Même dans ses rêves les plus fous, le réalisateur israélien Leon Prudovsky n'aurait sans doute pas parié sur un tel effet de publicité pour son premier long-métrage, A 5 heures de Paris, qui vient d'être boycotté en France, pour des raisons liées à la politique israélienne, par le réseau de salles Utopia. On a, à juste raison, noté le paradoxe de cette décision : l'objet du délit est considéré comme tel non pas en raison de sa signification artistique et politique, mais en fonction de sa seule nationalité et de la coïncidence de sa date de sortie avec les événements consécutifs à l'arraisonnement sanglant d'un convoi humanitaire à destination de Gaza.
A 5 heures de Paris, qui ne se situe certes pas parmi les oeuvres les plus critiques de la société ou de la politique israéliennes, est de fait une petite comédie romantique bien troussée, dont la sensibilité est faite pour l'essentiel de mélancolie, d'humour et de douceur. C'est l'histoire de deux âmes en peine malmenées par la vie, dont la rencontre hasardeuse, dans la banlieue de Tel-Aviv, constitue l'ultime promesse d'un possible réconfort.
Yigal, la quarantaine chauve et déclinante, est chauffeur de taxi, divorcé de longue date, et n'a jamais compris la raison pour laquelle sa femme l'a quitté, pour s'installer par surcroît avec un imbécile psychorigide. Sa petite vengeance personnelle consiste à prendre secrètement le parti de son adolescent de fils contre l'éducation corsetée du beau-père.
Il était donc plus que temps que Yigal tombe sur Lina. Cette belle Russe un peu fanée, qui rêvait dans son pays natal de devenir compositrice, mais doit à présent se contenter de diriger la chorale où le fils de Yigal refuse obstinément de chanter. Installée depuis peu en Israël avec son mari, un amour de jeunesse qui s'est inexorablement éteint, elle attend un visa pour le Canada, où le couple aspire à une vie plus conforme à son ambition. Mais la rencontre de Lina et de Yigal remet tout en question, l'incertitude de la femme servant au film de principal et efficace ressort dramatique. Etablie sur une solitude et un désarroi secrètement partagés, leur relation se nourrit aussi d'un amour commun pour la variété francophone des années soixante-dix, les tubes de Joe Dassin, d'Alain Barrière ou d'Adamo, conférant à leur insensible rapprochement une aimable désuétude.
L'auteur, né en 1978 à Saint-Pétersbourg, installé en Israël à l'âge de 13 ans, est un féru de culture et de cinéma français depuis toujours. L'annonce du boycott de son film par les salles Utopia l'a un peu cueilli à froid : "Je trouve stupide de faire payer aux artistes des prises de position liées à des considérations politiques. J'ai du coup beaucoup lu la presse française, et les réactions plutôt défavorables à cette décision m'ont vraiment rassuré." Doit-on mettre sur le compte de cette polémique son refus d'aller plus loin en la matière ? Leon Prudovsky se refuse en tout cas à tout commentaire sur le conflit israélo-palestinien ou sur la politique actuelle d'un Etat dont il est pourtant le citoyen. "L'art doit rester un domaine préservé, déclare-t-il, car la question politique dans notre région est trop complexe pour qu'on s'en empare comme cela." Cette prudence, ou cette naïveté, est aux antipodes de l'engagement artistique et de la conscience morale manifestés par le cinéma d'auteur israélien contemporain. Elle relance ainsi un débat qui, s'il fut mal engagé par l'affaire du "boycott", n'en mérite pas moins d'être posé : au nom de quoi l'art, au même titre que toute autre activité humaine, pourrait-il se soustraire à la question politique ?
Film israélien de Leon Prudovsky avec Dror Keren, Elena Yaralova, Vladimir Freedman. (1 h 30.)
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