C'est une histoire d'amours. Amour d'une femme, amour d'un métier, amour d'un aîné, amour du théâtre, amour de la vie. Peut-on embrasser toutes ces passions à la fois ? Peut-être, à condition de courir vite. A condition de bien gérer son temps. A condition qu'aucun des objets du désir n'empiète sur le territoire d'un autre.
Mordu de mode, Arthur fait ses apprentissages chez Albert, un vieux tailleur juif, rescapé des camps et des maquis, qui a trouvé en lui une sorte de fils et qui, à l'heure de se retirer des affaires (du monde tout court aussi, car il est malade), compte lui confier son atelier.
Arthur est un jeune homme pressé, en compétition permanente avec la montre, en danger perpétuel d'être en retard d'une passion. Il fausse brutalement compagnie à sa machine à coudre pour arriver essoufflé au Théâtre de l'Odéon où se joue une pièce de Kleist qui préfigure son destin (les rêves d'un prince, la jalousie d'une princesse). A la sortie, il rencontre l'une des comédiennes, Marie-Julie, qui lui récite du Tchékhov. Coup de foudre. Le drame (car c'en est un) est là !
Comme dans ce vieux burlesque où Hardy demande à Laurel ce qu'il préfère : son pote Hardy ou la tarte aux pommes. Laurel regarde Hardy, puis la tarte aux pommes, encore Hardy, de nouveau la tarte aux pommes. Et se met à pleurer.
Dans Petit tailleur, le dilemme d'Arthur résulte de l'intransigeance de Marie-Julie, petite garce qui le prévient d'emblée que des garçons, elle en a fait souffrir des milliers. Cette marionnettiste des sentiments le met en demeure de choisir entre elle et son mentor. Héritage spirituel ou extase charnelle ? Chantage qu'Arthur relève comme une reine des pommes. Oui, Arthur le romantique a une sensibilité plutôt féminine, et Marie-Julie se comporte en séducteur volage.
Qu'est-ce qui convainc dans ce moyen métrage de Louis Garrel, l'acteur ? C'est un film qui va vite, comme un sprint éperdu vers une ligne d'arrivée que le héros est à deux doigts de rater. Un conte moral où l'on décèle chez l'auteur un potentiel de cinéaste. Ses influences ou références sont affichées, revendiquées.
Tourné en noir et blanc, comme nombre de films de Philippe Garrel dont l'ombre plane, Petit tailleur est habité par un courant d'air ultra Nouvelle Vague assez revigorant. Léa Seydoux n'est pas filmée sous toutes les coutures mais à la manière dont Godard filma Karina ou Bardot. Le nez, la bouche, allongée sur le ventre. "Et mes jambes, tu veux les imaginer ?" demande-t-elle. "Oui, j'veux bien".
Arthur est un bon petit soldat, Garrel écrit des dialogues et des apartés qui nous replongent à l'époque d'A bout de souffle ou de Bande à part. Il s'offre des pirouettes que n'aurait pas désavouées l'auteur d'Une femme est une femme : "Nous ne vous montrerons pas d'extrait de la pièce qu'il est allé voir parce que le théâtre, soit on y va, soit on n'y va pas" commente en off la voix du narrateur.
Les personnages ont des pensées intérieures. La fille confesse que ce qu'elle adore par-dessus tout, c'est d'être en scène, et le prouve en se conduisant dans la vie comme une comédienne. "Pourquoi me dire cruelle ? Pourquoi se croire trahi ?". Peut-être parce qu'en donnant un baiser fou à Arthur, elle lui entoure le cou avec un ruban de couturière, geste d'étrangleuse.
LA BANDE-ANNONCE (avec Preview Networks)
Film français de Louis Garrel avec Arthur Igual, Léa Seydoux, Grand Albert, Lolita Chammah. (43 minutes.)
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