Priez-vous quotidiennement dans l’espoir d’améliorer votre situation matérielle, votre santé ou même votre niveau spirituel, mais vous êtes-vous déjà demandé comment la prière fonctionne-t-elle ?

En réalité, toute prière est sujette à un paradoxe ontologique de taille qu’il nous incombe d’éclaircir. Alors, tâchons d’aller au fond des choses.

La prière, un recours légitime ? 

Quelle que soit notre religion, la prière est primordiale. Toutefois, elle n’est pas réservée exclusivement au culte religieux. Elle est l’apanage de tout être humain qui, à l'inverse de l'animal, est prédisposé de façon instinctive à aspirer à un au-delà transcendantal et apaisant. Et qu’elle suive une liturgie codifiée par les prophètes comme dans le judaïsme ou simplement le cri violent d’un désespoir déchirant sans formulation lyrique, la prière ne devrait en aucun cas être féconde. Car Celui à qui nous l’adressons connaît évidemment notre situation incitant notre demande de recours, il en est même l’Auteur.

En d’autres mots, comment peut-on prier pour modifier notre condition de vie, si c’est précisément Celui à qui nous nous adressons qui décide qu’il en soit ainsi ?

Lorsque nous prions dans le but d’être secouru d’un événement ou d’avoir davantage de telle ou telle chose, nous sommes d’accord que nous ne nous adressons pas à la divinité de Spinoza, étrangère à l’homme et n’exerçant pas sa providence sur le genre humain, à quoi bon sinon ? Et si c’est bien au D.ieu de Moïse - révélant l’étendue de Son pouvoir en Égypte, témoignant par là de Sa providence qui s'exerce vis-à-vis de chacun - à Qui l'on adresse nos prières, à quoi bon Lui exprimer une requête ? En effet, puisque D.ieu connaît pertinemment le moindre détail de toute réalité courante sans avoir besoin de déclarations ou de rappels à l’ordre, cette problématique doit nous interpeller logiquement. À quoi bon prier ? S’Il en avait décidé autrement, nous n’en serions pas là !

On pourrait même en principe parler d’un soupçon d’insolence que de vouloir abolir le décret divin. D.ieu a décrété qu’il en soit ainsi, de quel droit prétendons-nous modifier Son décret ?

Nous devrions interdire la prière ! 

Et pourtant, la tradition nous révèle que la prière opère, transforme et change même les décrets divins les plus impérieux.

Le Talmud (Brakhot, p. 10) rapporte l’histoire de 'Hizkiya, roi d’Israël condamné à mort par D.ieu Lui-même pour ne pas avoir accompli le commandement de procréer, qui s’en est allé prier dans le but d’annuler la sentence, et qui obtiendra l’acquittement. La Guémara déduira de cette histoire que “même si une épée aiguisée est posée sur le cou d’un homme, qu’il ne désespère pas de la miséricorde” ; et de quelle épée parlons-nous, celle de D.ieu !

Un autre exemple parlant est celui du couple formé par Its’hak et Rivka, qui pria à l’unisson pour délier le décret de stérilité planant sur Rivka. Le verset dit qu’ ”Its’hak supplia Hachem au sujet de sa femme car elle était stérile. Hachem l’exauça et Rivka conçut.” (Genèse 25, 21)

Aurions-nous le pouvoir de délier les décrets divins ? Et le comble dans tout cela, c’est que nous sommes invités à le faire !

En effet, le Rambam (Séfer Hamitsvot 5, Michné Torah, loi concernant la prière chap.1 alinéa 1) compte la prière quotidienne comme un commandement à part entière de la Torah. Le Ramban (Na’hmanide) s’oppose à cette classification mais admet toutefois que dans des circonstances extrêmes comme l’urgence ou la souffrance, prier revêt alors le caractère impérial d’une Mitsva de la Torah. 

Comment comprendre cette antilogie a priori ?

La prière, une leçon d’éthique !

Le Saba de Kelm, Rabbi Sim’ha Zissel Ziv, l’un des pères fondateurs de l’éthique juive, explique que la prière ne modifie en aucun cas le décret divin. En revanche, elle change l’homme sur lequel il a été proféré. Car, après avoir pris conscience que D.ieu est tout-puissant et omniprésent grâce à la prière, l’homme s’élève et quitte son statut d’avant la prière, il n’est désormais plus celui sur lequel le verdict fut adressé, il est un autre homme, une nouvelle page se tourne alors dans sa vie.

Le Rav Yé’hezkel Levinstein, son élève, explique que c’est entre autres pour cette raison que les Sages de la Grande Assemblée (Anché Knesset Haguédola) ont pris l’initiative d’articuler la prière selon un rite figé qui nous semblerait parfois manquer de spontanéité. Il compare la prière à un exercice de prise de conscience quotidien qui consiste à saisir, autant que faire se peut, la grandeur et la toute-puissance de D.ieu par le récit des tournures solennelles magnifiant les attributs divins que les prophètes de l’Assemblée ont consigné derrière les propriétés mystiques de la prière. (‘Or Yé’hezkel, Darké Ha’avoda p. 77)

La prière n’est donc pas une simple modalité faite en vitesse sur l’écran de son téléphone en balayant les notifications intrusives qui viendraient masquer les paragraphes de son “Smart-Sidour”. La prière est un exercice exigeant une pleine concentration et un engagement total aussi solennels que possible. Le Rambam, dans son Guide des égarés (partie 3, chap. 51), dit que la prière a pour but de concentrer l’homme vers un au-delà spirituel d’où il serait à même de communier pleinement avec le Divin.

Le Talmud (Brakhot p. 30) rapporte que les ‘Hassidim Harichonim, les hommes pieux de l’époque de la Michna, priaient durant une heure. Le Rav Arié Kaplan en fit une appréciation qui en dit long sur l’expérience de la prière de nos maîtres. Il calcule ainsi la ‘Amida, qui représente l’essentiel de la prière. Le texte compte environ 500 mots et les Anciens prenaient une heure pour la réciter, soit 3600 secondes. Ils récitaient donc la prière à raison d’un mot toutes les sept secondes. De quoi transformer un homme…

La prière ne change donc pas le décret divin ; elle change l’homme qui prie, c’est pourquoi elle est tant appréciée par D.ieu comme chez nos matriarches et patriarches stériles parce que D.ieu “désire les prières des Justes”, nous dit à ce propos le Talmud. (Yébamot 64)

Néanmoins, si nous voulons saisir pleinement l’ampleur de l’enseignement de nos maîtres, nous devons encore en déduire une subtilité formidable. 

La prière a pour effet, nous l’avons vu, d’élever l’homme, car c’est en ce sens qu’elle n'abolit aucun décret divin et permet à l’homme d’être exaucé. Mais si tel est véritablement son effet, il y a tout à penser, déclarent-ils, que c’est également son but ! C’est-à-dire que la prière n’est pas toujours le résultat d’une épreuve ou d’une souffrance ; en revanche, la souffrance et l’épreuve sont parfois le résultat d’un manque de prière…

C’est pourquoi D.ieu conçut nos matriarches stériles, dans le but de les faire monter de niveau spirituel. Alors que nous sommes parfois touchés par l’épreuve et par la souffrance, peut-être que ces malheurs sont en réalité des appels à renouer le lien rompu avec D.ieu ?