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Dix-huit films pour ausculter le terrible sort des juifs de Pologne

La complicité des témoins locaux du crime nazi se trouve au coeur d'une programmation de documentaires au Mémorial de la Shoah, à Paris. Entre déploration douteuse et réflexion salutaire

Par Jacques Mandelbaum

Publié le 07 novembre 2009 à 18h09, modifié le 07 novembre 2009 à 18h09

Temps de Lecture 3 min.

Dix-huit documentaires polonais récents consacrés à la persécution des juifs en Pologne sont aujourd'hui visibles au Mémorial de la Shoah. Cette programmation n'a rien d'évident. Le sort dévolu aux juifs de Pologne durant la seconde guerre mondiale a en effet inauguré entre les deux peuples un contentieux qui a longtemps semblé inépuisable. L'Histoire y prend de fait le visage de l'abjection. Sur les 3 500 000 juifs que comptait la Pologne en 1939, 90 % furent exterminés. Le coeur du différend tient pourtant moins dans le crime nazi que dans l'indifférence, parfois la complicité, des témoins polonais.

L'après-guerre n'a pas cicatrisé la plaie. Les juifs survivants y ont été victimes de nouveaux pogroms, tel celui de Kielce, en 1946, perpétré avec l'appui de la milice. En 1968, la féroce campagne antisémite de Wladislaw Gomulka, premier secrétaire du comité central du Parti communiste, a provoqué une ultime vague de départs. Il subsiste aujourd'hui 20 000 à 30 000 juifs dans le pays.

Cette accablante litanie a ceci de particulier qu'elle engage une nation elle-même martyrisée par les nazis, puis accablée par le joug communiste, mais qui n'a jamais su reconnaître la réalité du génocide, ni sa propre responsabilité à l'égard de ce crime. Avec la démocratisation du pays en 1989, les choses ont pourtant considérablement évolué, comme en attestent deux livres parus en 2009 : Juifs et Polonais, 1939-2008, ouvrage collectif dirigé par Jean-Charles Szurek et Annette Wieviorka (Albin Michel, 524 p., 25 €), et La Fin de l'innocence - la Pologne et son passé juif, de Jean-Yves Potel (Autrement, 284 p., 22 €). C'est à l'initiative de ce dernier qu'on peut aujourd'hui découvrir ce cycle de documentaires au Mémorial de la Shoah : "Chaque année, une dizaine de films consacrés à ce thème sont réalisés en Pologne ; ils témoignent de l'acuité que prend cette question dans le travail de mémoire de la Pologne démocratique et des enjeux qu'elle suscite."

Ces films se partagent entre deux grandes catégories. La première, de facture essentiellement télévisuelle, est celle de la déploration. Po-lin (2008), de Jolanta Dylewska, ou Je t'appelle des profondeurs (2004), de Wojciech Gierlowski, en sont deux exemples. Effets de montage entre archives sonorisées de la rue juive et scènes contemporaines des mêmes lieux, profusion de témoins exemplaires désormais dépositaires de la présence juive, tableaux "poétiques" interprétés par des enfants d'aujourd'hui rejouant la tragédie d'hier, flot ininterrompu de musique élégiaque : ces films donnent l'impression de vouloir infléchir l'irréparable, de ravauder une continuité qui n'existe plus. A l'opposé de cette approche, d'autres se confrontent à la question de la responsabilité, conjuguent au présent l'irréductibilité de la perte. C'est le cas du sidérant Lieu de naissance (1992), de Pawel Lozinski, qui accompagne pas à pas le romancier Henryk Grynberg dans sa recherche des ossements de son père assassiné sous l'occupation nazie par des voisins polonais.

C'est aussi celui d'une saisissante série de courts métrages réalisés par le vidéaste Artur Zmijewski, qui fait du rapport au passé juif l'une des clés de son oeuvre tout à la fois salutaire et dérangeante. L'un d'eux, intitulé Un Polonais dans le placard, fait suite à la polémique qui a entouré en 2002 la présence d'un tableau représentant un meurtre rituel dans la cathédrale de Sandomierz. Une anthropologue, Joanna Tokarska-Bakir, mena une enquête avec ses étudiants dans la région, qui révéla la persistance de cette légende séculaire parmi la population. Le film envisage avec ces mêmes étudiants, représentants du nouveau visage de la Pologne, le sort qui doit être réservé à ce tableau, à travers une série d'interventions artistiques rageuses. Zmijewski sera présent lors de cette séance recommandable, le 24 novembre, à 18 h 30.

Cette programmation permet ainsi de penser que les voix solitaires et solidaires du destin juif qui se sont relayées jusqu'à aujourd'hui en Pologne - celles du diplomate Jan Karski, du poète Czeslaw Milosz ou du professeur de littérature Jan Blonski - sont enfin entendues dans leur propre pays.


"Po-lin - la mémoire de la Shoah dans le cinéma polonais aujourd'hui".

Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l'Asnier, Paris 4e, tél. : 01-42-77-44-72. Du 12 au 24 novembre. De 3 € à 6 €.

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