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Surexploité par la Jordanie, Israël et la Syrie, le Jourdain devient un filet d'eau saumâtre

Le fleuve est si pollué que les pèlerins n'osent plus s'y faire baptiser. Seule une nouvelle politique hydrique régionale pourrait le sauver.

Par  et Laurent Zecchini

Publié le 23 juillet 2010 à 15h33, modifié le 23 juillet 2010 à 15h34

Temps de Lecture 4 min.

Sous le pont Allenby, à la frontière israélo-jordanienne, ce n'est plus qu'un ruisseau aux eaux troubles et presque stagnantes, de moins de trois mètres de large. Quelques kilomètres plus au sud, c'est le Qasr el-Yahoub, site présumé du baptême de Jésus par saint Jean-Baptiste, où se rendent chaque année des milliers de pèlerins. A leurs risques et périls : l'association Les Amis de la terre - Proche-Orient a lancé un appel, mercredi 21 juillet, pour demander l'arrêt de ces baptêmes rituels. Pour cause de grave pollution.

Si rien n'est fait, à la fin de 2011, il ne restera du Jourdain qu'un filet d'eau saumâtre. Fleuve biblique dont le nom est associé à celui de Moïse et de Jésus, le Jourdain se meurt, apparemment dans l'indifférence générale, en particulier celle des trois pays - Israël, Jordanie, Syrie - qui l'ont surexploité et pollué, sans souci de l'avenir, c'est-à-dire des risques hydriques, écologiques et stratégiques qu'ils prenaient pour eux-mêmes.

Les Amis de la terre - Proche-Orient ont publié un rapport en mai, avec des recommandations drastiques, trop sans doute pour qu'elles soient suivies d'effets rapides. En mars, à Amman, le ministre jordanien de l'eau et de l'irrigation, Mohammad Najjar, assurait que le partage des eaux du Jourdain, prévu par l'accord de paix israélo-jordanien de 1994, était respecté, le royaume hachémite recevant de l'Etat juif son quota annuel de 20 millions de m3, Israël en conservant autant.

Ces volumes sont rarement atteints. Du mont Hermon (Syrie-Liban), où il prend sa source, jusqu'à la mer Morte, le fleuve s'étend sur 360 kilomètres, mais ce cours est réduit à 217 kilomètres du lac de Tibériade à la mer Morte. C'est du sud du lac, grâce au barrage de Degania, qu'Israël peut en réguler le flux, qui arrose la vallée du Jourdain. Dans les années 1930, avant la mise en place de cet ouvrage et celle des barrages construits par la Syrie et la Jordanie sur le Yarmouk, principal affluent du Jourdain, le débit du fleuve atteignait 1,3 milliard de m3 par an. Il ne dépasse pas 20 à 30 millions de m3 aujourd'hui.

La raison de cet assèchement historique est simple : 98 % du débit du fleuve est accaparé par Israël, la Syrie et la Jordanie, pour leurs besoins domestiques et agricoles, avec des parts de responsabilité inégales : selon le rapport des Amis de la terre, 46,4 % pour Israël, 25,2 % pour la Syrie, 23,2 % pour la Jordanie, et, parent pauvre, 5 % pour les territoires palestiniens, dont la population n'a pas d'accès direct au fleuve.

Cette pénurie hydrique a des conséquences multiples. Ecologiques d'abord, puisque le manque d'eau a bouleversé l'écosystème : la moitié de la biodiversité a disparu avec le fort ralentissement du débit du fleuve et l'augmentation de sa salinité. La présence de loutres n'est qu'un lointain souvenir, et une partie des millions d'oiseaux qui empruntent chaque année le couloir migrateur de la vallée du Jourdain, a déserté la région.

Conséquences environnementales ensuite, car la pollution organique est présente dans des proportions élevées. Quelque 350 000 riverains se débarrassent de leurs eaux usées dans le fleuve. A terme, le problème de la pollution, particulièrement grave dans les eaux du Jourdain inférieur, pourrait être combattu grâce aux nouvelles usines d'épuration des eaux construites par Israël et la Jordanie. Mais le vrai défi est celui de l'assèchement du fleuve, qui contribue à celui de la mer Morte - dont le niveau baisse de 1 mètre par an - et à celui du lac de Tibériade.

L'étude des Amis de la terre souligne que le Jourdain inférieur a un besoin urgent - et c'est un minimum - de 400 millions de m3 supplémentaires par an afin que l'écosystème du fleuve retrouve un certain équilibre.

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Reste à trouver comment alimenter le Jourdain. La répartition de l'effort entre les trois pays qui ont multiplié les barrages pour en accaparer le débit est claire : Israël devra contribuer pour 220 millions de m3, la Syrie pour 100 millions et la Jordanie pour 90 millions. De tels chiffres sont théoriques : si Israël devait "rendre" 220 millions de m3 au Jourdain, cela reviendrait à lui octroyer un volume vingt fois supérieur à celui qu'il consacre chaque année pour régénérer l'ensemble de ses cours d'eau ! La solution est connue : sauver le Jourdain signifie déverser de grandes quantités d'eau douce dans son cours inférieur. Le rapport des Amis de la terre assure que, avec une meilleure gestion de l'eau, Israël pourrait économiser quelque 517 millions de m3 d'eau douce chaque année, et la Jordanie 305 millions de m3.

Une approche régionale et une forte volonté politique sont donc indispensables. L'alternative, c'est la poursuite de politiques nationales de pompage de l'eau, qui ressemblent à une fuite en avant. Qu'ils le veuillent ou non, Israël, la Syrie, la Jordanie et la Palestine ont un destin commun, dans le sauvetage d'un fleuve qui est une richesse régionale.

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