La Paracha de cette semaine évoque un évènement particulièrement douloureux de l’histoire biblique : la disparition brutale des deux fils de Aharon : Nadav et Avihou. Alors qu’ils inauguraient le Michkan, ils ont pris l’initiative d’apporter un feu étranger, non ordonné par l’Eternel, ce qui a provoqué leur mort.

Cet épisode est difficile à comprendre car Nadav et Avihou avaient une très grande élévation spirituelle, et Moché lui-même consolera son frère en mettant en avant le fait que ce drame révélait la grandeur de ces deux fils : « C'est là ce qu'avait déclaré l'Éternel en disant : Je veux être sanctifié par ceux qui m'approchent et glorifié à la face de tout le peuple! » (Lévitique 10. 3). En effet, plus une personne est élevée spirituellement, plus l’Eternel est attentif à ses actions et révèle à travers lui la puissance de la sainteté. Or la réaction qui a frappé Nadav et Avihou est tellement forte et rapide qu’elle témoigne de leur très grande élévation spirituelle.

Il n’en demeure pas moins que les Sages de notre tradition se sont interrogés pour essayer de comprendre ce qui a pu pousser Nadav et Avihou à s’affranchir des règles et de la procédure édictées par l’Eternel. Etant entendu, naturellement, que nous ne mesurons pas le degré d’élévation spirituelle exceptionnelle de ces deux tsadikim, et que les tentatives d’explication qui suivent essaient de formuler des enseignements à notre portée, bien que l’essentiel nous dépasse.

Ceci étant précisé, certains expliquent que leur attitude peut s’expliquer par une certaine forme de présomption et d’orgueil qui les a amenés à se fier à leur propre entendement, à leur spontanéité, en dépassant les règles énoncées par Moché et ordonnées par l’Eternel.

Une des conséquences de cet orgueil pouvait se voir, nous disent les sages du Midrash, dans leur refus de se marier : « Quelle femme pourrait être digne de nous, disaient-ils ? Le frère de notre père est roi ; le frère de notre mère est le président des 12 phylarques des tribus d’Israël, notre père est Grand-Prêtre et nous sommes ses adjoints ! » (Vayikra Raba).

C’est précisément pour faire échec à de tels raisonnements que les maîtres du Talmud enseignent « Celui qui veut épouser une femme, doit descendre de son orgueil ». Et, de fait, bien souvent, l’incapacité à se marier trouve sa source dans une idée trop élevée que l’on se fait de soi-même et qui amène l’homme à avoir les exigences les plus élevées pour le choix de son épouse.

La faute de Nadav et Avihou, leur confiance excessive en eux-mêmes, dans leur jugement, dans leur instinct est précisément le propre d’une personne qui ne s’est pas suffisamment confrontée à l’altérité, et notamment à une épouse.

Le mariage est précisément une école d’ouverture à l’autre, de tolérance et de patience. En se mariant, l’homme découvre un univers différent du sien, qui lui apprend à appréhender des situations sous différents angles, à mesurer combien les jugements personnels contiennent une part de subjectivité et peuvent être relativisés. La lecture que je fais d’une situation peut être tout aussi légitime que la lecture divergente de mon conjoint.

Ainsi, au fil du temps, chacun des conjoints apprend à se méfier de ses réactions spontanées et il devient ainsi capable d’appréhender une situation sous des angles multiples. Peut-être que si Nadav et Avihou avaient eu moins de présomption, ils auraient été disposés à se marier, et ainsi, ils auraient eu la retenue de mesurer ce que leur initiative, aussi louable soit-elle sur le fond, pouvait avoir de dangereux sur la forme, en s’affranchissant des règles énoncées par l’Eternel.

Voilà pourquoi, probablement, la Torah exige bien souvent que ceux qui la servent soient mariés. En effet, non seulement, ils peuvent accomplir ainsi un des premiers commandements de la Torah « Enfantez et multipliez-vous ! », mais en outre, ils perçoivent la vie spirituelle avec peut-être plus de nuances en mesurant la multiplicité des facettes qui entourent une même réalité, et la diversité des lectures possibles.

Cette perception de la complexité du monde, mais aussi de la relativité des points de vue individuels, invite à se méfier de la spontanéité qui peut parfois égarer l’homme en occultant certaines réalités fondamentales, et souligne, en contrepoint, combien sont précieuses les règles énoncées par l’Eternel, transmises par les Sages, et codifiées par la loi juive. En effet, elles permettent à l’homme d’éviter les écueils liés aux jugements individuels souvent parcellaires, elles proposent une ligne de conduite qui est le fruit de la Sagesse supérieure du Maître du monde et Qui recherche le bonheur de chacun de Ses enfants.