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Israël-Iran: Veto américain à l'aventure militaire

Une arme nucléaire iranienne renforcerait paradoxalement la puissance américaine au Moyen-Orient. Les régimes arabes auraient encore plus besoin de la protection des Etats-Unis.

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A l'occasion de la présentation, le 7 mars, d'une promotion de combattants volontaires «Golani» au président de l'Etat Shimon Pérès, le chef d'état-major de l'armée israélienne a réuni des journalistes au quartier général de la région centre, quelques heures avant son départ pour les Etats-Unis. Un moyen de tendre l'oreille vers les apartés et les chuchotements entre journalistes et officiers supérieurs. De l'avis général, le vice-président américain Joe Biden, qui est arrivé dans la région le 8 mars pour tenter de relancer le processus de paix moribond, est chargé d'une autre mission autrement plus délicate: s'opposer fermement à toute attaque israélienne sur les installations nucléaires iraniennes. Il a d'ailleurs prévenu qu'il n'aura aucune réunion avec le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, confirmant ainsi sa mise à l'écart. Il est persuadé que sa mission n'aurait en effet reçu aucun imprimatur de la part du chef de l'aile nationaliste du gouvernement.

«N'attaquez pas les premiers»

Selon les officiers généraux, le vice-président n'est certainement pas venu apporter le feu vert pour une action israélienne contre l'Iran, encore moins un feu orange, mais certainement un feu rouge. Il va réitérer les conseils du général de Gaulle aux Israéliens en 1967: «N'attaquez pas les premiers.» Il semble ainsi renforcer la crainte des militaires sur la nouvelle stratégie américaine qui s'oppose dorénavant à l'usage de la force contre l'Iran et qui tend à démontrer que Barack Obama et, avant lui, George Bush, avaient une attitude ambiguë et contradictoire dans cette affaire.

Ainsi, le gouvernement américain a octroyé, au cours des dix dernières années, plus de 107 milliards de dollars en paiement de contrats et de subventions à des multinationales américaines et étrangères commerçant avec l'Iran alors qu'officiellement l'embargo est en vigueur. Cela expliquerait pour partie la rhétorique d'Ahmadinejad qui se sentait couvert par les hésitations américaines.

L'aréopage d'officiers supérieurs israéliens est même convaincu que les Américains ne s'opposent plus à l'existence d'une arme nucléaire iranienne parce qu'elle leur permet de résoudre leurs propres problèmes, tant en Irak qu'en Afghanistan. Cette arme suscite un soutien généralisé contre leur enemi principal, al Qaida, tout en permettant de mettre les pays arabes sous tutelle américaine. Les Etats-Unis considèrent l'organisation terroriste d'Oussama ben Laden, instigatrice de l'attentat du 11 septembre 2001 et profondément implantée en Afghanistan, comme leur principal ennemi. La défaite américaine en Afghanistan sonnerait le glas de leur influence dans cette région et menacerait l'ensemble du monde arabe. Pour contrecarrer la mainmise des talibans, ils comptent se servir des chiites iraniens pour en finir avec les sunnites d'al Qaida.

La peur des pays arabes

La bombe iranienne fait peur aux voisins arabes non pas tant qu'ils craignent de la recevoir un jour sur leur tête, mais parce qu'elle aurait un pouvoir de nuisance capable d'ébranler les bases des régimes féodaux arabes. Selon l'opposition basée à Al-Ahwaz, les Gardiens de la Révolution ont installé des missiles munis de têtes chimiques sur la rive iranienne du Golfe pour intimider les pays arabes limitrophes. Le vice-ministre israélien et député druze Ayoub Kara vient de déclarer «qu'il avait reçu des messages de la part d'Etats musulmans indiquant qu'ils soutiendront toute action israélienne contre l'Iran». L'arme nucléaire iranienne rehausse le prestige d'un pays qui pourrait soulever des populations chiites dans des pays dirigés par des sunnites.

L'Iran appuie déjà la rébellion au Yémen, suscite l'activisme du Hamas, hypothèque l'indépendance du Liban et exacerbe les conflits entre communautés en Arabie saoudite, au Koweït et au Bahreïn. Ce dernier pays dirigé par une monarchie sunnite règne sur une population à 70% chiite tandis que les 10% de chiites habitant l'Arabie saoudite se concentrent autour des puits de pétrole leur donnant la possibilité, à tout moment, de bloquer les livraisons d'hydrocarbures. Cette crainte des pays arabes les met sous dépendance américaine. Sous prétexte de leur offrir un parapluie nucléaire, les Etats-Unis s'implantent en force dans ces pays, comme à Manama, la capitale du Bahreïn, après en avoir été d'abord exclus en raison de leur soutien inconditionnel à Israël.

Joe Biden se déplace aussi en Israël pour tenter de réactiver les discussions avec les Palestiniens. Il est convaincu que les craintes liées à l'Iran pourraient aussi convaincre Israéliens et Palestiniens de trouver un terrain d'entente. Adam B. Lowther, analyste à l'Air Force Research Institute estime que «l'Iran pense peut-être que son programme d'enrichissement va mettre la peur au ventre des Américains. En fait, il devrait nous donner l'espoir d'une renaissance de l'influence américaine au Moyen-Orient».

Les Israéliens croient, par ailleurs, de moins en moins aux sanctions car elles ont montré leur limite à Cuba. Par ailleurs, la volonté américaine de bloquer l'économie iranienne n'est pas évidente et elle est illustrée par le maintien de l'activité dans ce pays de certaines de ses multinationales. Les Israéliens ont mandaté le chef de Tsahal pour comprendre, enfin, cette nouvelle stratégie américaine faite à leurs yeux d'illusions. La dernière consiste à croire que «les régimes arabes, en particulier ceux du Golfe, risquent d'être embarqués dans une nouvelle alliance contre l'Iran, côte à côte avec Israël».

Gabi Ashkenazi, chef d'état-major israélien, s'est donc envolé le 7 mars pour les Etats-Unis. Il avait déjà reçu en février à la Kiria de Tel-Aviv, le pentagone israélien, l'amiral Michael Mullen, chef d'état-major des forces armées américaines, qui avait tenu à préciser que «toutes les mesures prises par les Américains en vue de renforcer la puissance militaire d'Israël et d'autres Etats de la région étaient destinées à leur procurer un potentiel de défense». Cette déclaration s'inscrivait déjà dans un conseil de prudence tendant à inciter Israël à s'abstenir de toute action préventive contre l'Iran en échange d'un appui politique et militaire américain et du renforcement de l'armement de Tsahal. Selon le New York Times, les pays arabes et Israël sont «de plus en plus enclins à accueillir des équipements de défense américains par crainte des ambitions et des capacités militaires de l'Iran».

Mais cela viendrait en opposition aux espoirs des Saoudiens, tel le diplomate Abdelaziz Sager qui estime «qu'il vaut mieux pour la région qu'elle affronte les représailles limitées de l'Iran après une attaque israélienne plutôt que de se retrouver sous l'emprise de la dissuasion nucléaire permanente. Je préfère que le job soit fait maintenant plutôt que de vivre le restant de mes jours sous l'hégémonie nucléaire iranienne». La décision finale appartient à présent à Benjamin Netanyahou qui n'est certainement pas sourd aux inquiétudes et aux desiderata de ses officiers généraux.

Jacques Benillouche

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Image de une: Chasseur bombardier F15 de l'aviation israélienne / Reuters

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