Une lecture rapide des titres de la presse israélienne pourrait induire le lecteur en erreur et lui faire croire que la révolution a commencé en Iran. Il s’agit, il est vrai, d’une vieille aspiration. Car, pour Israël, la fin du régime des ayatollahs serait une revanche méritée sur l’écroulement du régime ami que fut celui du chah jusqu’à il y a exactement trente ans.

Quant aux experts, chercheurs et officiers des différents services de renseignements israéliens, ils ne se risquent pas à faire de la prédiction, et le seul à s’être risqué à cet exercice est le chef du Mossad [renseignements extérieurs], Meïr Dagan. Le 16 juin, devant la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, il a expliqué – avec le ton emphatique qui le caractérise – que les troubles ne dureraient que quelques jours. Mais nombreux sont ceux, dans la communauté israélienne du renseignement, qui voient les choses tout autrement. Pour l’instant, il est quasi impossible de trouver un expert prêt à parier que les affrontements déboucheront sur l’effondrement du régime. Ce n’est pas seulement dû au manque d’informations, mais aussi au fait que les Iraniens eux-mêmes ne voient pas très bien où ils vont.

Les rapports présentés par les services de renseignements à la Commission de la Knesset indiquent que le régime reste suffisamment fort pour survivre aux troubles actuels. Les fraudes constatées lors de l’élection présidentielle iranienne sont certes avérées, mais elles ne sont sans doute pas de l’ampleur décrite par les médias occidentaux. L’accord donné par le régime [le 16 juin] pour procéder à un recomptage partiel dans certaines circonscriptions est vu comme un compromis destiné à gagner du temps et à calmer les esprits. Il ne s’agit donc en rien d’une reddition. D’ailleurs, sur le terrain, les forces de sécurité répriment violemment les manifestations.

Le général de réserve Aharon Zeevi Farkash, ancien chef de l’Aman [renseignements militaires], estime quant à lui que le guide suprême Ali Khamenei a commis une grave erreur en sous-estimant l’ampleur des émeutes. Tôt ou tard, le gouvernement sera amené à impulser des “réformes significatives” pour réparer les dégâts. Toutefois, les ayatollahs et leurs partisans ont derrière eux de longues années d’expérience en matière d’étouffement de la contestation. On peut même dire qu’ils bénéficient d’un avantage sur leurs opposants : ils savent exactement comment les choses sont perçues de l’autre côté des barricades. Après tout, la dernière révolution en Iran, c’était leur œuvre. Si le régime iranien est dans une situation extrêmement inconfortable, il n’est donc pas près de s’écrouler. La décision d’Ahmadinejad de maintenir sa visite à Moscou [le 16 juin], malgré les manifestations de masse des partisans de son adversaire modéré Mir Hossein Moussavi, visait à montrer que la situation restait sous contrôle. Mais le président iranien avait d’autres sérieux motifs pour rencontrer les Russes : il s’agissait de convaincre Moscou d’exécuter l’accord de principe passé voici déjà plusieurs années sur la livraison aux Iraniens de missiles antiaériens sophistiqués, les SE-300.

L’opinion israélienne caresse l’espoir – peu fondé – que le programme nucléaire iranien puisse enfin être contrôlé sans devoir passer par une attaque de l’aviation israélienne ou américaine. Or, même si les événements débouchaient sur une victoire du camp réformateur, celle-ci n’interférerait en rien sur le programme nucléaire iranien. Elle pourrait même compliquer la tâche des Israéliens dans leurs rapports avec une administration Obama déjà à la peine face à la Corée du Nord.