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Merah : l'IGPN révèle les carences du renseignement

Mohamed Merah était suivi par les services depuis 2006. © Handout . / Reuters/Reuters

La police des polices dévoile, à travers les ratés de ce dossier, des failles béantes.

Clemenceau, dont se réclame Manuel Valls, aurait-il rendu public un document aussi éclairant sur les failles du renseignement en France? Le rapport de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur les ratés de l'affaire Merah dépasse, en tout cas, le simple cadre de cet épisode douloureux pour le système de sécurité français. Il révèle suffisamment de faiblesses pour justifier une réforme profonde des méthodes et de l'organisation des services. Voici le diagnostic des «bœuf-carottes» et les remèdes qu'ils préconisent.

«Professionnaliser» la surveillance

D'abord sur la gestion de l'affaire elle-même. En attendant que les magistrats se prononcent sur ce point, la police des polices parle déjà de «défaillances objectives». Suivi par les services «depuis 2006», Merah, pourtant «incarcéré entre décembre 2007 et septembre 2009», faisait l'objet d'une fiche de mise en attention (une fiche «s» pour signalement) qui été désactivée de façon «inopportune», se désolent poliment les rédacteurs du rapport, Guy Desprats et Jérôme Léonnet. Il faudra attendre janvier 2011, après l'arrestation de Merah en Afghanistan un mois plus tôt, pour qu'une enquête soit réclamée.

L'entretien d'évaluation pratiqué ensuite par un agent de la DCRI de Toulouse est indigent. Au point que l'IGPN préconise de «professionnaliser» la chose et imagine un possible recours aux «détecteurs de mensonges». «De nombreux services étrangers l'utilisent», se justifient les rapporteurs. Ils se donnent également beaucoup de mal pour laisser entendre que Merah n'était pas un indicateur des services qui s'est retourné contre ceux qui auraient pu tenter de le manipuler…

«Cribler les données de réservation des vols»

Plus inquiétant encore concernant la fiche de signalement de Merah: «Bien que réactivée en janvier 2011», personne «ne signale (son départ) lorsqu'il embarque de Roissy à destination de Lahore, via Oman, le 19 août 2011», révèle l'IGPN. En effet, les passages au fichier des personnes recherchées «ne sont systématiques que pour 31 destinations considérées comme sensibles, dont le Pakistan». Mais pas Oman. On peut ainsi tromper la vigilance des services par une simple escale! Pire: l'IGPN révèle que le «criblage des données» passager n'est pas encore «totalement effectif» pour les 31 destinations listées! Le ciel serait-il une passoire?

À lire le rapport, les États-Unis et la Grande-Bretagne font des vérifications beaucoup plus larges, dont la France devrait s'inspirer, avec, écrivent-ils, «la mise en place d'une plate-forme permettant de cribler les données de réservation des vols», même les «vols intracommunautaires». Il s'agit de savoir qui va monter dans l'avion avant qu'il ne décolle, alors qu'en France, quand les services l'apprennent, s'ils l'apprennent, le suspect est souvent déjà monté à bord…

Créer un outil de «détection dans le domaine financier»

Autre carence pointée: «Comme l'intéressé l'a clamé auprès des négociateurs lors du siège, c'est lorsqu'il était incarcéré que (Merah) s'est réislamisé. Cet élément n'était pas connu du renseignement intérieur avant l'enquête du premier semestre 2011.» Le «cloisonnement» des administrations est dénoncé dans ce rapport parfois au vitriol. On y apprend ainsi qu'«il n'existe aucun outil de détection préventive dans le domaine financier», parce que le Renseignement n'est pas autorisé à puiser dans les informations bancaires en dehors du cadre d'une enquête judiciaire. Or, dans l'affaire Merah, nul n'a pu vérifier en amont comment il louait son appartement, alors qu'il ne disposait que de faibles revenus.

Les rédacteurs préconisent donc la création d'une plate-forme servant d'intermédiaire avec les banques pour se faire communiquer, au cas par cas, des informations utiles. Comme cela existe pour la téléphonie avec les opérateurs privés.

«Envisager des synergies» entre gendarmerie et police

Et l'assaut contre Merah? Lui aussi est passé au crible. «Les choix tactiques opérés par le Raid paraissent cohérents», estiment les rapporteurs. Qui recommandent tout de même plus d'«exercices communs» entre le Raid de la police et le GIGN des gendarmes. Histoire «d'envisager des synergies» à terme, «voire des pistes de mutualisation plus importantes entre ces services». «Et pourquoi pas les fusionner tant qu'on y est?», réagit, de façon épidermique, un cadre de la police nationale.

C'est d'ailleurs une constante dans ce rapport. On sent que, profitant de l'affaire Merah, la gendarmerie veut intégrer davantage le monde du Renseignement. Et elle a trouvé à l'IGPN deux avocats qui proposent dans leur rapport «une participation accrue de la gendarmerie nationale à la mission d'information générale». La réforme de Valls est balisée.

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