Une organisation pacifiste juive logée à l'enseigne d'une rue qui n'existe pas crée de l'émoi aux États-Unis. Son but: changer le visage du lobby pro-israélien à Washington.

Dans la capitale américaine, des avenues désignées par une lettre croisent des rues dénommées par un chiffre. Mais ne cherchez pas la rue J: elle n'existe pas.

«J Street», c'est le nom qu'ont choisi des Juifs américains pour faire opposition au lobby juif dominant, trop favorable selon eux à la droite israélienne.

«Nous avions l'impression que le débat sur le Proche-Orient était devenu très statique à Washington. Et que le fait que la majorité des Juifs américains soutiennent un processus de paix ne se rendait pas jusqu'aux oreilles des législateurs», explique Joel Rubin, directeur des Relations gouvernementales de J Street.

Créé au printemps 2008, ce nouveau lobby veut combler ce vide et donner une avenue à des voix qui n'atteignaient pas le Congrès, explique M. Rubin.

Les militants pro-paix à Washington ont trop souvent été dépeints comme des opposants de l'État hébreu, déplore-t-il. «J Street veut créer un espace politique pour des gens qui soutiennent fortement Israël, mais qui favorisent également une solution pacifique au Proche-Orient.»

Il y a plus d'un demi-siècle que la position des Juifs américains sur le Proche-Orient est canalisée par le Comité américain des affaires publiques d'Israël (AIPAC). Ce comité représente l'establish-ment pro-israélien aux États-Unis, explique James Besser, chef de bureau de l'hebdomadaire Jewish Week à Washington.

Et avec l'avènement de J Street, cet establishment se sent pour la première fois menacé, croit le journaliste.

Pour l'instant, J Street dispose encore de moyens modestes. À peine une quinzaine d'employés permanents, et une organisation un peu artisanale. Pourtant, dit James Besser, «J Street a accompli beaucoup en un an, et il a le potentiel d'exercer une grande influence à Washington».

Ses principaux atouts: le réseautage Internet, à la manière virale qui a caractérisé la campagne électorale de Barack Obama. Et son entrée sur un terrain réservé jusqu'à récemment au lobby dominant: le financement politique.

«J Street? Mais ils n'ont aucune pertinence, ce sont quatre gauchistes propalestiniens dans un sous-sol», s'est exclamé Josh Block, responsable des communications pour AIPAC, lorsque La Presse l'a joint, au début du mois.

«Nous refusons toute comparaison avec eux», a-t-il ajouté, avant de refuser toute entrevue officielle.

Quelles positions défendent au juste les «quatre gauchistes» de J Street? Au moment de la guerre contre Gaza, l'organisation jugeait que cette offensive ne contribuerait pas à la sécurité d'Israël et ne ferait qu'aggraver le cycle de la violence.

Sans faire la promotion d'un scénario de paix précis, J Street favorise aussi le gel de la colonisation juive en Cisjordanie et la création d'un État palestinien aux côtés d'Israël. L'idée de base étant que ce ne sont pas les solutions qui manquent au Proche-Orient, mais la volonté politique de les implanter.

J Street a publié récemment un sondage qui démontre que la majorité des juifs américains soutiennent ce genre d'approche, plutôt que la position défendue par les «faucons» d'AIPAC.

Est-ce vrai? En fait, explique James Besser, il faut éviter de diaboliser ce lobby pro-israélien, qui a tendance à s'aligner sur les gouvernements israéliens successifs.

Reste qu'en février dernier, les Israéliens ont élu un gouvernement très, très à droite. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou multiplie les autorisations de construire dans les territoires occupés. Et son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, est ouvertement anti-arabe.

«Il y a eu un virage draconien dans l'opinion publique israélienne, et cette tendance n'a pas été suivie aux États-Unis», constate James Besser.

C'est dans ce fossé qui s'élargit que J Street puise ses appuis.