La Halakha ou la loi juive est en règle générale la mise en application des injonctions émises par la Bible. Mais la Halakha comprend également des législations d’ordre rabbinique dont le but est de préserver les commandements du texte saint. Les rabbins ont reçu l’ordre de préserver les commandements de la Torah de toutes les vicissitudes du temps mais aussi de la faiblesse humaine, et ils bénéficient pour cela d’un cachet délivré par la Torah elle-même – « Tu ne te détourneras pas de ce qu’ils te diront ni à droite ni à gauche » (Deutéronome 17, 10-11)

Les décisionnaires de la Halakha, les Poskim comme on les appelle, sont tous reconnus par leurs pairs pour leur maîtrise quasi-totale du corpus de la loi juive et des législations émises par leurs prédécesseurs, mais également pour leur piété morale. Le moindre faux pas dans le domaine des mœurs, si infime soit-il, équivaut à se faire rayer à tout jamais de leur assemblée, et ce peu importe le génie du l’élu… 

Si la Halakha est édictée par des géants, elle n’en est pas moins contraignante, et parfois un sentiment amer se dessine dans le cœur de ses fidèles...

Est-ce que les décisionnaires prennent à cœur les difficultés humaines d’exécution de la Halakha ou s’en tiennent-ils à l’aspect pur de la vérité inaltérée ?

Jetons un œil à l’immense recueil de la Halakha sous ses différents aspects pour rechercher l’humanité qui se cache derrière les lignes des manuscrits parfois millénaires…

Les décisionnaires et leurs façons de prendre en compte l’humain  

  • Les Sages du Talmud ont interprété le verset concernant l’injonction de restituer un objet perdu se trouvant dans un endroit insalubre ou trop contraignant, comme ne concernant pas un homme âgé. « Ce n’est pas de sa dignité » dit la Guemara traité Baba Metsia p. 30
  • Il en va de même pour le culte du Temple. Le Ramban explique pourquoi la Torah précise explicitement les oiseaux à approcher en sacrifice : « Le texte a choisi ces deux oiseaux là [le pigeon et la tourterelle], car ils sont à portée de la main d’un homme tout le temps, afin qu’il ne soit nul besoin de s’armer de son arc pour aller en apporter » (Lévitique 14)
  • Bien qu’il soit interdit de s’interrompre lors de la lecture du Chéma, si son ami vient à sa rencontre, il sera permis de faire un arrêt afin qu’il ne soit pas embarrassé. (Traité Brakhot chap. 2)
  • Les Sages mettent plusieurs fois en avant que la Torah préserve autant que faire se peut, les biens des individus. « Les israélites auraient dû approcher des sacrifices à chaque instant, mais la Torah se montra indulgente» (Zeva’him p. 6) Rachi : « elle préserva leur argent » (voir également Mena’hot p. 76, Yoma p. 39)
  • Concernant « le Kavod Habriot » qu’on pourrait traduire par le respect de la dignité humaine, la Torah n’y va pas de main morte. Elle fixe comme règle : « La dignité humaine est tellement grande qu’elle repousse les commandements négatifs de la Torah » que la Guemara traduira par la formule suivante : certains commandements de la Torah peuvent être transgressés  passivement (c’est-à-dire sans action) pour éviter l’humiliation, tandis que ceux émis par les Sages peuvent être transgressés même activement. (Traité Brakhot p. 19b).

On pourrait être tenté de penser que l’humiliation en question est quelque chose d’insurmontable comme devoir se déshabiller en pleine rue, si on s’apercevait que l’on porte un habit fait en Chaatnez (mélange interdit de laine et de lin) cependant, le Troumat Hadéchen (chapitre 16) explique qu’on parle même d’un cas où un enseignant discute avec ses élèves et ressent le besoin pressant d’aller se soulager…

