« Allez, mangez des mets succulents, buvez des breuvages doux et envoyez-en des portions à ceux qui n'ont rien d'apprêté, car ce jour est consacré à notre Seigneur. Ne vous attristez donc pas, car la joie en l'Éternel est votre force. » (Né'hamia 8:10). En lisant ce verset à part, on pourrait penser que le prophète Né'hémia évoquait l'une des trois fêtes de pèlerinage ou peut-être Pourim. Or, c'est de cette manière qu'il prescrit aux Juifs de célébrer le Yom Hadin, Roch Hachana. Le plaisir ? La joie en ce Jour du Jugement ?

En quoi est-ce lié à ce que nous disons dans la prière exaltante de Ounétané Tokef : « Relatons à présent le pouvoir de sainteté de ce jour, car il est puissant et effrayant… Les anges vont se hâter, un tremblement et une terreur les saisira, et ils diront : "C'est le jour de jugement… Toute l'humanité défilera devant Toi comme les membres d'un troupeau… » ?

Comment profiter d'un jour qui évoque la peur et les tremblements ? De plus, à qui Né'hémia s'adressait-il ? Des survivants d'un exil de 70 ans après la reconstruction du Beth Hamikdach. Parmi eux se trouvaient des hommes qui avaient épousé des femmes non-juives, des profanateurs du Chabbath et des transgresseurs d'autres fautes. Lorsqu'ils entendirent le scribe Ezra lire les Mitsvot de la Torah qu'ils avaient violées, ils se mirent à pleurer. À cela, Né'hémia leur répondit de ne pas s'attrister, mais de profiter de la journée. Pourquoi ne pleureraient-ils pas s'ils s'étaient souillés en agissant à l'opposé de la volonté de Hachem ?

Dans un long article, Rav Réouven Grozovsky explique que notre incapacité à ressentir du bonheur à Roch Hachana provient d'une perception erronée du sens de ce monde. Nous avons tendance à penser que ce monde est censé être un monde cruel avec des difficultés et des souffrances. En réalité, Hachem a créé ce monde pour que l'homme en profite et non pour qu'il en soit affligé. Pour preuve, nos Sages affirment que le moindre inconfort – mettre la main dans la poche et en retirer trois pièces au lieu de deux, ou mettre un habit à l'envers par erreur (Arakhin 16b) advient en raison de fautes commises (Chabbath 55). S'il en est ainsi, idéalement, aucune trace d'irritation n'aurait dû entacher la création.

C'est valable pour l'humanité en général, mais pour les enfants d'Avraham, d'Its'hak et de Ya'acov, le plaisir dans ce monde devait être bien plus grand. La Guémara affirme que si un homme s'engage à nourrir ses employés, même s'il devait leur procurer un festin semblable à celui du roi Chlomo et leur servir les meilleurs mets, il ne remplirait pas son obligation, car ils sont les fils d'Avraham, d'Its'hak et de Ya'acov (Baba Métsia 83a). On nous enseigne que les premières générations ont goûté des centaines de plats variés et de fruits, mais en raison de leurs fautes, ils ont été oubliés. Les générations ultérieures n'ont néanmoins jamais connu la vraie bonté contenue dans la Création (Nédarim 50b).

Si nous ne sommes pas capables de profiter de ces plaisirs, cela tient au fait que nous nous sommes écartés du Créateur de toute bonté, et de la Torah qui est le schéma directeur de tout.

Le Satan se joue de nous et nous incite à perdre la juste perspective de ce qui est véritablement bon pour nous. Il nous induit en erreur en nous faisant croire que ce que nos sens humains perçoivent de bon est ce qui est de mieux pour nous. Mais c'est une grande erreur, et nous échangeons le bien pour le mal, le doux pour l'amer. Au lieu de profiter de plaisirs éternels et du bonheur dans ce monde, nous pourchassons des gratifications matérielles imaginaires qui sont de courte durée et qui nous laissent au final, sans rien.

La clé de notre bonheur dans ce monde, la base de notre succès, consiste à être proche de Hachem, d'avoir soif de Sa parole, et d'aspirer à accomplir tous Ses commandements. Comme l'affirme le roi David : « Pour moi, le voisinage de D.ieu fait mon bonheur. » (Téhilim 73:28). Le fait de ne pas expérimenter le bien inhérent dans la Création est le résultat de la présence de la faute dans ce monde et de la distance qu'elle crée entre Hachem et nous.

