
A l'issue des élections législatives du 22 janvier en Israël, Benyamin Nétanyahou, bien qu'affaibli, reste le mieux placé pour former le prochain gouvernement. Selon les chiffres de la commission centrale électorale, qui portent sur 99,5 % des résultats, la coalition de droite et des religieux est à égalité avec le bloc du centre et de gauche. La liste commune formée par le Likoud de Benyamin Nétanyahou et le parti Israël Beiteinou de l'ultranationaliste Avigdor Lieberman ne remporte que 31 sièges, contre 42 ensemble dans le Parlement sortant.
Lire sur le blog Guerre et Paix : Elections israéliennes : succès étriqué de Benyamin Nétanyahou
Afin de former un gouvernement de coalition, le premier ministre sortant devra ainsi composer avec le parti centriste Yesh Atid, de Yaïr Lapid, surprise des législatives en Israël, et avec ses "alliés naturels" : la Maison juive (la formation nationaliste religieuse représentant les colons), le parti ultra-orthodoxe séfarade Shass et l'autre parti religieux ashkénaze Judaïsme unifié de la Torah.
Gilles Paris, chef du service international du "Monde", a répondu en direct à vos questions.
Visiteur : Bonjour, pourquoi Nétanyahou n'a-t-il pas récolté plus de voix ? Je croyais l'élection jouée d'avance...
Cette élection s'est effectivement jouée dès la constitution de la coalition entre le Likoud et Israel Beitenou puisque cette dernière était assurée d'arriver en tête. Mais cette alliance a également eu un effet démobilisateur, notamment pour une partie des électeurs flottants du Likoud, ce qui explique la perte d'une dizaine de sièges par rapport à la Knesset élue en 2009.
Assuré d'être le futur premier ministre, M. Nétanyahou a manifestement fait campagne à côté des préoccupations des électeurs qui ont privilégié les questions sociales. A la veille de la présentation d'un budget de rigueur, le premier ministre sortant ne pouvait guère faire d'annonces ou de promesses à ce sujet.
Sandra : Comment analyser le bon score de Yaïr Lapid ?
Créé en avril 2012 par une personnalité très connue de la scène médiatique israélienne, l'ancien journaliste Yaïr Lapid, le parti Yesh Atid ("Il y a un futur") a privilégié les questions touchant à la vie quotidienne des Israéliens et, plus particulièrement, les préoccupations de la classe moyenne qui s'étaient largement identifiées dans le mouvement des indignés, à l'été 2011, mouvement qui protestait contre la chèreté de la vie. La responsable du Parti travailliste, Shelly Yacimovich, a adopté la même stragégie, mais c'est M. Lapid qui a su le mieux séduire les électeurs.
Lire : Yaïr Lapid, la surprise des élections
Roger : Les partis religieux de droite sortent-ils renforcés de ces élections ? Que dire du score de Naftali Bennett ? Ont-ils le pouvoir d'influencer la politique de Nétanyahou si celui-ci compose avec eux sa coalition gouvernementale ?
La 19e Knesset désignée le 22 janvier juxtapose des communautés. Les ultrareligieux en sont une composante et ils obtiennent un résultat à la hauteur de leur potentiel électoral. Mais ils vont devoir composer avec M. Lapid qui a fait campagne sur le thème de l'extension de la conscription aux religieux, tout comme le jeune responsable du parti Maison juive, Naftali Bennett. Ces deux hommes auront autant d'influence que les ultraorthodoxes pour la composition de la prochaine coalition gouvernementale.
Gollum : Un scénario de majorité gouvernementale Travaillistes-Lapid est-il possible, pour ne pas dire crédible ?
Cette hypothèse est la moins probable. La logique institutionnelle oblige le président Shimon Pérès à solliciter en premier M. Nétanyahou. Ce n'est qu'en cas d'échec de ce dernier, pour composer une majorité, que le président pourrait demander à M. Lapid de constituer une équipe. Autant M. Nétanyahou a fait la preuve, par le passé, de sa capacité à marier des contraires au prix parfois de l'immobilisme, autant M. Lapid manque d'expérience en la matière.
