« Souviens-toi des jours d’antan, méditez les années d’âge en âge ; interroge ton père il te l’apprendra, tes aïeux ils te l’enseigneront » (Deutéronome 22-7)

A la veille de Yom Kipour, la lecture de la paracha Haazinou invite l’homme à examiner sa vie à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Elle l’invite à l’humilité en consultant les générations qui l’ont précédé, en s’inspirant de leur sagesse et en replaçant son existence dans un temps long. 

En déracinant l’individu du présent et de l’immédiat pour lui donner à voir la longue histoire de l’humanité, l’homme ne peut que ressentir un surcroit de responsabilité, et un désir de coïncider avec l’essence profonde de son être.

Or, c’est bien de ce face-à-face avec sa responsabilité dont il est question à Yom Kipour. L’homme se trouve durant cette journée seul face à l’Eternel, il est invité à expier ses fautes, à les reconnaître et à prendre l’engagement de s’améliorer, d’essayer de faire le bien. Seule l’humilité, l’introspection et la quête du Emet, de la vérité, peuvent guider l’homme dans ce processus.

Un passage du traité Erouvin que l’on étudiera à proximité de Yom Kipour nous éclaire sur l’humilité collective et individuelle que l’on doit éprouver afin de pouvoir s’élever spirituellement.

Tout d’abord, d’un point de vue collectif, Rabbi Yohanan nous dit : « Le cœur des anciens sages était grand comme la porte de la Grande salle du Temple (OUlam), et le cœur des derniers sages (ah’aronim) était grand comme la porte du Tabernacle », et le nôtre est aussi petit que le chas d’une aiguille ». (Erouvin 53a).

La porte du Oulam était deux fois plus grande que celle du Hekhal, et, à travers cette métaphore, Rabbi Yohanan nous indique combien le niveau spirituel des générations va en s’affaiblissant. Nous comprenons bien cette exhortation de la paracha à respecter et consulter les « anciens ». 

Le Maharal de Prague indique une explication que notre époque peut comprendre facilement : les premières générations étaient moins entravées par les désirs du corps, et ils arrivaient plus facilement à faire prévaloir leur intelligence et leur aspiration spirituelle sur les désirs du corps. Mais cette capacité va en s’affaiblissant à mesure que le corps et la matérialité étendent leur emprise sur le corps et sur le monde. (Récits Talmudiques commentés, Pr. F. H. Lumbroso)

Il serait légitime alors de s’interroger sur le miracle de la survie de notre peuple et de la transmission de la Torah à travers les siècles ? Le Rambam apporte cette réponse « Tous ont appris du D.ieu d’Israël » (Introduction au Mishné Torah). Dans la relation du maître à l’élève, et quelles que soient les différences entre les générations, un miracle s’opère c’est l’Eternel lui-même qui s’assure que le message sera correctement reçu par l’élève et transmis aux générations suivantes.

Cette réflexion sur la pente descendante que suit la chaine des générations ne doit pas générer de découragement ou d’auto-dénigrement car chacun, en fonction de son niveau, conserve la liberté fondamentale de faire un peu mieux. Les combats d’une génération ne sont pas les mêmes que ceux de la génération suivante, de même que les combats d’un homme qui est né dans une famille religieuse, ne sont pas les mêmes que ceux d’un individu qui n’a jamais été au contact de la halakha. Toutefois, chacun, à son niveau, a la possibilité de se fixer certains objectifs, de les atteindre et de générer ainsi un surcroit de sainteté, de kedousha, dans sa vie et dans le monde.

Or, c’est bien là l’enjeu de Yom Kipour : parvenir à se fixer de nouveaux objectifs, et remporter de nouvelles victoires contre les tendances délétères qui ont pu se développer en nous. Ainsi nous créerons davantage de vitalité en nous-même, à l’image de ce verset du prophète Ezechiel (18-23) que nous lirons avec l’aide d’Hashem lors de la Ne’ila « Est-ce que je souhaite la mort du méchant, dit le Seigneur Dieu, ne préféré-je pas qu'il revienne de sa conduite et qu'il vive ? »

S’il est vrai que l’humilité naît de la comparaison entre les générations, elle peut également naître de la confrontation avec ses semblables, et, parfois, avec les plus simples. C’est ainsi que Rabbi Yehoshua ben Ḥananya énonce : « De tout temps, personne ne m'a réduit au silence, sauf une femme, un jeune garçon et une jeune fille. L’incident avec la femme est survenu alors que je résidais dans une auberge et l'hôtesse m'a préparé des haricots. Le premier jour, je les ai mangés et je n'ai rien laissé. Le deuxième jour, j'ai encore mangé et je n'ai rien laissé. Le troisième jour, elle les avait trop salés, et dès que je les ai goûtées, je me suis interrompu. Elle m'a dit : Rabbi, pourquoi ne manges-tu pas de haricots comme les jours précédents ? Sans vouloir l'offenser, je lui ai dit : J'ai déjà mangé pendant la journée. Elle m'a répondu : Si c’était le cas, tu aurais dû t’abstenir du pain et laisser de la place pour les haricots. Elle m'a alors dit : Rabbi, peut-être agissez-vous ainsi car n’aviez rien laissé dans votre assiette les premiers jours, alors que les Sages ont indiqué qu’il convient de laisser une part dans le plat (pour les pauvres)». (Erouvin 53 b)

