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Mohamed Merah, un membre actif de la mouvance djihadiste internationale

De nombreux éléments mettent en doute la thèse de la dérive solitaire d'un salafiste.

Par Yves Bordenave et Jacques Follorou

Publié le 22 mars 2012 à 11h30, modifié le 22 mars 2012 à 15h56

Temps de Lecture 5 min.

Vidéo diffusée sur France 2, seules images connues de Mohamed Merah.

La justice et la police françaises sont formelles : le parcours de Mohamed Merah, principal suspect des attentats perpétrés contre des militaires et l'école juive de Toulouse, était le fruit d'une dérive solitaire. Son "profil d'autoradicalisation salafiste atypique" en faisait un individu indépendant de toute "organisation structurée connue", selon une déclaration de François Molins, le procureur de Paris, lors d'une conférence de presse, à Toulouse, mercredi 21 mars.

Pourtant, de nombreux éléments, non révélés à ce jour, permettent de questionner la véritable dimension de ce tueur présumé et de s'interroger sur les moyens dont il a pu bénéficier lors d'un grand nombre de voyages effectués à l'étranger.

Le 22 novembre 2010, lors d'un séjour à Kandahar, dans le sud de l'Afghanistan, région à forte activité insurrectionnelle, Mohamed Merah avait attiré l'attention de la police afghane qui l'interpellait. A son hôtel, les policiers avaient fouillé sa chambre avant de le remettre aux forces de l'OTAN qui ne confirmaient pas, mercredi au Monde, l'avoir remis ensuite dans un avion pour la France.

ISRAËL, PUIS SYRIE, IRAK, JORDANIE

En revanche, un officier supérieur américain, en poste à Kandahar, a assuré au Monde, mercredi, que sur le passeport de l'intéressé figurait un certain nombre de tampons révélant ses derniers déplacements. Le plus ancien mentionnait sa présence en Israël, puis en Syrie, en Irak et en Jordanie. Avant d'être arrêté, il se serait rendu au consulat d'Inde à Kandahar en vue d'obtenir un visa pour se rendre dans ce pays.

Aucune précision n'a pu être obtenue sur l'objet de son voyage en Israël mais la même source évoque, au regard des réponses fournies lors de son audition à Kandahar, que Mohamed Merah "aurait pu ou tenté" de se rendre dans les territoires palestiniens. Des repérages pour commettre d'éventuelles attaques n'ont pas été non plus exclus.

Son voyage en Irak aurait été facilité par son frère Abdelkader connu des services de police français pour avoir participé à l'organisation d'une filière islamiste basée dans la région toulousaine en direction de ce pays. Ce frère et sa sœur, considérés comme les "religieux de la famille Merah", selon un policier de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), auraient séjourné au Caire dans une école coranique où la proximité avec les réseaux salafistes régionaux ont permis de mettre sur pied cette filière.

Un autre élément troublant sur les déplacements de Mohamed Merah reste à éclaircir : sa présence en Iran "à deux reprises" d'après une source militaire française en Afghanistan. Interrogée par Le Monde, mercredi, la DCRI, chargée du contre-espionnage et de la lutte antiterroriste, a démenti ce séjour.

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On en sait également davantage sur son passage dans les zones tribales pakistanaises en 2011. Il a séjourné dans les deux agences tribales du nord et sud Waziristan, à la frontière avec l'Afghanistan, zone escarpée, véritable carrefour de l'insurrection talibane et djihadiste dans la région.

> Lire aussi "Le tueur présumé aurait fait la guerre avec les talibans"

Il a été pris en charge par le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO), qui a pour tâche, depuis la chute des talibans en 2001, d'encadrer les "étrangers" qui viennent combattre "les infidèles" en Afghanistan ou les forces de sécurité pakistanaises qui tentent, périodiquement, de les déloger. Le MIO, qui intègre aussi les combattants déclarés d'Al-Qaida, opère sous l'autorité du Tehrik-e-Taliban Pakistan (Mouvement des talibans du Pakistan, TTP).

FORMÉ PAR LES RÉSEAUX DJIHADISTES

Si le procureur de Paris admet que Mohamed Merah a été formé par les réseaux djihadistes lors de ce séjour, il a minimisé son activité en affirmant qu'il avait souffert d'une hépatite A, le contraignant à rentrer en France. Selon nos informations, la vie n'a pas été de tout repos pour Mohamed Merah dans les zones tribales. "S'il a bien reçu un entraînement militaire et s'il a combattu sur le sol afghan, relate un membre des services secrets français, il a été plutôt maltraité par ses camarades djihadistes."

Les éléments détenus par les services spécialisés montrent donc des liens entre le tueur présumé de Toulouse, le MIO et le TTP qui lui ont permis d'accéder à cette zone dangereuse, l'ont formé et encadré. Ces connexions avec des structures terroristes reconnues remettent en cause le statut de "personnage solitaire" de Mohamed Merah. Il est par ailleurs surprenant qu'il ait échappé au contrôle de la CIA ou de son homologue française, la DGSE, qui prêtent une attention toute particulière aux combattants djihadistes étrangers venus dans la région et qui constituent une menace terroriste majeure pour leur pays d'origine.

Interrogé par Le Monde, mercredi, l'un des hauts responsables des services de renseignement militaire pakistanais (ISI) a indiqué que "le nom de Mohamed Merah n'existe pas dans les fichiers de [notre] organisation et nous n'avons pas eu connaissance de sa venue dans notre pays". Pour atténuer son profil de djihadiste sans attache et de personne repliée sur elle-même telle qu'elle est présentée par les autorités françaises, un certain nombre de faits attestent, enfin, l'existence de contacts réguliers voire familiaux avec la mouvance islamiste de la région toulousaine.

Les services de police français ont ainsi mis en évidence, au moins à partir de 2008, des liens forts entre les frères Merah et un groupe d'apprentis-djihadistes issu de l'Ariège et de la ville de Toulouse. Les membres de ce groupe ont été interpellés, le 15 février 2007, puis condamnés, pour la plupart, en juin 2009, pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste".

ABDELKADER, ORGANISATEUR DES VOYAGES

Sous la houlette d'un chef religieux autoproclamé, né en Syrie et vivant au cœur de l'Ariège, des jeunes partaient en Syrie avant de tenter le passage en Irak. C'est à cette époque que le nom d'Abdelkader Merah était apparu aux enquêteurs comme organisateur des voyages.

En 2008, Mohamed Merah avait obtenu un permis pour rendre visite en prison à Sabri Essid, ex-grutier, l'un des principaux protagonistes de ce groupe. Les services de police notent, à cette époque, qu'il lui apportait de l'argent. Sabri Essid a été arrêté, les armes à la main, à la frontière entre la Syrie et l'Irak.

Plus tard, les familles Essid et Merah se sont liées lors du mariage entre la mère des frères Merah et le père de Sabir Essid. Les policiers toulousains ont évoqué le rôle joué par Mohamed dans cette union.

Enfin, des questions subsistaient sur la capacité de Mohamed Merah à financer, seul, ses achats d'armes, les locations de logements et de véhicules au regard de ses faibles revenus estimés, par le procureur de Paris, "au niveau du revenu de solidarité active (RSA)". La DCRI considère qu'ils provenaient du seul fruit de ses activités relevant du droit commun.

Des investigations complémentaires semblent encore nécessaires pour permettre d'éclairer les nombreuses zones d'ombre qui pèsent encore sur le parcours du tueur de Toulouse et les aides sur lesquelles il a pu s'appuyer pour mener ses activités djihadistes.

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