En hébreu, le chiffre 4 Arba’ se confond avec le vocable de multiplicité (RavHarbé, qui signifie « beaucoup »), car il est en fait le premier multiple de la notion de pluralité. Deux est le premier multiple, et quatre est son multiple. Il est remarquable que toute la naissance, la genèse de l’existence du peuple juif, soit marquée par cette notion : 4 Parachiot (sections de la Torah) avant Pessa'h, 4 questions dans la Torah des enfants, et donc 4 sortes d’enfants, 4 questions le soir du Séder, 4 coupes de vin, et, bien sûr, 4 expressions de la fin de la servitude puis de la libération. Cette notion a assurément un sens, si l’on sait que le peuple d’Israël est le symbole de l’être créé – c’est-à-dire du multiple, face à l’Unique, du fini face à l’Infini. C’est ici le sens de la naissance du peuple, de sa genèse, de son devenir et donc de son rôle historique. À chaque fête, nous évoquons la sortie d’Égypte, que nous rappelons chaque jour dans le Chéma' Israël. En réalité, le chiffre « quatre » reflète les deux dimensions dans lesquelles nous vivons : le temps et l’espace, traduits, comme on le sait, en hébreu par un seul terme : « 'Olam » qui inclut l’espace (« l’univers » d’une part) et le temps'Olam » signifiant aussi « toujours »). C’est en réalité ce vocable qui exprime le mieux la transmission de l’émanation de la spiritualité dans le matériel, de l’Infini dans le fini. On l’a déjà relevé précédemment : ce fut le génie d’Einstein d’avoir lié, dans la théorie de la relativité, les 3 dimensions de l’espace à la dimension du temps.

À partir de cette présentation du chiffre 4, il importe, aux yeux du fidèle à la Torah, d’illustrer ce chiffre pour mieux comprendre la rencontre dans le monde matériel entre ce concept et les 4 domaines du concret : le monde minéral, le monde végétal et le monde animal, puis celui de l’homme. Il apparaît bien vite qu’en réalité, ces 4 dimensions du fini correspondent, comme la lettre ד (« Dalet », qui signifie aussi porte – c’est-à-dire dimension physique de la création) et « relient » le monde spirituel au monde matériel créé. Dans le domaine minéral, les 4 temps de la journée sont illustrés par le rapport avec le soleil et les astres. Le matin, apparition du soleil, à midi, le soleil dans son éclat, le soir, disparition progressive du soleil, et nuit, apparition de la lune et des astres. Le Ramban (Nahmanide, 13ème siècle) lie le campement des « Diglé Israël », des tribus d’Israël dans le désert, à ces emplacements : le camp de Yéhouda à l’est, le camp de Réouven au sud, le camp d’Efraïm à l’ouest et le camp de Dan au nord.

Dans le domaine végétal, les 4 espèces utilisées à Souccot – le Etrog (cédrat), beau et comestible, le Loulav (branche de palmier) comestible mais pas beau, le myrte, beau mais pas comestible, et le saule, ni beau ni comestible. Ces 4 végétaux sont la quintessence du monde végétal. Dans le domaine animal, 4 animaux sont évoqués pour inviter le peuple d’Israël à accéder à ces degrés dans le service divin : force du lion, puissance de la panthère, agilité de l’aigle et rapidité du cerf. Enfin, dans le domaine humain, psychologique, les 4 enfants cités dans la Torah et évoqués dans la Haggada, représentent eux, clairement, 4 réactions face aux dessins de la Providence : l’un, le Racha', refuse et se révolte, il ne veut pas accepter la soumission à une transcendance ; il n’accepte pas de s’identifier au croyant. Le second ne pose pas de question : il vit au jour le jour, et reste sinon indifférent, du moins passif, pour ce qui se passe devant lui. Le troisième, le Tam, s’interroge, mais sa question est celle du monde scientifique, qui cherche les raisons extérieures des évènements, par des statistiques (Ma Zé ? Qu’est-ce que cela ? Telle est sa question !) et des analyses superficielles. Puis vient le ‘Hakham, qui a compris que les décrets divins s’inscrivent dans 3 dimensions : la raison (les « Michpatim », lois rationnelles), les Edouyot (qui viennent évoquer des faits passés) et des ‘Houkim (« statuts » divins, liés à la sagesse divine).

Dans le cadre de cette chronique, il n’est guère possible d’analyser tous les éléments liés au nombre 4. Ce que le croyant doit retenir, c’est que la relation avec la transcendance, du fini avec l’Infini, se situe en fait à 4 niveaux essentiels : le refus, l’indifférence, l’intérêt apparent et l’intelligence d’une pensée qui dépasse l’individu créé. Au « Daleth » il convient d’ajouter une petite lettre, le « Youd », qui symbolise la spiritualité). Avec l’ajout du Youd au Daleth, l’on arrive à la lettre « Hé », qui traduit la spiritualité, fondée sur une ouverture (le ד « Daleth ») sur le monde matériel. Le « Youd », lui-même, premier chiffre de la dimension décimale, dimension de la transcendance, exprime la rencontre de la transcendance avec l’immanence, que recouvre le « Daleth ». Ici, l’on peut comprendre en quoi le chiffre 4 – ou plutôt la lettre Daleth – symbolise particulièrement la soirée du Séder, c’est-à-dire la sortie d’Égypte. Les 4 expressions de la Guéoula (délivrance) – deux exprimant la sortie de l’exil (« Je vous sortirai des tribulations de l’Égypte et vous libérerai de leur servitude, puis Je vous affranchirai à l’aide de Mon bras étendu et de châtiments terribles, et alors Je vous prendrai comme Mon peuple » – Chémot 6,6) expriment la même idée. Tel est le but : libérer le corps, la dimension matérielle, pour parvenir à être le peuple de D.ieu (dimension spirituelle). Nous retrouvons ici le « Daleth » inscrit dans le « Hé », la rencontre de la transcendance et de l’immanence.

Tel est le but de l’histoire d’Israël : témoigner de ce processus au sein de l’Histoire : témoigner à partir du multiple de la présence de l’Un. C’est le sens des 4 coupes de vin qui reprennent les 4 expressions de la libération. Les coupes de vin – deux avant le repas, deux après le repas – ont pour but de symboliser la libération, et en même temps la Kédoucha, la sainteté qui doit se dégager de la spiritualisation de la matière. « Le vin, selon les Sages, accompagne toujours l’observance des Mitsvot ». C’est le sens du Kiddouch (1ère bénédiction) et de la dernière bénédiction qui accompagne la dernière coupe et qui doit annoncer la Guéoula, la libération à l’époque messianique.