Jeremy : Bonjour monsieur le Rabbin. J’aimerais que vous m’en disiez plus sur la nécessité des Collelim, où des hommes mariés étudient la Torah à longueur de journée. Vu de l’extérieur comme ça, il paraît assez atypique que ces gens se fassent financer pour étudier !

Le Rav : Bonjour Jérémy. Le principe de financement des études par des philanthropes ou par des corps d’état existe depuis toujours. C’est grâce à ce genre de financements que la société a vu sa qualité de vie grandement améliorée, composée d’étudiants en recherche bactériologique, en bioénergétique etc. Prenons par exemple le groupe européen Erasmus qui alloue un budget de 14,7 milliards de dollars sur sept ans aux étudiants, enseignants et institutions pour la réussite de ses étudiants internationaux, ou le programme français Eiffel Excellence destiné aux étudiants en Master et en doctorat, qui octroie une bourse de 1181 € par mois par étudiant.

Jeremy : D’accord, mais ce sont des investisseurs qui reçoivent des retours sur investissement. Là, je parle d’une personne qui donne pour que l’étudiant en Torah étudie et devienne un jour rabbin sans jouir du moindre retour ! En plus, j’ai entendu dire au nom du Rambam qu’il était interdit de se faire financer pour étudier la Torah, car cela serait une profanation du nom de D.ieu... 

Le Rav : Avant de nous intéresser aux paroles du Rambam, il faut d’abord établir sans ambiguïtés que la personne qui s’associerait à l’étude d’un étudiant en Torah – un Avrekh, ou collelman comme on les appelle – bénéficie du mérite de sa Torah et se voit béni dans toutes ses entreprises ; donc au niveau du retour sur investissement, le résultat est garanti !

Jeremy : J’aimerais bien avoir des sources sur ce que vous dites…

Le Rav : Bien sûr, pour cela, je vais introduire mon propos.

Le peuple d’Israël à l’origine est composé de douze tribus - les douze fils de Yaakov -, chacune selon sa particularité et son rôle à jouer dans l’ensemble du peuple d’Israël. Parmi ces douze tribus, la tribu de Lévi fut choisie par D.ieu afin de servir le peuple dans les travaux du Temple, tribu de laquelle sont issus les Cohanim, les prêtres. Une autre tribu parmi les onze autres s’est destinée exclusivement à l’étude de la Torah - la tribu de Issakhar. Pour assurer la subsistance des membres de cette tribu, la tribu de Zevouloun a endossé le rôle de subvenir à tous ses besoins matériels : le fameux pacte de Issakhar et Zévouloun, le même que nous retrouvons aujourd’hui entre les Collelman et leurs parrains.

Après cette brève introduction, nous pouvons comprendre les propos du Midrach1 : « de même que Zévouloun a une part dans la Torah de Issakhar, ainsi Issakhar a une part dans la subsistance de Zévouloun ». le Midrach nous dit donc explicitement que Zévouloun à une part dans la Torah de Issakhar. Le Choul’han Aroukh2 va encore plus loin lorsqu’il déclare que « celui qui serait dans l’incapacité d’étudier car il n’a pas appris, ou bien du fait qu’il soit pris par ses occupations, financera des étudiants en Torah et cela lui sera considéré comme s’il étudiait lui-même ».

Quant à la bénédiction matérielle obtenue par le soutien financier de Zévouloun, le verset en fait mention lorsqu’il bénit Zévouloun pour son parrainage, faisant même précéder sa bénédiction à celle de Issakhar : « A Zévouloun, il dit ces mots : "Sois heureux, Zévouloun, dans tes voyages, et toi, Issakhar, dans tes tentes ! » Le Zohar3 dit que ce qui valut à Zévouloun cette bénédiction particulière (l’aisance matérielle) ainsi que la préséance sur son frère, fut son soutien à l’étude de la Torah de ce dernier. C’est aussi l’explication du Or Ha’haïm Hakadoch.

Nombreux sont les Midrachim vantant le mérite de celui qui soutiendrait un étudiant en Torah en lui assurant la prospérité. Comme ce Midrach4 qui dit à propos de celui qui donnerait une pension à un étudiant en Torah, D.ieu dit « C’est à Moi de le rétribuer, Je lui donnerai un fils ! » ou encore celui qui pourvoit aux besoin d’un Talmid Hakham (un Sage en Torah) « la bénédiction entre chez lui à jamais »5

Jeremy : S’il y a autant de sources qui adhèrent à ce procédé, pourquoi le Rambam l’interdit-il ?

Le Rav : Pour comprendre l’avis du Rambam, il est indispensable de connaître tous les écrits du Rambam traitant du sujet et essayer de discerner son intention. Dans les lois liées à l’étude de la Torah6, il écrit que « Tout celui qui a l’intention de s’adonner à la Torah, sans travailler en subvenant à ses besoins par le biais de la caisse commune, profane le nom de D.ieu et humilie la Torah… car il est interdit de profiter de la Torah » et il dit dans le même ouvrage7 : « Tout celui qui est porté par l’idéal de servir D.ieu en s’extrayant du monde matériel, se sanctifie d’une sanctification suprême et se loge sous la protection divine au même titre que les pontifes et les lévites et trouvera la subsistance nécessaire à ses besoins ». Le Rambam loue maintenant celui qui se sépare du monde pour vivre comme les pontifes qui étaient entretenus par les dîmes du reste du peuple d’Israël.

