Le mot conscience, on connaît.

Devant un acte que nous avons fait, un bien-être ou un malaise nous envahit, nous indiquant si nous sommes dans la bonne (ou la mauvaise) direction morale. Sans cette "boussole", ou en voulant la trafiquer, le monde retourne au néant. 

La bonne foi c’est autre chose. Du latin bona fides, elle se situe plus au niveau des conceptions, des avis, des prises de positions, des joutes intellectuelles. Elle est la "bonne conscience" des opinions. Elle n’a rien à voir avec les traits de caractère, elle travaille en électron libre. Un coléreux peut en avoir, et un doux, pas du tout. 

La bonne foi demande une souplesse, une introspection, une tendance à la remise en question, une hygiène interne pour vérifier si nos outils à juger ont bien été nettoyés, aiguisés et qu'aucune scorie ne vient fausser la balance. Elle est délicate, transparente, fragile ; elle est au féminin, (même si les femmes peuvent en manquer…) et cette délicate aiguille qui pointe sur l’intégrité de nos opinions peut mener très loin. 

La bonne foi a son contraire (puisque l’équilibre doit être maintenu et que cette arme est d’une puissance non négligeable) qui s’appelle la mauvaise foi. Couche fine et opaque, dure comme la pierre, elle couvre les opinions de ceux qui ont à priori décidé de ne pas en changer. Le point de vue que l’on a adopté (pour des raisons de confort, de facilité, de politically correct, de mimétisme avec son groupe social) a été déjà choisi avant le débat et l'on n’en changera pas. La méthode est de dessiner les cercles autour de la flèche déjà plantée. 

On reconnaît celui qui pratique la mauvaise foi par sa propension à changer de conversation quand il n’arrive plus à défendre son point de vue, par une utilisation sans modération de phrases toutes faites, de lieux communs, et une incapacité à aller au fond des choses. Il nage à la surface, craignant la plongée en profondeur. 

Devant la mauvaise foi, il est impossible d’argumenter puisque le parti pris de base est déjà tronqué. Rien à voir avec une personne honnête qui défend son avis, mais qui est prête à entendre autre chose. 

Le judaïsme encense cette “toilette” minutieuse d’honnêteté intellectuelle qui est chez nous la condition sine qua non pour être un dirigeant et même un roi. Yéhouda, le fils de Ya’akov, malgré la honte cuisante qu’il va essuyer, avoue immédiatement sa responsabilité devant les preuves que sa belle-fille Tamar lui envoie. « Elle a raison ! Ces objets [le bâton et le sceau qu’il lui avait laissés en gage après leur union] sont à moi. » David, notre roi, devant Chmouel qui lui fait habilement une remontrance quant à son comportement avec Bat-Chéva’ (David, la convoitant, avait envoyé son mari Ouriel se faire tuer à la guerre), avoue instantanément qu’il a fauté. 

Plus proche de nous….

Une journaliste, scénariste, écrivain, chroniqueuse israélienne, Irit Linor, tient depuis plus de 20 ans une émission radiophonique sur Galeï Tsahal, la chaîne officielle de l’armée, qui porte le titre de “Hamila Haa’harona”, en français “Le dernier mot”.

L’idée, très novatrice à l’époque, était de confronter deux intervenants, à l'opposé dans leurs positions politiques et idéologiques, qui débattraient de sujets d’actualité. Elle : Irit Linor, femme, de gauche, féministe et laïque. Lui : Ouri Aurbach, homme, religieux et de droite. On peut s’imaginer le bouillonnement dans les studios de la chaîne : les implantations en Judée et Samarie, la place de la religion dans un état démocratique, la position face au conflit israélo-palestinien, tout y passait. 

Leurs joutes étaient délicieuses, car l’un comme l’autre savaient se faire de la place, rire, tout en se battant sans merci pour leurs idées. Intelligence et humour étaient chaque jour au rendez-vous, à 11h00 du matin pile. Le jingle annonçait la couleur, à coup de trompettes, avec quelque chose d’une fanfare de cirque. 

Aurbach devint ensuite député, puis ministre, mais malheureusement décéda prématurément il y a quelques années, à 55 ans. 

Irit continua l’émission, toujours sur le même principe, de contraires rivalisant, cette fois avec Kobi Arieli, un "ancien" de la prestigieuse Yéchivat Hévron. Mais à force de confrontation d'idées, de réévaluation de la situation en Israël, de remise en question en face de son interlocuteur, et surtout guidée par cette fameuse bonne foi, Irit, la militante, a commencé à penser autrement. Et les conclusions auxquelles son honnêteté intellectuelle l’a menée se sont imposées à elle, l’obligeant à changer de camp…

Du pratiquement jamais vu dans le monde des médias (et de plus chez une professionnelle ayant dépassé la quarantaine… !)

En suivant sa vérité intérieure, affinée sans cesse, sans s’émouvoir des remous qu’elle provoque dans les milieux journalistique et politique - où ses anciens amis la voient comme une traîtresse -, elle fait mouche et rejoint presque immanquablement la vérité immuable de la Torah. Euthanasie, avortement, service dans les unités militaires d’élite pour les femmes, conversions “à la va-vite”, femmes du Kotel : ses prises de position sont étonnantes et ses conclusions sont pratiquement toujours en adéquation avec la loi juive.

À croire que la bonne foi mènerait à la… foi ?! 

Irit Linor pense qu’Israël doit retrouver les racines de sa judéité authentique. Elle-même ne se définit pas comme “religieuse” mais déclare que si elle devait prendre un seul livre sur une île déserte, ce serait sans hésiter le Tanakh, la Bible. Elle tient à une Cacheroute de base et s’abstient totalement de ‘Hamets à Pessa’h

Le propos n’est pas de dire qu’elle est passée du mauvais camp au bon, ce serait trop simpliste, mais de s’incliner devant son courage. Lorsqu’une vérité lui est apparue, plus forte que celle qu’elle soutenait pourtant de toutes ses forces, elle en a tiré les conclusions et “noblesse d’opinion oblige”, s’est retrouvée dans le camp adverse. Et “étrangement”, sa logique implacable lui fait défendre aujourd’hui avec fougue la tradition juive authentique qui lui apparaît être le ciment le plus indispensable à la cohésion de l’Etat Hébreu. 

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De même que l'on doit soulever de temps en temps le capot de notre voiture pour examiner le niveau de l’eau et de l’huile, osons la vérification de notre bonne foi, pour éviter les mauvaises surprises en route, les moteurs qui fument et les appels au secours en pleine Nationale 7. D’ailleurs, même en face de notre Créateur, dans l’intimité d’une prière, dommage de se présenter à Lui avec des artifices et des enjolivures. D.ieu nous veut parfaitement nous-mêmes, parfois désemparés, défaillants ou vulnérables. Sans rien cacher.

Aucun individu, clan, tribu, parti, groupe n’est exempt de cette introspection royale. Là où elle fait défaut, en général, dictatures et dictateurs fleurissent. 

Aspirateur à dépoussiérer, produit à vitres pour y voir plus clair, déboucheur de plomberie encrassée, elle est à utiliser sans modération.

Et ne peut faire que du bien…