L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.

Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.

Résumé de l’épisode précédent :

Le prince Ankhéfènie est enfin parvenu à Goshen, masqué sous une fausse identité. Alors qu’il s’apprête à découvrir le sagesse des Hébreux auprès du Rav Aboulkabat, il ignore que les sbires de Pharaon sont déjà prêts à percer son secret, en mettant Eliakoum à contribution...

 

 « Anoukis ? Que fais-tu ici à une heure si tardive ? », demanda Eliakoum qui se redressait sur son lit. 

« Je… je… enfin j’ai aperçu le prince Ankhéfènie sortir du palais avec un sac sur les épaules », dit-elle, curieuse d’en savoir plus.

Eliakoum était embarrassé, il avait juré au prince de ne révéler à personne la raison de son départ. Mais la jeune servante ne semblait pas en démordre.

« Dis-moi, Eliakoum, où est-il allé ? », demanda-t-elle d’un ton suave.

« Je ne puis te le dire Anoukis, le prince m’a fait jurer de garder le secret. Je ne puis le trahir ». Eliakoum s’était levé de son lit. La situation était on ne peut plus gênante. Il était tard, il était seul avec Anoukis dans cette immense chambre princière faite d’or et de marbre. Il évitait son regard, tant par pudeur que par fidélité pour son maître.

Il se remémorait l’histoire de Yossef, le fils de Yaakov, qui lui aussi fit tout pour ne pas trahir Potiphar son maître, lorsque sa femme lui faisait des avances, au point de se faire incarcérer à tort pour lui rester fidèle. Il était résolu à adopter le même comportement.

« Eliakoum », poursuivit-elle, «tu sais bien que je suis curieuse, je te promets que cela restera entre nous ». Elle avait adopté une expression douce : celle d’une séductrice.

« Je ne peux pas, Anoukis, je suis désolé ». 

Elle s’était détournée de lui. Il ne voyait plus son visage. Avait-elle concédé à ce qu’il garde le secret de son maître ? 

Eliakoum entendit une petite voix au fond de lui. « Eliakoum, arrête un peu ton inflexibilité, regarde-là, elle demande juste à assouvir sa curiosité. Yossef n’était pas dans le même contexte, là, il n’y a pas de dangers pour le prince ! »

Dos à lui, elle commençait à sangloter, le visage enfoui dans ses mains. 

« Tu ne m’aimes pas Eliakoum, voilà tout ! », balbutia-t-elle, la voix entrecoupée de soubresauts de larmes. « Je croyais que nous étions faits l’un pour l’autre… mais je me suis trompée… tu ne m’aimes pas ».

Il se tenait là penaud, ne sachant pas trop quoi faire. Cette déclaration inattendue l’avait touché. S’approchant doucement, il lui dit : 

« Ecoute Anoukis, tu n’as pas de raison de te mettre dans de tels états. Allons faire un tour dehors, ça te changera les idées… ».

Elle leva ses yeux noircis par le maquillage coulant, et dans un ultime murmure elle demanda :

« Dis-le moi Eliakoum, dis-le moi et je serai ta femme à jamais ».

Après un instant de silence, il soupira, désarmé.

« Le prince est parti dans le quartier des Lévites rencontrer un certain Rav Aboulkabat, il s’intéresse à la religion des Hébreux… ».

Un sourire malicieux s’était furtivement dessiné sur le visage de la jeune femme. Elle avait obtenu l’information que cherchait Osmaarê.

Ce matin-là, les gardes avait fait sortir tous les esclaves du district nord-ouest sur la place de Goshen. A défaut de pouvoir contenir toute la population en surnombre, ils s’étaient contentés sur le plus grand quartier, celui de la tribu de Dan.

« En rangs, vauriens ! » avait hurlé le contremaître. Il était escorté d’une brigade d’une vingtaine d’hommes, tous armés de matraques cloutées. Allant le long de la file, il faisait claquer son fouet sur le sol aride formant d’épais nuages de poussière.

« Nous avons constaté que votre rendement en brique n’est plus à la hauteur de l’exigence du palais. Vous travaillez trop lentement, trop mollement ! »

« Et nous savons quelle en est la raison ». Il fit une pause.