Jeremy : C’est contradictoire alors !

Le Rav : Pas tout à fait, car si nous faisons bien attention aux propos du Rambam, nous pouvons discerner que dans les lois concernant l’étude de la Torah, il parle de quelqu’un qui souhaiterait avoir le statut de celui qui étudie la Torah pour se faire entretenir par le biais de la caisse commune, tandis que dans les lois de Chemita, le Rambam parle de quelqu’un qui s’adonnerait corps et âme à l’étude de la Torah, dans le but de s’attacher à Hachem.

C’est d’ailleurs d’après ce Rambam précisément que le Biour Halakha8 tranche qu’il est permis, et même encouragé, de soutenir un étudiant en Torah.

Jeremy : Vous êtes tout de même d’accord pour dire que pas tout le monde n’a sa place dans un Collel. Les meilleurs étudiants peut-être, mais les plus faibles, neprofitent-ils pas d’un système injustement ?

Le Rav : Tout d’abord, il est vrai que pas tout le monde n’a pas sa place au Collel, mais non pas pour les raisons que vous avez évoquées. L’étude de la Torah est très astreignante et complexe, et nécessite également certains traits de caractère comme le fait de rester assis à décortiquer des problèmes complexes de Halakha durant des heures, voire même des semaines... et cela, pas tout le monde n’en est capable. De plus, le mode de vie des étudiants en Torah, vous l’aurez deviné, n’est généralement pas princier et certaines personnes pourraient ressentir le besoin de plus de confort et c’est tout à fait légitime : c’est un choix de vie.

Néanmoins, si une personne est prête à faire les efforts nécessaires pour se plier à la vie d’un Collelman, son niveau intellectuel n’est absolument pas à prendre en compte, car on ne sait jamais quel génie peut cacher un étudiant sérieux. Souvenez-vous que Rabbi Akiva, lorsqu’il commença à étudier la Torah, ne savait ni lire ni écrire. De même pour de nombreux géants d’Israël qui débutèrent avec les plus grandes difficultés. Au-delà de ça, le fait qu’une société entière se voue intégralement au service divin fait jaillir une sainteté inouïe dans le monde, générant un flot de bénédictions sans fin sur le peuple d’Israël, comme la Torah le dit elle-même9 « Si vous vous conduisez selon mes lois[…] Je vous donnerai les pluies en leur saison, et la terre livrera son produit[…] Je ferai régner la paix dans ce pays » Croyez-vous que c’est un hasard si l’Etat d’Israël a connu une telle réussite en si peu de temps ?!

Mais il y a plus encore. Le fait qu’il existe un noyau de gens qui se consacrent exclusivement à l’étude de la Torah au 21e siècle, une ère dans laquelle l’athéisme dépravé s’immisce sournoisement dans les sociétés, fédérant les jeunes à des valeurs immorales et impures, nous garantit et garantit à l’humanité tout entière que la lumière pure de la vérité ne s’est pas éteinte et brille encore.

Jeremy : J’aimerais que vous m’expliquiez un peu plus comment marche le lien entre l’étudiant et son mécène, comment lui fait-il acquérir les mérites de sa Torah ?

Le Rav : Tout d’abord de la manière la plus réaliste qui soit, le mécène permet l’étude de l’Avrekh. Sans lui, cette étude de Torah n’existerait pas, donc étant le géniteur de cette Torah étudiée, il en reçoit les mérites.

Plus profondément, le Talmud10 nous enseigne que « tout le peuple d’Israël est lié l’un à l’autre ». L’éminent kabbaliste Rabbi Moché Cordovéro explique11 que les âmes du peuple d’Israël sont liées les unes aux autres au point que chacun des membres du peuple juif est composé d’une part de l’âme de son prochain. C’est pour cette raison que nous pouvons acquitter un autre juif d’une Mitsva au point que cela soit considéré comme s’il l’avait lui-même accompli. Les textes nous dévoilent que nos âmes sont en réalité une seule et même âme, morcelée dans différents corps ici-bas. C’est pour cette raison que lorsqu’un juif étudie grâce à un autre juif, il lui fait acquérir non seulement les mérites de son étude mais aussi l’élévation spirituelle due à son étude, comme le Choul’han Aroukh le dit « comme s’il étudiait lui-même ».

 

1 Midrach, section Nasso

2 Choul’han Aroukh, Yoré Déa 246

3 Zohar, section Vayé’hi, Or Ha'haïm 16:18

4 Midrach Vayikra Rabba, chapitre 27:2

5 Tana Débé Eliahou, chapitre 2

6 Rambam, Talmud Torah, chapitre 3 halakha 10

7 Rambam, Chémita et Yovel, chapitre 13, halakha 13

8 Biour Halakha sur Choul’han Aroukh, chapitre 156

9 Lévitique 26 :1,2,3

10 Traité Chvouot page 39

11 Tomer Dvora, chapitre 1