Comme nous l’avons vu la semaine dernière, les premières Parachiot du livre de Vayikra nous décrivent les différents sacrifices prescrits dans notre tradition, et les rituels qui les accompagnent.

Ainsi, la Sidra de cette semaine, Tsav, évoque notamment un type de sacrifices particuliers, les « Korban Toda », les sacrifices de « remerciement » à Hachem. Ces derniers étaient offerts lorsqu’un homme éprouvait un fort sentiment de gratitude envers l’Éternel et qu’il souhaitait le matérialiser par une offrande.

À leur propos, Rachi commente de la manière suivante « Si la reconnaissance est le résultat d’un miracle dont on a bénéficié, comme des voyageurs en mer ou dans le désert sauvés des éléments, comme la libération de détenus en captivité ou une guérison, pour lesquels il est écrit qu’il faut rendre des grâces, alors "qu’ils rendent des grâces à Hachem pour Sa bonté, pour Ses miracles en faveur des hommes, qu’ils immolent des sacrifices de Toda !" » (Téhilim 107, 21 et 22).

Nous retrouvons ce principe de nos jours encore dans la récitation de la prière dite du Gomel à la synagogue (après un voyage, une naissance pour une femme, ou d’autres circonstances particulièrement favorables où l’homme a échappé à un danger) ou encore dans les Sé'oudot Hodaya (repas offerts à la synagogue en remerciement à Hachem).

C’est ainsi que notre tradition a prescrit à l’homme des rituels pour développer dans son cœur la vertu de la gratitude. Il s’agit d’une qualité essentielle qui consiste à savoir remercier pour les bienfaits que nous recevons, aussi bien de la part de D.ieu, que de la part des hommes.

La gratitude a ceci de spécifique qu’elle prolonge le bienfait originel en lui donnant un avenir, en l’inscrivant dans la durée. La bonté dont j’ai été l’objet ne va pas s’évanouir, elle va se transformer en amour, joie et reconnaissance de ma part. Elle ne sera pas un épiphénomène de ma vie, mais elle va enrichir ma relation à l’Éternel ou à autrui, la densifier. Rien ne sera comme avant, pourrait-on dire.

Inversement, l’ingrat est incapable de cet élan vers autrui car son égoïsme le ramène en toutes circonstances vers sa propre personne. Est-on gentil avec lui ? C’est normal, pense-t-il, il le mérite bien ! Il ne parvient pas à dépasser le stade centripète de l’enfance (centré vers soi-même) pour atteindre le stade centrifuge (ouvert vers le monde) qui est supposé caractérisé l’âge adulte. « L’orgueil ne veut pas devoir et l’amour-propre ne veut pas payer » résumait ainsi La Rochefoucauld dans ses fameuses Maximes.

Le judaïsme invite l’homme au contraire à développer dans son cœur la gratitude, la capacité à reconnaître sa dette, se réjouir, et remercier pour les bienfaits dont on le gratifie. Cette vertu est si fondamentale qu’elle est gravée dans l’étymologie du mot « Juif » ou « Yéhoudi » (de la racine « Hodaa » « être reconnaissant »).  C’est ainsi que le matin, le premier mot que l’homme doit prononcer est « Merci » « Modé Ani », l’homme est invité à remercier l’Éternel de lui redonner la vie.

La gratitude constitue une disposition d’esprit qui permet à l’homme de valoriser ce qu’il reçoit, ce qu’on lui donne, et ce qu’il possède. Un écueil courant de la nature humaine consiste, au contraire, à valoriser ce qui nous fait défaut, et sous-estimer, si ce n’est ignorer, ce que l’on possède. Or, en étant capables de remercier les hommes mais aussi et surtout D.ieu pour tout ce que nous possédons et les bienfaits qui jalonnent notre vie, nous ressentons naturellement une joie naître en nous, une volonté de faire le bien à notre tour et de nous rapprocher encore plus de D.ieu.

Voilà pourquoi, il était important de prévoir cette prescription de notre Paracha concernant le « Korban Toda », dans le prolongement, pourrait-on dire, du dixième commandement qui enjoint aux hommes de ne pas convoiter ce qui revient à autrui.

Certes, la convoitise ne relève à l’origine que d’un sentiment ou d’une pensée, mais celle-ci pourrait rapidement se transformer en paroles, et les paroles en actes. Depuis le livre de Béréchit, nous sommes instruits des conséquences dramatiques du désir de l’interdit (la faute originelle), ou encore de la jalousie (meurtre d’Abel par Cain).

À travers la convoitise, l’homme prend finalement le risque de passer à côté de sa vie. Alors que l’Éternel lui a donné exactement ce dont il avait besoin pour se construire et déployer les trésors de son âme, l’ingrat ferme les yeux sur ce qu’il a et braque une lumière crue sur ce qui lui manque. Il importe donc de méditer profondément cette Maxime de nos Pères « Qui est riche ? Celui qui est content de ce qu’il possède ». La richesse authentique ne se mesure pas quantitativement, mais qualitativement. L’homme est riche non pas quand il possède beaucoup, mais plutôt lorsqu’il n’aspire à rien d’autre que ce qu’il a déjà. Cela ne veut pas dire que l’homme ne doit pas avoir d’ambition pour l’avenir, mais cela signifie simplement que le moteur de son ascension de ne doit pas être la frustration ou la compétition avec autrui, mais la volonté positive d’approfondir son potentiel et permettre à son être de s’exprimer encore davantage.

La gratitude est ainsi une vertu fondamentale qui s’attache au bien et au bon, elle permet de rehausser la saveur de la vie. Elle apaise l’esprit, décille les yeux, stimule le cœur et nourrit l’âme. Elle inscrit dans la durée des bonheurs qui pourraient être éphémères, elle les sauve de l’oubli et leur offre l’éternité. Elle chasse la jalousie du cœur de l’homme, elle le rapproche de son prochain et le lie encore plus fortement à l’Éternel.

Puisse l’Éternel nous permettre de réussir dans cette voie, afin d’hâter la délivrance de notre peuple, et la venue du Machia’h !