Vous souvenez-vous de l’arche de Noé ?

Cet immense paquebot dans lequel Noé accueillit tous les animaux qui allaient repeupler le globe. Non seulement les animaux y furent stockés mais également les vivres nécessaires à leur survie, ainsi que les déchets de ces derniers. On s’imagine un véritable édifice s’étendant à perte de vue, un gratte-ciel à l’américaine… Pourtant, la Torah n’hésite pas à nous dévoiler les mesures exactes du navire – trois cent coudées de longueur, cinquante coudées de largeur et trente coudées de hauteur (Genèse 6, 15).

Cela interpella le Ramban qui posa la question suivante dans son commentaire sur le livre de la Genèse :  « Il est connu que les animaux étaient si nombreux, d’autant plus que certains étaient gigantesques et en très grand nombre comme les rampants, ainsi que les volatiles à n’en plus finir comme le rapporte nos sages. Il serait impossible de contenir tous ces animaux ainsi que leurs nourritures dans cette arche, ni plus que dans dix autres arches similaires ! »

Nous voyons là l’esprit rationnel de nos maîtres et leur recherche de la vérité. Le Ramban continu et explique : « En réalité, nos maîtres nous dévoilent qu’il y eut là un miracle – le peu contenait beaucoup. »

Dans le même esprit critique, le Ramban questionna sur l’explication de ses maîtres : « Si c’est ainsi, il eût mieux valu faire une petite arche et se suffire simplement du miracle ! »

Puis le Ramban donne lui-même deux explications. La première, « Hachem voulut la faire assez grande pour que les gens de la génération de Noé s’étonnent et se questionnent, ce qui aurait dû les conduire au repentir ». La seconde, « Hachem ordonna à Noé de bâtir une grande arche pour minimiser le miracle, comme c’est l’usage concernant tous les miracles de la Torah ou des prophètes. »

Le Ramban nous dit donc que D.ieu dissimule intentionnellement ses miracles, et c’est la raison pour laquelle l’arche de Noé fut bâtie selon ces mesures-là, afin de donner une impression de grandeur.

Cette explication interpella le directeur spirituel de la Yéchiva de Mir, le Rav Yé’hezkel Levinstein (Or Yé’hezkel - Emouna) qui questionna à son tour. « Y a-t-il réellement une dissimulation du miracle lorsqu’une arche contenant si peu put contenir autant ? N’était-il pas clair que l’arche ne pouvait absolument pas contenir toute cette population ? Quelle différence y a-t-il donc entre une arche de seulement dix coudées et celle-ci de trois cent, toutes les deux ne pouvaient absolument pas contenir, si bien qu’il n’y a pas là une quelconque dissimulation, car tout n’était que miracle ! »

La réponse qu’il donne est  fondamentale pour nous concernant tout ce qui touche à notre perception de la conduite d’Hachem dans le monde. 

Il répond : « La vérité est qu’il n’y a pas de diminution du miracle intrinsèque, toute la diminution du miracle n’est que par rapport à la perception de l’homme. Car c’est là tout le fondement de la Création d’examiner la perception de l’homme, s’il sait reconnaître le bon du mauvais, le juste du faux. Et afin qu’il y ait un chemin d’écueil, il suffit qu’il y ait le moindre semblant de matérialité. Ainsi, lorsqu’il voit un grand bateau, il est déjà à même de se dire qu’il n’y pas là de miracle et que tout est « naturel ».

Le Or Yé’hezkel nous dit qu’Hachem laisse une possibilité, si infime soit-elle,  à l’homme de s’extraire de la foi en Lui, en prétextant qu’il n’y a pas lieu de parler de miracle. Cette minuscule fente crée une occurrence suffisante à l’homme pour se dire “qu’ après tout, tout cela est naturel ».

Pourquoi Hachem nous donne-t-Il la possibilité de nous tromper ? De ne pas croire en Lui ?

Pour reprendre les paroles du Rav, « afin d’examiner l’homme… s’il sait reconnaître le bon du mauvais, le juste du faux ». Ce principe est un des fondements du judaïsme, donner au libre arbitre l’occasion d’exister.

