Il est évident qu’il faut toujours éviter de déclarer que des évènements précis annoncent les temps messianiques. Certains évènements éveillent en nous le sens historico-divin de l’Histoire d’Israël, et l’on désire voir le Messie à nos portes. En 1917, quand le Ministre des Affaires Etrangères anglais, Balfour, a déclaré qu’après la guerre, on reconnaîtrait la naissance d’un Foyer National Juif en Palestine, le 'Hafets Haïm, Maître incontesté de sa génération, a voulu y voir une étape sur la voie de la Délivrance, en disant qu’il y a déjà eu plusieurs fois dans l’Histoire des évènements positifs, pour annoncer l’ère messianique, mais il a ajouté : « Pourvu que l’on ne perde pas ce "sourire" de la Providence ». Aujourd’hui, on se demande si les conflits mondiaux qui affectent la planète entière ne sont pas des indices qui annoncent une conflagration de grande envergure. Assurément, nul ne peut se permettre d’émettre des prophéties, mais il y a des faits qui nous invitent à la réflexion. Et il n’est pas inutile de tenter toujours de voir au-delà de ce qui apparaît clairement.

Une première remarque mérite l’attention : depuis 1945, la fin de la Seconde Guerre mondiale, aucun affrontement entre l’Occident (Europe, États-Unis) et l’Orient (Russie) n’a été aussi évident. L’Ukraine cherche à s’affilier à l’Occident, plus éloigné, plutôt qu’à s’associer avec sa voisine, la Russie. Il y a déjà, en premier lieu, un principe évident. L’Occident, théoriquement plus libéral, démocratique, séduit plus qu’une Russie autocrate, menée par un dictateur incontrôlable. C’est un premier défi, de civilisation, non de culture, car la Russie et l’Ukraine appartiennent, toutes deux, à un même style culturel. Mais la tentation libérale de l’Occident, sans doute, est privilégiée en Ukraine. C’est un premier point, important, qui mérite la réflexion. Mais il importe de dépasser cette distinction pour voir plus loin.

Au-delà du défi psychologique, il faut retenir aussi une différence essentielle, économique. Après avoir vécu 70 ans sous un régime dictatorial, imposant ses règles économiques, l’Ukraine cherche à se rapprocher du libéralisme, à fuir un autoritarisme économique et, donc, à se lier à la démocratie économique. C’est une porte pour chercher à se libérer d’un carcan face à un régime dominateur. C’est à ce niveau qu’il faut découvrir l’aspect humain de ce conflit. Rappelons-nous que pendant la Shoah, les Ukrainiens n’étaient pas moins cruels envers les Juifs que les nazis. Babi Yar, fosse commune de centaines de Juifs assassinés par les nazis et les Ukrainiens, se trouve en Ukraine. Il y a une forte propension à un nationalisme chez les Ukrainiens. Certes, le dirigeant actuel de l’Ukraine, Zelenski, est un Juif, mais il ne lui fut pas facile d’être élu démocratiquement. Certes, aujourd’hui, il représente le nationalisme ukrainien, et il n’est guère contesté dans le peuple ukrainien. À l’inverse, d’ailleurs, Poutine n’a, en aucun cas, eu une attitude antisémite, ayant été élevé, dans sa jeunesse, dans une famille juive. Ici apparaît que de divers points de vue, cette guerre est inclassable : ni fondée sur des éléments « psychologiques » ou « historiques » classiques, habituels, de la planète. C’est cette division, non réellement définissable, qui fait la force de Poutine. Sans ce paradoxe, la guerre n’aurait pas éclaté. Ici prend toute sa signification le verset de l’hymne final de Moché, Haazinou : il écrit clairement : « (L’Éternel) divise les nations, d’après le nombre des enfants d’Israël » (Dévarim).

Il y a assurément, dans l’Organisation des Nations Unies, plus de deux fois ce nombre de 70, chiffre qui représente le nombre des enfants d’Israël descendus en Égypte avec Ya'akov. Ce chiffre de 70 représente la multiplicité des nations face à l’unité du peuple juif. Il est certain, selon les apparences, que le sort d’Israël n’est nullement impliqué dans la guerre russo-ukrainienne, car il est difficile de définir actuellement un engagement d’Israël dans ce conflit. Ce n’est en aucune façon un désir de se ranger dans un camp ou dans l’autre, car l’intérêt d’Israël ne nous apparaît pas clairement, et il n’est pas dans notre rôle d’exprimer une opinion à ce sujet. Le problème qui préoccupe le croyant juif, qui attend la venue du Machia’h, c’est de tenter de comprendre les données historiques dans la perspective de la Torah. Nous l’avons-nous-même constaté, il y a une dizaine d’années, le véritable bouleversement historique qui a eu lieu en 1914 (5674 – תרע"ד en hébreu, tremblement), lors de la Première Guerre mondiale, cet affrontement n’était nullement lié au peuple juif et a transformé la face de la terre. Ce bouleversement a entraîné des conséquences majeures pour l’histoire juive : communisme (déjudaïsation de la Russie), Shoah (destruction des communautés juives d’Europe), création d’un État Juif (déplacement géographique). Des évènements généraux s’inscrivent assurément, selon nous, dans une perspective messianique. Nous pouvons en être les acteurs ou les spectateurs, mais il nous faut y réfléchir pour « voir plus clair ».

Au lendemain du passage de la Mer Rouge, AVANT même la Révélation du Sinaï, l’une des premières étapes du voyage du peuple juif fut l’oasis Elim (Chémot 15, 27) où « se trouvaient douze sources d’eau et soixante-dix palmiers ». Selon un commentaire rapporté par le Rav Munk, dans Kol Hatorah : « Les soixante-dix palmiers représentent les 70 nations, face aux 12 tribus d’Israël. Une relation permanente lie les nations du globe aux Tribus d’Israël » (Kol Hatorah, Béréchit 46,27). C’est ce lien que traduit aussi l’offrande, au Temple de Jérusalem, de 70 bœufs à Souccot, comme le disent les Sages : « Si les nations du monde avaient compris combien le Temple de Jérusalem les protégeait, elles ne l’auraient pas détruit ». Il ne nous appartient pas de donner un avis sur la guerre russo-ukrainienne, mais il nous faut espérer qu’il s’agit d’un de ces soubresauts qui doivent ébranler les nations, avant l’arrivée de l’ère messianique. Le peuple d’Israël espère que cette guerre, loin d’annoncer un cataclysme universel, sera le prélude à une entente harmonieuse entre les nations, et à une paix universelle, avec l’avènement du Machia’h.