Les sentiments de l'homme et sa manière de percevoir la vie dépendent de son propre libre-arbitre et de son choix. Si ce qui prime dans sa vie est la proximité avec Hachem et une soif d'entendre Sa parole, même s'il vit des souffrances et des déceptions dans ce monde, son bonheur n'est pas altéré. Le roi David a vécu de terribles épreuves dans sa vie. Il a fait face à l'animosité de nombreuses personnes jalouses de lui, puis a été poursuivi par son beau-père, le roi Chaoul, qui tenta de le tuer et d'introduire la turbulence dans sa propre famille. Il affirma que tout ce qu'il souhaitait était de résider dans la maison de Hachem tous les jours de sa vie pour jouir de la présence agréable de Hachem.

Accepter sur soi la Malkhout (règne) de Hachem signifie d'imiter Ses voies et d'adopter Ses Midot (attributs). Il se drape ensuite du Tsélem Elokim. En conséquence, toute la création Lui est subordonnée, comme il est dit : « Que votre ascendant et votre terreur soient sur tous les animaux de la terre et sur tous les oiseaux du ciel ; tous les êtres dont fourmille le sol... car l'homme a été fait à l'image de D.ieu. » (Béréchit 8:2-6) Et tout comme le monde tremble devant Hachem, ainsi est-il dit : «Et tous les peuples de la terre verront que le nom de l'Éternel est associé au tien, et ils Te redouteront. » (Dévarim 28:10)

C'est pourquoi on nous demande de nous réjouir en ce jour et d'en profiter, car lorsque nous acceptons pleinement le règne de Hachem, nous apportons la bénédiction ultime dans notre vie, la source de tout bien, la clé de tout bonheur. Bien entendu, cela implique des responsabilités, mais nous savons que nous sommes engagés dans la bonne direction avec des dividendes infinis à la fois dans ce monde-ci et dans le Monde futur, et ces investissements en valent la peine.

Mais comment pouvons-nous profiter de Roch Hachana alors que c'est un jour de jugement et nous savons pertinemment que nous avons commis des fautes qui viendront nous hanter ? Nous savons que la Halakha dit qu'il est interdit de dire le Vidouï (confession) sur nos fautes à Roch Hachana (Michna Broura, Ora'h 'Haïm 584:3). Cela tient au fait que la sainteté de Roch Hachana implique de couronner Hachem comme notre roi. Ceci nous permet de mériter un bon jugement et d'éviter d'être poursuivi pour nos fautes. Lorsque nous acceptons Hachem comme notre Roi et que nous suivons Ses voies, nous élevons la Création dans sa totalité, et par là, nous-mêmes devenons des dirigeants du monde. En conséquence, tout mal nous quitte et même le Na'hach (serpent), la source du mal, nous fuit. C'est le résultat de notre acceptation de Hachem comme notre Roi ultime. N'est-ce pas une raison de célébrer dans la joie ? (Adapté de Lév Réouven).

Bien entendu, cela implique des engagements. Il s'agit de vivre une vie où nos âmes (le Tsélem Elokim, à l'image de D.ieu) contrôlent notre corps matériel. Cela implique de respecter notre prochain, qui est également un Tsélem Elokim, et de prendre ses besoins en considération. Cela implique également de se consacrer intensément à toutes les Mitsvot de Hachem. Mais l'acceptation sincère de Hachem comme Roi est un premier pas capital qui nous donne l'aide divine pour assurer un suivi de nos actions. De nombreux Juifs de l'époque de Né'hémia étaient loin du niveau qu'ils auraient dû avoir sur le plan spirituel, or c'est à eux qu'il dit : « Le plaisir de Hachem est votre force», car l'acceptation même de Hachem comme notre roi est la clé de la bénédiction et de la joie.

Nous avons tendance à être débordés par nos obligations pendant les Dix Jours de Pénitence. J'ai tant de choses à rectifier…Par quoi dois-je commencer ? De ce fait, nous restons figés et avons tendance à ne rien entreprendre. Mais comme l'affirment les livres sacrés, même de petites rectifications dans notre Avoda (service divin) quotidienne, même des améliorations minimales dans nos Mitsvot, vont très loin pour nous rapprocher de Hachem et nous aider à mériter un jugement favorable pendant les Jours de jugement.

