Et si Bernard Madoff, le plus grand escroc de l'histoire de la finance, n'était pas le Machiavel que l'on a décrit ? Et si l'homme qui a trompé la communauté juive new-yorkaise tout comme l'élite de la finance mondiale, et qui reste une énigme pour les enquêteurs du FBI, avait, au fond, donné à voir à la société américaine ce qu'elle attendait de lui ?
Bernard Leon Madoff, p'tit gars du Queen's, pauvre, parti de rien, mais devenu gourou de Wall Street, comme une incarnation trop parfaite du rêve américain... Dans un ouvrage regroupant des articles parus dans Vanity Fair, le journaliste américain Mark Seal, ancien de Rolling Stone et du New York Times, explore la part d'ombre de l'étrange "Bernie".
Comment, s'interroge-t-il, ce faiseur d'affaires - un terme traduit du yiddish "makher" -, qui fonctionnait à l'affect et à la parole donnée et gardait le mystère de ses investissements, a-t-il pu tromper les gestionnaires de fortunes les plus avisés ? "Une nuit de janvier, lors d'un dîner à New York, j'exprimais ma frustration, commence Mark Seal. Je ne parvenais toujours pas à me faire une idée de l'homme Madoff."
Dans la quête qui le conduit à rencontrer des intimes du financier, amis et famille, le journaliste recueille des témoignages qui façonnent un Madoff inédit. Il montre comment la machination bâtie, la fameuse pyramide de Ponzi - un système-leurre, qui consiste à verser des intérêts à ses clients grâce à l'argent des nouveaux arrivants -, lui a, au fil du temps, échappé.
Comment la cour formée autour de lui, qui n'a cessé de grossir, lui a renvoyé l'image d'un financier hors pair, unique, exceptionnel. Comment cette cour a pu constituer une incitation à aller de l'avant, pour coller à son personnage. Comment elle a pu, enfin, susciter chez lui un sentiment d'impunité qui l'a finalement perdu.
Madoff fascinait. Pour avoir la chance d'être admis parmi ses clients, il fallait pénétrer le cercle de ses proches conseillers, puis être coopté. Les riches Américains se pressaient, des juifs new-yorkais fortunés, d'illustres financiers, des stars de cinéma. Investir chez Madoff, c'était une promesse d'enrichissement rapide et l'accès à une vie fastueuse.
L'histoire de Carmen Dell'Orefice, qui fut l'un des tout premiers mannequins vedettes aux Etats-Unis et la muse de Salvador Dali, commence comme un conte de fées : "Avec son investissement de 100 000 dollars qui (...) s'accrut à millions, écrit Mark Seal, Carmen reçut aussi en cadeau une vie sociale (...). Elle se souvenait des voyages sur des yachts, des sorties dans New York et des soirées dans la villa des Madoff à Palm Beach..." (...) "J'accepte le fait que ce que je croyais vivre était une projection d'une personne qui n'existait pas", dira-t-elle.
Finalement, la colère des clients trompés fut à la mesure de l'admiration suscitée. L'Amérique se sentit anéantie. A Palm Beach, on parla de malédiction aux proportions quasiment bibliques. "Ce que Hitler n'a pas achevé, il l'a fait !", déclare, à Mark Seal, la doyenne de la communauté juive. En révélant au monde l'incroyable supercherie, Madoff, sorcier de Wall Street, avait attenté au rêve américain.
L'HOMME QUI VALAIT CINQUANTE MILLIARDS
de Mark Seal. Allia, 174 p., 3 €
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