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Splendeur et tragédie des Camondo

A Paris, le Musée d'art et d'histoire du judaïsme présente des chefs-d'oeuvre réunis par cette famille de collectionneurs.

Par Philippe Dagen

Publié le 13 novembre 2009 à 16h02, modifié le 13 novembre 2009 à 16h02

Temps de Lecture 3 min.

"Legs du comte Isaac de Camondo au Musée de Louvre en 1911", lit-on sous des Manet, des Degas et des Cézanne, aujourd'hui conservés au Musée d'Orsay. Le Musée Nissim de Camondo, le bâtiment et ses somptueuses collections à la gloire du XVIIIe siècle, ont été quant à eux donnés à l'Etat français dans les années 1930. On en déduit que la famille de Camondo était possédée par l'esprit de collection et que ses membres avaient des goûts variés, de Louis XV au post-impressionnisme. Mais cette conclusion est bien trop simple : on en est vite convaincu dans l'exposition "La Splendeur des Camondo", au Musée d'art et d'histoire du judaïsme.

Elle présente l'histoire d'une famille juive séfarade, de son ascension à Constantinople dans les premières décennies du XIXe siècle à son apogée à Paris autour de 1900 et à sa disparition en 1945. Elle le fait avec clarté, en dépit de l'abondance des données et de leur variété. Si elle se fonde sur de nombreuses sections documentaires, elle articule adroitement ces parties plus sévères aux salles consacrées aux collections, où le niveau moyen est celui du chef-d'oeuvre.

Comme dans toute saga familiale, trois âges se succèdent. Il y a d'abord les fondateurs, Abraham-Salomon Camondo (1781-1873) et son fils Salomon-Raphaël (1810-1866). Entre Constantinople, leur ville, Vienne, les Balkans et l'Empire ottoman, ils construisent leurs réseaux bancaires et s'associent aux premiers efforts de modernisation de la Sublime Porte. Leur influence est économique et politique, mais aussi religieuse et intellectuelle, car ils préfèrent à l'orthodoxie traditionnelle une conception du judaïsme imprégnée de l'esprit des Lumières. La relative liberté d'action dont jouissent alors les Juifs, aussi bien du côté du sultan que de celui des Habsbourgs, permet cette ascension.

Deuxième phase : Salomon-Raphaël et ses fils Abraham-Béhor (1829-1889) et Nissim (1830-1889) sentent que la décadence de l'empire turc ne permet plus de développer leurs réseaux. L'essentiel se passe ailleurs, à Berlin, à Londres, à Paris. En passant par l'Italie, où ils aident les partisans de l'unité italienne, ils gagnent des titres de noblesse : ce sont les comtes et barons de Camondo qui s'établissent à Paris, aussitôt après la guerre de 1870. Abraham-Béhor a un fils, Isaac (1851-1911), et Nissim un autre, Moïse (1860-1935). Ils incarnent le temps de la splendeur : construction de deux hôtels particuliers dans la plaine Monceau, intégration rapide à la meilleure société parisienne, aussi bien celle des salons et des châteaux que celle des banques et de la Bourse.

Moïse s'impose comme le principal amateur du XVIIIe siècle, portant à son plus haut point le goût pour cette époque, né sous le Second Empire. S'il est le "classique" de la famille, Isaac en est le "moderne" : suites d'estampes japonaises dans leurs meilleurs tirages et ensembles impressionnistes, Cathédrales de Monet, danseuses et repasseuses de Degas... Si Orsay a Le Fifre de Manet et sa Lola de Valence, c'est grâce à lui, qui en légua cinq autres - ainsi que quatorze Monet, cinq Cézanne et douze Degas.

En guise de remerciement, le Louvre refuse à Isaac de siéger à sa commission d'achats, parce qu'il est un "étranger" : c'est le premier signe annonciateur de la fin de la famille. Le neveu de cet "étranger", Nissim, fils de Moïse, est tué en 1917, son avion abattu par un pilote allemand. C'est pourquoi le musée créé par son père porte le prénom du fils. Moïse meurt en 1935, juste à temps pour ne pas endurer persécutions et trahisons. Sa fille Béatrice, son mari Léon Reinach et leurs enfants, Fanny et Bertrand, sont tout quatre passés par Drancy et morts à Auschwitz et Birkenau.

Les rares interventions tentées pour les protéger n'ont rien pesé face à la préfecture de police et à la Gestapo. Toutes les mesures nécessaires afin de s'approprier leurs biens et leur fortune ont été prises dès 1941 avec un complet cynisme. Le parcours finit donc devant la longue vitrine où s'alignent les ignobles correspondances du temps de Vichy. C'est ainsi que l'Etat français a témoigné sa reconnaissance aux descendants de ceux qui l'avaient comblé de dons inestimables.


"La Splendeur des Camondo", Musée d'art et d'histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, Paris 3e. Jusqu'au 7 mars 2010. Du lundi au vendredi de 11 heures à 18 heures et le dimanche de 10 heures à 18 heures. Le mercredi jusqu'à 21 heures. Tél. : 01-53-01-86-60. De 4,50 € à 7 €. Sur Internet : www.mahj.org.

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