Il suffit de considérer la beauté et l’ingéniosité qui règne dans la Création pour se rendre compte que tout n’est que miracle. 

Prenons par exemple l’oreille.

L’oreille est un des innombrables exemples témoignant d’une complexité d’ingénierie miniature des plus sophistiquées de la planète. 

Quel est le mécanisme de l’audition ?

Les sons que nous entendons sont des petites vibrations d’air cycliques à pression pulsée qu’on appelle les ondes acoustiques. Ces ondes circulent dans l’air jusqu’à pénétrer à l’intérieur de notre conduit auditif et à atteindre notre tympan. Après avoir atteint notre tympan, les ondes sont transférées dans la cavité de l’oreille moyenne par l’intermédiaire de trois minuscules os appelé « les osselets ». Chaque étape de ce système relève d’une complexité stupéfiante. 

Un petit aperçu. Le signal acoustique fait vibrer le tympan qui conduit à une pression sur un os appelé le marteau fixé juste derrière lui, qui à son tour pousse le incus, une sorte d’enclume qui déplace alors les stapes (étriers) à l’horizontal. Les os du marteau et de l’enclume mesurent environ 5 millimètres de long, les stapes sont encore plus petites. Ces trois os miniatures sont taillés avec une extrême précision et placés à l’endroit idéal permettant à l’oreille de véhiculer les vibrations de son. Chacun d’eux est une œuvre en soi. D’ailleurs, fait remarquable, ce sont les seuls os qui ne grossissent pas après la naissance, sans quoi cette équilibre remarquable ne se maintiendrait pas. 

Il y a donc ici planification, synchronisation des tâches, précision architecturale et design.

Mais ce n’est pas tout.

Nos trois petits osselets doivent également effectuer une autre prouesse de taille. Ils doivent amplifier le signal avant que celui-ci ne pénètre dans le liquide de l’oreille interne et ne s’étouffe, le liquide étant un obstacle au son. C’est pour cela que nos trois osselets ont chacun des formes spécifiques, toutes différentes, pour former un mécanisme de levier prompt à propulser les vibrations acoustiques. Un système d’une complexité époustouflante.

Ensuite, l’étrier agit comme une sorte de pompe sur la membrane de la fenêtre ovale et immédiatement, la membrane de la fenêtre ronde se dilate pour compenser le mouvement du liquide à l’intérieur de la cochlée (Une membrane basilaire ingénieuse capable de diviser et d’analyser les différentes fréquences de vibration). Là encore, synchronisation et design sont au rendez-vous.

La dernière partie du système auditif implique un organe qu’on appelle l’organe de Corti qui longe le sommet de la membrane basilaire. Cet organe comporte de minuscules poils capteurs des vibrations acoustiques, les stéréocils. Ces derniers envoient un signal en fonction de chaque fréquence stimulée par le signal entrant. Lorsqu’un de ces cils (0,00025mm d’épaisseur) est perturbé par la membrane tectorielle (qui touche les cils), il active une sorte de ressort mécanique fixé au sommet de chacun des cils qui ouvre une sorte de trappe. Ce ressort ne mesure que quelques nanomètres d’épaisseur et s'étend sur environ 100 nanomètre de long (un nanomètre mesure un millionième de millimètre). 

Une fois ouverte, cette trappe permet à des ions chargés dans la cochlée remplie de liquide de stimuler les nerfs ganglionnaires afin d’envoyer le signal acoustique à différentes parties du cortex cérébral, selon qu’il s’agisse de musique ou de paroles. Les terminaisons nerveuses sont elles aussi programmées à la perfection pour permettre la lecture acoustique, et environ un nerf est nécessaire à chaque changement de fréquence (Hz) basses. Quant aux fréquences plus élevées, elles suscitent 2 à 3 Hz par terminaison nerveuse. 

Voilà l’exemple d’une arche de Noé des temps modernes : le miracle est indiscutable et il devrait susciter l’émerveillement de l’humanité toute entière. Pourtant… 

Nous sommes testés sur notre droiture d’esprit, notre capacité à discerner le vrai du faux. Ne l’oublions pas…