comme ils le feraient avec un ami, naturellement sans l’avoir répété au préalable.

Pendant que les uns racontaient leur histoire, d’autres personnes les écoutaient à l’intérieur d’un appareil d’imagerie qui analysait les activités de leur cerveau. L’étude indique que de nombreuse zone du cerveau qui s’activent chez le conteur s’activent également chez les auditeurs pendant qu’ils écoutent l’histoire. 

Les auditeurs entrent en résonance avec les conteurs. Cette résonance implique à la fois des zones du cerveau impliquées dans la perception des sons, d’autres impliquées dans la compréhension du sens des mots comme l’aire de Wernicke, des aires cérébrales impliquées dans la production de la parole comme l’aire de Broca et ses régions frontales qui participent à la compréhension du sens général d’une histoire, des désirs et des intentions.

Ecouter une histoire, c’est aussi activer en soi l’aire de la production de parole, l’aire de Broca, pour mimer en soi les mots de l’histoire que nous entendons, comme dans un mode de communication classique. Ecouter l’autre, c’est le faire parler à l’intérieur de nous-même…

Nous faisons tout pénétrer en nous

Ces importantes découvertes nous permettent de comprendre pourquoi l’homme est si influençable. Sa nature est ainsi faite : il fait tout pénétrer en lui afin d’en saisir le sens. Le positif comme le négatif, le bien comme le mal pénètrent en lui avant même d’être soumis au jugement de valeur, au choix de le filtrer ou non. Si bien que toute vision, toute parole, toute gestuelle est d’abord introduite en l’homme avant d’être analysée. Nous absorbons tout. C’est un fait. 

Cela redouble d’importance concernant l'éducation nos enfants. Leur permettre l’accès à des films violents ou obscènes, c’est permettre de faire pénétrer en eux des images, des scènes avec lesquelles non seulement ils s’identifieront, mais aussi qu’ils mimeront dans les échos intérieurs de leur conscience juvénile.

C’est aussi pour cela que la Torah exige un certain retrait vis à vis des idolâtres bien sûr,  mais aussi des athées, et des autres croyances en général ; car en écoutant leurs propos, leurs idéaux, nous faisons pénétrer en nous leurs convictions avant même de les trier, de s’en méfier, et de rejeter ce qui n’est pas conforme à la Torah. Un Juif a énormément à perdre en se mêlant aux sociétés mondaines emprises d’un esprit matérialiste franchement risqué pour son bien-être et son évolution spirituelle.

De sorte que notre éloignement des nations n’est nullement dû à de l’arrogance ou à du mépris, mais à la nécessité de nous protéger en vue de ne pas faire pénétrer en nous des concepts qui risqueraient de nous écarter de notre chemin. D’ailleurs, nous rendons bien aux nations le respect de notre intimité, lorsque nous apportons notre touche singulière à l’humanité par la lumière divine qui émane de notre Torah…