  • Plus que cela encore, le célèbre ‘Hokhmat Chlomo écrit qu’une personne n’est pas tenue de s’humilier pour sauver la vie de son prochain ! (Choul’han ‘Aroukh ‘Hochen Michpat, Migdal Oz, loi sur les meurtriers)
  • Certains avis ne sont pas retenus par la Halakha mais ayant été émis par des maîtres reconnus, leur point de vue vaut la peine d’être cité, comme celui qu’on appelle « le Baal HaManhig » cité par le Tour (Ora’h ‘Haïm, chap. 142) qui dit qu’on ne devrait pas reprendre une personne qui lit à la Torah, même si le sens du texte se modifie, car cela risque de la mettre mal à l’aise…
  • Certains décisionnaires rapportent que durant le jeûne du 9 Av, en terre étrangère, il n’est nullement besoin d’ôter ses souliers comme on le fait en Israël pour ne pas se faire railler par les non-juifs. (Ravia dans le Tour chap. 554)

Et puis, d’autres considérations telles que la faiblesse physique sont également prises en considération par la Halakha. 

  • Le jour de Kippour aurait dû durer deux jours, mais nous sommes trop faibles pour le supporter (Tour Or Ha’haïm chap. 581)
  • Tout doute concernant une législation des Sages est à considérer avec indulgence, c’est-à-dire qu’on ne fera pas cas de cette loi, car la Torah est indulgente… (Zohar Harkya, Rachbatz, introduction)
  • Il en va de même des éléments interdits qui pourraient s’annuler du fait de leur faible quantité dans une plus grande quantité d’éléments permis, mais dont la règle stipule que s’ils pourraient en venir à être rendus permis d’eux-mêmes, (après Chabbath ou Pessa’h par exemple) ils ne s’annulent pas. Le Rachba d’ajouter que seulement si cela est possible sans difficultés (Torat Habait laRachba, chap.4)
  • Certains permettent à un homme de s’épiler les poils blancs des noirs, afin qu’il ne se sente pas dégradé. (Choel Oumechiv, chap. 1, alinéa 26)
  • Lorsqu’un homme n’a pas la tête couverte et ne peut pas non plus se la couvrir, on lui autorise de réciter la bénédiction mentalement afin de s’acquitter ainsi de son obligation ; on ne lui dit pas de ne pas boire pour étancher sa soif (Taz, Or Ha’haïm, chap. 62, alinéa 2)

En ce qui concerne les dangers liés à la communauté, les décisionnaires se sont montrés encore plus magnanimes. 

  • Pour le Rif par exemple, on pourrait transgresser le Chabbath pour retirer de la voie publique un objet coupant susceptible de mettre en danger (un danger même bénin) la population (Voir Ran sur le Rif traité Chabbat, p. 19)
  • Lorsque la synagogue se trouve fermée en plein Chabbath, certains décisionnaires ont autorisé l’envoi d’un enfant pour y rapporter la clé, ce même s’il transgresse l’interdit de transporter du domaine public eu domaine privé (Taz, Or Ha’haïm,446 voir aussi Darké Moché 425)
  • Le ‘Hazon Ich écrit à plusieurs reprises qu’il n’est pas du goût des décisionnaires d’émettre des lois qui pèseraient sur l’assemblée « …puisqu’il n’est pas convenable de peser sur le public, les décisionnaires ont autorisé… » (Or Ha’haïm chap. 3, alinéa 10 et chap. 16 alinéa 8)

Même si toutes les Halakhot (lois) énoncées dans cet article ne font pas systématiquement l’unanimité et qu’il n’y a donc pas à en tirer de conséquences pratiques, le simple fait de savoir que le facteur humain est constamment pris en compte par nos décisionnaires nous donne une idée sur l’esprit avec lequel ces géants réfléchissent à leur mise en œuvre. En effet, nombreux sont les exemples où les Sages d’Israël ont intégré le facteur de tolérance à leur décision, les cas énoncés ici ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan de bienveillance de la part de nos maîtres. Ainsi que la Guemara le dit à plusieurs endroits – « Toutes les voies de la Torah, ne sont qu’agréabilité et paix » (traité Soucca p. 32) … Partant de ce constat, nous serons forcés d’admettre que lorsque la Halakha se trouve être parfois contraignante, voire difficile à appliquer, la raison n’est autre qu’il est impossible de réaliser alors la volonté de D.ieu autrement…