Les premiers mots de notre paracha constituent la conclusion de la section de la semaine dernière. Ils évoquent notamment l’acte courageux et « hors norme » de Pinh’as, petit fils de Aharon, qui est intervenu pour mettre fin aux actes de débauche qui sévissaient au sein du peuple. Comme nous l’avons v u la semaine dernière, sur les conseils de Bilam, les filles de Midian séduisaient les enfants d’Israël et les encourageait à des pratiques idolâtres, notamment au culte de Ba’al Péor. 

Une épidémie divine fut envoyée au peuple comme châtiment qui causa près de 24 000 morts. Il faudra attendre l’acte courageux de Pinhas pour que le peuple se ressaisisse et que l’épidémie s’achève. Tout se passe comme si, avant cet épisode, les enfants d’Israël étaient anesthésiés, incapables de réagir, partagés entre complicité, résignation et sidération face au désastre moral et humain qui s’abattait sur eux.

Seuls le courage et la capacité d’indignation conservée intacte de Pinhas ont permis de réveiller le peuple, et de mettre fin à cette épidémie. A travers son exemple, nous mesurons combien est grande la responsabilité individuelle de chaque homme à la fois dans son rapport à son entourage et dans son rapport à D.ieu. A travers son exemple vertueux, ses résolutions, l’homme peut mettre fin aux épidémies et devenir l’associé de D.ieu dans la création en permettant au monde de se maintenir et à l’humanité de survivre littéralement.

C’est précisément ce que nous enseignent les Sages du Talmud dans un passage étonnant de prime abord. « Rav Hamnouna a dit : quiconque récite dans prière de vendredi soir le passage de « Vaykhoulou » est considéré comme l’associé de l’Eternel dans l’œuvre de la création » (Traité Chabat 119 b). Comment la simple mention de ces versets peut-elle faire de l’homme un associé de D.ieu dans l’œuvre de la création ?

Les Sages veulent probablement rappeler à l’homme son éminente responsabilité qui consiste à porter le témoignage de l’œuvre de D. sur terre. A travers sa parole, l’homme témoigne et reconnaît que le monde est l’œuvre de D.Ieu et rappelle, incidemment, que le monde a aussi été créé par la parole de l’Eternel.

L’homme est donc le témoin de D.Ieu sur terre. Sa parole comme ses actes non seulement l’engagent mais en outre excèdent sa propre personne pour refléter le Créateur. 

La Talmud poursuit son analyse et nous dit que celui qui prononce ce passage de « Vaykhoulou… » « sera accompagné par deux anges qui poseront les mains sur sa tête et lui disent «  Tes péchés sont effacés » (IsaIe, 6-7) » . Pour comprendre ce passage, il faut probablement se souvenir de ce passage de la Torah qui nous dit « Tout celui qui est témoin, qui a vu ou qui connait un fait, et qu‘il ne le déclare point est chargé d’une faute » (Vayikra 5.1).

Ce serait donc une faute pour l’homme que de passer le Shabat sans porter le témoignage que l’Eternel a créé le monde et qu’Il a achevé Son œuvre ce jour-là. En prononçant les mots du Kidoush, et notamment « Vaykhoulou … », l’homme s’acquitte de son devoir et efface ses fautes, notamment celle qui aurait consisté à ne pas célébrer ce moment, ne pas le rappeler, le passer sous silence.

De même, il était essentiel pour Pin’has d’agir face à la situation dramatique qui se déroulait devant ses yeux. Il ne pouvait en être le témoin silencieux et passif. Une telle attitude serait une faute dans notre tradition, conformément à ce que nous enseignent les Maximes des pères « Là où il n’y a pas d’hommes, efforce-toi d’être un homme ».

