Après les bus à impériale et les fish and chips, la capitale du Royaume-Uni est en passe de s'inventer une nouvelle spécialité : les mandats d'arrêt contre les responsables israéliens. Depuis le mois de septembre, trois d'entre eux ont échappé de peu à une interpellation dans le cadre de plaintes pour crimes de guerre émanant de cabinets d'avocats londoniens.
Le dernier dirigeant en date est Tzipi Livni, qui officiait comme ministre des affaires étrangères durant l'offensive menée l'hiver dernier dans la bande de Gaza, en représailles aux tirs de roquettes du Hamas.
Conviée à un gala du Fonds national juif organisé le 13 décembre à Londres, Mme Livni, désormais chef de l'opposition, déclina l'invitation à la dernière minute, ce qui entraîna l'annulation du mandat d'arrêt émis à son encontre par un juge britannique.
Fin septembre, le séjour outre-Manche du ministre de la défense, Ehoud Barak, aurait pu mal tourner si le magistrat saisi d'une demande d'arrestation ne lui avait pas accordé une immunité judiciaire.
Quelques semaines plus tard, c'est Moshé Yaalon, ancien chef d'état-major, qui renonçait à rejoindre la Grande-Bretagne de peur d'y faire l'objet de poursuites. Et cela en vertu du Criminal Justice Act de 1988, qui confère aux tribunaux britanniques une compétence universelle.
"La solidité des allégations de crimes de guerre formulées dans toute une série de rapports dont celui du juge Richard Goldstone, commissionné par les Nations unies, exige qu'une enquête judiciaire soit ouverte, dit Sharif Hamadeh, l'un des avocats anglais derrière la tentative d'arrestation d'Ehoud Barak. Le conflit durera aussi longtemps que les dirigeants israéliens auront le sentiment d'être au-dessus des lois." "La situation est devenue intolérable", estime Ron Prosor, l'ambassadeur israélien à Londres, qui évoque un "abus" du principe de compétence universelle et exige "que le gouvernement britannique agisse".
A Gaza, le Hamas jubile. Par la voix d'un juge, Diya Al-Madhoun, qui dirige un comité spécialisé dans la collecte de témoignages sur la guerre, il s'attribue même la paternité des plaintes contre M. Barak et Mme Livni. Relayées par l'Agence France-Presse et la presse anglaise, ces déclarations sont catégoriquement démenties par les organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme et les avocats impliqués dans les procédures. "C'est ridicule, dit un avocat anglais à la pointe de l'offensive judiciaire et qui veut rester anonyme. Certaines personnes estiment que ce comité exagère son rôle pour justifier son existence".
L'idée d'exporter la cause palestinienne dans les prétoires européens a émergé en 2002, dans les locaux du Centre pour les droits de l'homme de Gaza. Le 22 juillet de cette année, une bombe d'une tonne est larguée sur un quartier populeux, tuant quatorze civils, dont neuf enfants, en plus d'un chef militaire du Hamas.
Saisie par des organisations pacifistes, la Cour suprême israélienne ne trouve rien à redire. "C'est à ce moment-là que l'on a commencé à recenser les pays dont les tribunaux ont compétence universelle, explique Jaber Wisha, directeur adjoint du centre. Ce principe permet de poursuivre des criminels de guerre en dehors de leur pays d'origine et du pays d'origine de leurs victimes."
En Grande-Bretagne, le code pénal n'impose pas de passer par le parquet pour obtenir un mandat d'arrêt. Un dossier solide et un bon avocat peuvent suffire. En 2005, un mandat d'arrêt est ainsi délivré contre le général Doron Almog, ordonnateur de la destruction d'une cinquantaine de maisons à Gaza. Prévenu de la présence de la police dans le terminal de l'aéroport de Heathrow, où son vol venait d'atterrir, le haut gradé repart aussitôt pour Tel-Aviv.
"Jack Straw, notre ministre des affaires étrangères, avait alors promis à son homologue israélien de faire modifier la loi, explique une source officielle britannique sous couvert de l'anonymat. Mais cette question qui paraissait alors mineure n'est jamais parvenue à la Chambre des communes."
Quatre ans plus tard, crise diplomatique oblige, le gouvernement planche sur un amendement destiné à empêcher la délivrance de mandat d'arrêt par un simple juge. Un projet de réforme qui s'apparente à une ingérence du politique sur le judiciaire, estime Daniel Machover, juriste anglo-israélien, impliqué dans l'épisode Almog. "Avec un système pareil, dès que le responsable d'un pays allié sera inquiété, la procédure sera arrêtée au nom de l'intérêt public", souligne-t-il.
Daniel Machover et ses collègues se consolent à l'idée qu'avant de réserver un hôtel à Londres, les dirigeants israéliens s'enquièrent désormais du facteur risque auprès du ministère de la justice. Pour ceux-là, les bords de la Tamise s'apparentent à un champ de mines.
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