Parmi, les différentes explications que l’on peut donner à ce passage du Talmud, le Ben Ish ‘Hay y voit une métaphore de la vie dans ce monde. L’auberge désigne effectivement le monde matériel qui est une étape provisoire dans le destin de l’homme, le plat de lentilles désigne les appétits et désirs matériels de l’homme, l’aubergiste désigne le Yetser Hara’ qui tente l’homme avec les plaisirs de ce monde. Les deux premiers jours symbolisent la jeunesse et l’âge adulte durant lesquels l’homme est plus enclin à rechercher les plaisirs matériels sans penser laisser une part de son temps et de son activité pour le parent pauvre de sa vie : la spiritualité. Toutefois, lors de la troisième étape de sa vie, il n’a plus goût pour les chimères qui l’attiraient du temps de sa jeunesse, il réalise son erreur et se reprend. Mais c’est alors que le Yetser Hara’ retourne sa veste et l’accuse des choix vers lesquels il l’avait conduit.

Rabbi Yehoshua ben Ḥananya décrit ensuite l’incident qui s’est produit avec un jeune garçon : « Une fois, je marchais sur la route et j'ai vu un jeune garçon assis au carrefour. Et je lui ai demandé quel chemin emprunter pour arriver à la ville ? Il m'a répondu : par ici, le chemin est court et long, et par là, le chemin est long et court. J'ai marché sur le chemin qui était court et long. Lorsque je me suis approché de la ville, j'ai découvert que des jardins et des vergers l'entouraient. J'ai rebroussé chemin et j'ai rencontré le jeune garçon à nouveau et je lui ai dit Mon fils, tu ne m'as pas dit que ce chemin est court ? Il m'a répondu : "Mon fils, ne m'as-tu pas dit que ce chemin est court ? » Il m’a répondu « Et ne t'ai-je pas dit qu'il est aussi long ? » Je l'ai embrassé sur la tête et je lui ai dit : « Heureux es-tu, Israël, vous qui êtes tous des sages du plus grand au plus petit ».

Nos Sages nous indiquent que les deux chemins indiqués par le jeune enfant reflètent en réalité les deux visions du monde qui s’entrechoquent dans le cœur des hommes. Le chemin court et long désigne celui des plaisirs matériels qui sont bien souvent accessibles très facilement et rapidement mais créent une difficulté à atteindre l’épanouissement dans la vie spirituelle et rallongent le chemin vers le Maître du monde. Inversement, « le chemin long et court » est celui emprunté par les Tsadikim qui ne ménagent pas leurs efforts pour étudier et progresser dans leur aspiration spirituelle en renonçant parfois à des désirs matériels, mais, ensuite, ils ressentent un épanouissement intérieur profond et perçoivent une proximité avec l’Eternel qui les emplit de joie et donne un sens à leurs vies. (Récits Talmudiques commentés, Pr. F. H. Lumbroso)

A travers ce récit, Rabbi Yehoshua ben Ḥananya nous transmet de belles leçons sur les chemins qui permettent à l’homme de s’élever, mais il en est une toute particulière qui apparait avec éclat : l’humilité du grand maître Talmud qui n’hésite pas à rappeler les leçons qu’il a reçues de personnes qui ne possédaient pourtant pas la même sagesse.

La préparation à Yom Kipour, de même que le processus de teshouva, requièrent beaucoup d’humilité et de sincérité. Ils imposent de renoncer aux masques que la vie amène parfois les hommes à révêtir pour se présenter devant l’Eternel en toute sincérité. « Lifné Hashem Titharou » « Vous serez purifiés devant l’Eternel » répétons-nous durant la journée de Kipour. 

Seule l’humilité permet à l’homme de se ternir devant l’Eternel le jour du jugement afin d’obtenir le pardon des fautes. 

A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons pas encore comment chacun passera les fêtes de Kipour. Mais, quelle que soit la configuration dans laquelle nous nous trouverons, une des portes d’accès privilégiés pour accéder à la miséricorde divine consiste dans un surcroit d’humilité, une sincère introspection et une ferme résolution de servir l’Eternel encore mieux. « Les sacrifices [agréables] à Dieu, c’est un esprit contrit ; un cœur brisé et abattu, ô Dieu, tu ne le dédaignes point » (Tehilim 51. 19). 

Puissions-nous tous être inscrits et scellés dans le livre de la vie, assister rapidement à la venue du Mashiah et à la reconstruction du Beth Hamikdash.