L’exemple de Pin’has est particulièrement saisissant dans la mesure où li souligne que le mérite d’un homme a suffi à réveiller l’ensemble du peuple et à mettre un terme à l’épidémie qui le décimait. Le Rambam avait déjà évoqué cette idée dans les lois sur le repentir en exhortant chaque homme à se considérer lui-même comme moitié méritant / moitié coupable, et, dès lors, chaque action peut faire basculer la balance d’un côté ou de l’autre ; le Rambam précisait que nous devons également considérer le destin du monde comme reposant sur les moindres décisions individuelles, chaque parole, chaque acte peut faire basculer la balance qui juge le monde du côté du mérite ou de son contraire, D. nous en préserve.

Ainsi, cette paracha nous rappelle à notre responsabilité individuelle qui nous engage bien au-delà notre propre personne et peut avoir des répercussions sur l’humanité.

Depuis plusieurs semaines, chaque fois que nous lisons le mot de « maguefa » « épidémie » dans le texte biblique, nous sommes saisis, nous tendons l’oreille et nous essayons de comprendre un message. Toutefois cette semaine, cette attention est redoublée par le fait que le mot « maguefa » est accompagnée d’une rupture de syntaxe et d’écriture très rare dans le texte biblique qui consiste dans un retour à la ligne de suite après les trois mots « Et ce fut après l’épidémie… ». 

Tout se passe comme si l’Eternel voulait attirer notre attention sur cette période de rupture que représente une épidémie : il y a un avant et un après, la vie ne reprend pas son cours « comme si rien ne s’était passé ».

Et lisons donc attentivement les mots qui suivent : « Et ce fut après l’épidémie…. L'Éternel dit à Moïse et à Eléazar, fils d'Aaron le pontife, ce qui suit:  "Faites le relevé de la communauté entière des enfants d'Israël… » (chapitre 26, 1-2). 

Après l’épidémie, l’Eternel demande donc un recensement du peuple. Toutefois, le terme employé pour désigner le dénombrement des enfants d’Israël signifie littéralement « relevez la tête des enfants d’Israël ». Comme nous le savons, notre tradition répugne à compter les hommes en les fondant tous dans une même masse sans identité, sans humanité. La Torah préfère s’intéresser à chaque homme, à chaque « néshama », chaque âme qui est un trait d’union entre l’homme et D.ieu et porteuse d’une richesse infinie.

En somme, la Torah vient nous dire que l’épidémie n’est jamais le dernier mot de l’histoire. Elle n’a pas vocation, aussi difficile soit-elle, à détruire l’humanité mais à susciter un sursaut de cette dernière, et, en dernière analyse, à l’encourager à « relever la tête » pour reprendre la belle expression de la Torah. 

L’homme est ainsi invité à laisser pénétrer en lui cet éveil de la conscience et de l’âme (hitorerout) qui donne à chacun l’intuition de la voie vertueuse dans laquelle il peut s’engager, qui permet à chacun, selon son niveau, de déterminer les directions dans lesquelles il peut s’engager afin de progresser dans l’étude de la Torah, le respect de la halakha (la loi juive) et dans les actes de bonté envers son prochain.

 Ce qui aide l’homme en ce sens, c’est précisément cette sollicitude de l’Eternel qui ne lui retire jamais son affection, mais pense à lui, a les yeux sur lui au point qu’Il désire le compter en permanence dans l’histoire biblique comme on compterait des diamants, des pierres précieuses ou des étoiles (Rashi).

A propos de la rupture syntaxique que nous avons évoquée après les mots « Et ce fut après l’épidémie », le commentateur Hizkouni nous donne l’interprétation suivante : l’Eternel souhaitait signifier qu’à partir de là, il n’y aurait plus de morts, mais l’ensemble du peuple rentrerait sur la terre d’Israël.

Puissions-nous également, à l’occasion de ce Shabat, de cette parasha et de la lecture de ces versets, prier l’Eternel de tout notre cœur pour qu’Il mette un terme à l’épidémie qui frappe le monde, et accorde une refoua shelema à tous les malades. 

Puisse l’Eternel nous permettre d’assister très rapidement à la venue du Mashia’h et à la reconstruction du Beth Hamikdash (Temple).