Rav Its'hak D., un homme d'affaires de Modiin Ilit, investit une fortune dans une immense usine de bouteilles en France. Il recruta des experts du domaine, envisageant d'en faire l'une des usines de bouteilles les plus performantes d'Europe. Les machines, tournant 24 heures sur 24, produisaient au départ 800 bouteilles par heure. Mais Rav Its'hak n'en était pas satisfait, il voulait augmenter le rendement à un seuil bien plus élevé.

Il recruta des experts d'Asie pour travailler sur ces machines, et au final, la productivité tripla, passant à plus de 3000 bouteilles. Il était désormais satisfait. Ses investissements avaient valu la peine et les profits de l'usine s'envolèrent. Quelques années s'écoulèrent et Rabbi Its'hak remarqua que la productivité commença à décliner. Les machines produisaient cent bouteilles de moins qu'elles le faisaient au pic de leurs performances. Il convoqua certains des meilleurs ingénieurs et techniciens pour vérifier la machinerie et les ordinateurs pour trouver la source du problème, mais en vain. Jour après jour, de moins en moins de bouteilles étaient produites, jusqu'à ce que les machines produisent moins de deux mille bouteilles de l'heure. Rabbi Its'hak était dans tous ses états, car en dépit de tous les experts qu'il faisait venir à l'usine, le problème demeurait un mystère.

Un jour, alors qu'un autre technicien quittait l'usine sans avoir trouvé de réponse au problème, un ami de Rav Its'hak de Modiin vint lui rendre visite. Il était en France pour ses affaires et passa lui dire bonjour. Apercevant le visage sombre de Rav Its'hak, il lui demanda ce qui se passait. Rav Its'hak lui expliqua la baisse de productivité de ses machines et que personne n'était capable de l'aider à résoudre ce problème.

«Je peux peut-être entrer dans les profondeurs de la machine et jeter un œil », proposa l'ami.

« Mais que connais-tu sur la technologie avancée ? » rit Rav Its'hak. « Les plus grands experts, avec tout leur savoir, sont perplexes. Comment pourrais-tu m'aider ?! »

Mais l'ami insista. «Qu'as-tu à perdre ? » dit-il. «Laisse-moi jeter un œil. »

Une fois de plus, Rav Its'hak tenta de le dissuader, mais l'ami était inflexible. Pour lui faire plaisir, Rav Its'hak arrêta les machines et son ami entra à l'intérieur de la structure gigantesque. Quelques minutes plus tard, il sortit et demanda un tournevis. Rav Its'hak commença à rire. « T'es sérieux ? Les plus grands techniciens n'ont aucune idée de la manière de rectifier le problème et tu penses pouvoir réparer ça avec un simple tournevis ? » Pour se débarrasser de son ami, il lui apporta un tournevis. Il disparut et y resta pendant cinq minutes, dix minutes et finalement en sortit au bout de vingt minutes.

« Maintenant, remets la machine en route », dit-il avec assurance.

Rav Its'hak s'exécuta sans attendre. Incroyable : il fut stupéfait de constater qu'au bout d'une heure, la machine avait produit bien plus de trois mille bouteilles, de retour au pic de performance.

«Qu'as-tu fait » ? demanda-t-il à son ami sur un ton enthousiaste.

« Je sais que je ne suis ni un technicien, ni un expert. Et si des spécialistes n'ont pas pu trouver de solution, le problème n'est pas dans les ordinateurs ni dans la technologie avancée. Cela doit être plus simple que cela. Donc je suis entré à l'intérieur et j'ai vu des vis desserrées. J'ai pensé qu'avec le temps et le mouvement constant, un grand nombre de vis des machines s'étaient desserrées. J'ai observé la machine de long en large et j'ai resserré les vis desserrées, et maintenant elle est aussi performante qu'au départ. »

La joie de Rav Its'hak ne connut pas de limites et il récompensa largement son ami.

Nous sommes à la base de bons Juifs qui veulent servir Hachem et faire le bien. Pour nous rapprocher de Lui, il faut resserrer les vis déjà présentes : un peu plus de Kavana dans la prière, un peu plus de sérieux dans notre étude de la Torah, un peu plus de rigueur dans nos dons à la Tsédaka et d'empathie dans nos relations entre l'homme et son prochain. Alors, notre machine spirituelle fonctionnera au niveau optimal et nous pourrons nous réjouir véritablement avec Hachem.

Puissions-nous tous avoir une Ktiva Vé'hatima Tova, une bonne inscription dans le Livre de la vie.

Rabbi Yitzchok Tzvi Schwarz sur Yated, traduit par Torah-Box