Faut-il sauver le soldat Moubarak? A Jérusalem, les faucons proches du Premier ministre Netanyahou accusent Barack Obama de se rendre coupable, en lâchant le maître du Caire, au mieux de naïveté, au pire de trahison. Aux Etats-Unis, ce point divise la communauté juive et place certains de ses membres éminents en porte à faux par rapport à l'Etat d'Israël.

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Le débat est vif. Dans le camp des intellectuels néoconservateurs (les "neocons"), les critiques ont fusé. Membre du Conseil de sécurité nationale sous George W. Bush, Elliott Abrams s'est dit sidéré d'entendre les Israéliens "pleurer le départ de Moubarak" sans "prendre conscience que la crise actuelle a été créée par Moubarak lui-même". Directeur exécutif du groupe de pression Emergency Committee for Israel (Comité Urgence pour Israël), Noah Pollak a été plus incisif encore : "Les neocons croient en l'universalité de la démocratie libérale, pas les Israéliens."

Face à ces intellectuels farouches défenseurs de l'Etat d'Israël s'il en est, parmi lesquels on compte aussi Bill Kristol (à la tête de la revue The Weekly Standard) ou l'universitaire Robert Kagan, d'autres juifs américains volent à la rescousse de Moubarak: "Obama doit montrer de la loyauté envers ce régime avec lequel nous avons eu de bonnes relations depuis trente ans", assure la Zionist Organization of America. "El Baradei [NDLR : figure de l'opposition égyptienne] est un laquais de l'Iran", a dénoncé, de son côté, Malcolm Hoenlein, vice-président de la Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations.

Depuis 2006, un débat régulièrement relancé

Cette polémique s'inscrit au moment où la question des liens avec Israël agite la communauté comme jamais auparavant. En 2006, dans un essai qui fait sensation, deux universitaires, John Mearsheimer et Stephen Walt, dénoncent l'influence du lobby juif américain sur le Congrès et la Maison-Blanche. Son action, accusent-ils, revient à "augmenter la menace terroriste", empêcher "un débat salutaire", mettre en danger les intérêts nationaux des Etats-Unis et in fine d'Israël lui-même. Le texte déclenche un débat houleux au sein de la diaspora outre-Atlantique: peut-on être un "bon" juif et critiquer les choix sécuritaires et politiques d'Israël?

La poursuite de la colonisation dans les territoires occupés, les camouflets infligés à l'administration Obama, la brutalité de l'assaut lancé contre une flotille "humanitaire" au large de Gaza, en mai 2010, l'intercession, en janvier 2011, de Netanyahou en faveur de la libération de Jonathan Pollard, cet Américain condamné, en 1987, à la prison à vie pour espionnage au bénéfice d'Israël: à chaque épisode, la question est relancée. L'été dernier, à l'occasion d'un numéro spécial de la revue "neocon" Commentary sur "Obama, Israël et les juifs américains", l'essayiste Dennis Prager tire une conclusion qui fait scandale: "La plupart des juifs américains n'ont plus la même passion pour Israël qu'il y a une génération. Beaucoup sont devenus indifférents parce qu'être juif ne revêt plus de signification particulière à leurs yeux. Dans leurs valeurs et leurs engagements, ils sont de gauche avant que d'être juifs." Au même moment, à Jérusalem, le chef du Mossad (services secrets extérieurs), Meir Dagan, met en garde: "Israël passe graduellement d'atout à fardeau pour les Etats-Unis."

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