Les esclaves étaient tous placés en face de lui, la silhouette frêle, les jambes rachitiques. Ils étaient à bout de force.

« Nous savons qu’un homme prétend vous libérer d’Egypte. Balivernes ! » Il s’était mis à hurler à gorge déployée. « Vous resterez là à croupir dans votre trou jusqu’au dernier ! »

Les malheureux spectateurs ne bronchaient pas. Ils l’écoutaient sans sourciller, déjà trop habitués aux menaces et aux humiliations. Des membres d’autres tribus s’étaient mêlés au triste spectacle, dont le Rav Aboulkabat qui soutenait les Hébreux par sa présence dans ce genre de confrontations. Cette fois-ci, un homme le suivait. Son identité était inconnue, son visage était lui aussi voilé par son châle. C’était Ankhéfènie, le prince d’Egypte.

Alors que les invectives continuaient, le prince prit discrètement place au milieu de la foule, à la fois curieux d’entendre les réactions du peuple hébreu et décontenancé par cette férocité barbare.

« A partir de maintenant, vous fournirez un ratio double de briques quotidiennes ».

La foule émit un soupir général, elle n’avait même pas la force de tergiverser avec le bourreau, las de toute cette mascarade.

Ankhéfènie entendit les murmures des citoyens de Goshen. « Que veux-tu de nous mon D.ieu ? Nous ne pouvons pas fournir tant d’efforts… », « Jusqu’à quand, Eternel, serons-nous à la merci de nos bourreaux, libère-nous, de grâce », « Oh ! Mon D.ieu, jusqu’à quand ?! »

Les réactions n’étaient pas du tout dirigées vers la cavalerie mais plutôt vers D.ieu, comme s’ils vivaient une situation directement envoyé par Lui. Le brigadier n’avait aucune importance à leurs yeux, ils étaient tous tournés vers l’au-delà, les yeux rivés vers le ciel.

« M’avez-vous bien compris, esclaves ? » tonnait le brigadier.

Il s’attendait à une réponse, mais de qui, et à quel sujet ? Avaient-ils seulement le choix ? 

Ankhéfènie bouillait à l’intérieur de lui. Il était à deux doigts d’enlever sa capuche et de traverser la foule afin de soumettre sous les yeux de tous ces innocents cet abominable personnage. C’est alors qu’il sentit la main bienveillante du Rav Aboulkabat qui le retenait.

Se tournant vers le Rav, il lui chuchota : « Laissez-moi intervenir, que justice soit faite, c’est insupportable ! » 

« Ankhéfènie », dit-il de sa voix paternelle, « tu es le prince d’Egypte, et il t’appartient de décider, mais sache que tu gâcherais ton apprentissage ici à Goshen, la cour ne te laisseras pas revenir ici. S’ils apprennent que tu es là, ils feront tout pour te retenir… »

« Mais comment pouvez-vous supporter autant d’injustice et d’humiliations ?! », s’exclama-t-il, révolté.

« Il n’y a d’injustice, prince d’Egypte, seulement celle que nos yeux limités nous fait voir. D.ieu veille sur nous et tout ce qui nous arrive est pour notre bien. Tu verras d’ici peu, tu le verras toi aussi de tes propres yeux ».

L’échange entre les deux hommes se fit au beau milieu de la foule en train de se disperser, tête courbée, regagnant leur baraquement. C’était la première fois que le prince assistait au traitement réservé aux esclaves. Il était encore sous le coup de l’émotion, troublé par tant de cruauté.

« Comment êtes-vous sûr que vous serez libérés ? », lança-t-il au Rav alors qu’ils regagnaient leur lieu d’étude au milieu de la foule grouillante.

« Moché, le fils d’Amram est l’élu, celui que D.ieu a choisi pour nous libérer. Il est actuellement en route pour le palais de ton père avec son frère Aaron ».

« Il n’arrivera jamais à accéder au Pharaon, le palais est défendu par des gardes armés jusqu’aux dents », rétorqua-t-il.

Le Rav sourit avec bienveillance. 

« Pour D.ieu, il n’y a pas de gardes armés, il n’y a que Sa volonté, cher prince d’Egypte ».