L'incapacité des responsables centristes (M. Lapid, Mme Yacimovich et Mme Tzipi Livni) à s'entendre pour forger une liste commune alors que leurs divergences idéologiques étaient pourtant minimes, augure mal d'une coalition des centres qui auraient, en outre, contre elle, le bloc des droites et les ultrareligieux.
Géraldine : Une coalition gouvernementale comprenant les ultrareligieux et le parti de Yaïr Lapid a-t-elle des chances de fonctionner ? Sur quels points pourraient-ils s'entendre et quelles seront les divergences insurmontables ?
Le parti de M. Lapid est concentré autour de sa personnalité. Ce qui lui donne des coudées franches. Mais une partie de son programme, notamment la conscription, heurte les religieux et obligerait à des compromis en cas de coalition élargie.
Tout est possible en Israël. Par le passé, des formations se revendiquant comme laïques ont pu gouverner avec des religieux. Il n'en demeure pas moins que la question de la conscription, qui explique en partie la décision de M. Nétanyahou de précipiter les élections, reste un obstacle majeur.
Anna : Est-ce la fin de la gauche israélienne ?
Le Parti travailliste a choisi de passer sous silence la question palestinienne qui est un élément de structuration politique israélien. Les résultats de ce choix stratégique sont mitigés puisque, comme on l'a vu, l'accent mis sur les questions sociales a plutôt profité à un autre parti. En revanche, la décision travailliste a servi les partis de gauche, principalement le Meretz qui a doublé le nombre de ses députés en faisant campagne sur l'évacuation de la Cisjordanie et la solution des deux Etats.
Richard : Quels sont les critères principaux qui déterminent le vote des Israéliens ? Politique vis-à-vis des Palestiniens, politique internationale en général (Iran, etc. ), politique économique compte tenu de la situation intérieure ?
Un sondage, publié par le Haaretz à la veille du vote, montrait que les questions économiques et sociales étaient de loin privilégiées par les Israéliens, devant la question palestinienne et surtout la menace iranienne, un thème utilisé par M. Nétanyahou.
Le total des sièges obtenus par les deux partis qui se sont tenus à cette priorité est supérieur à celui de la coalition dirigée par M. Nétanyahou.
Visiteur : Qu'en est-il des partis arabes ? Auront-ils leur mot à dire dans cette Knesset nouvellement réélue ?
Les partis arabes ont obtenu globalement le même nombre de députés que précédemment. Ils restent marginalisés à la Knesset, "interdits" tacitement de toute coalition gouvernementale et exclus des "majorités juives" jugées nécessaires pour toute décision stratégique. La question de la participation de l'électorat arabe-isréalien est devenue un sujet de préoccupation. Les chiffres définitifs montreront si, pour la première fois, cette participation est inférieure à 50 %, signe d'un désintérêt de cet électorat. Désintérêt qui ne pourra qu'affaiblir la représentativité et la légitimité des élus arabes-israéliens.
Michel : Nétanyahou peut-il former une coalition restreinte sans Lapid compte tenu des partis arabes sur lesquels la gauche et le centre ne peuvent s'appuyer.
Une coalition minoritaire est possible à l'exclusion d'aucune autre, mais elle n'assure pas les conditions idéales pour gouverner.
Visiteur : Est-ce que le parti de Lapid n'est pas qu'un feu de paille ?
La proportionnelle intégrale qui a cours en Israël favorise l'émergence de nouveaux partis. Au cours des dix dernières années, on a vu apparaître puis disparaître successivement Shinouï, formation antireligieuse dirigée par le père de Yaïr Lapid, "Tommy" Lapid, le Parti des retraités ou Kadima.
Les difficultés commencent pour M. Lapid : comment durer, passer des compromis tout en conservant l'ambition de renouveau qu'il a voulu incarner.
Mathieu : En ce qui concerne la politique étrangère, la défense de l'Etat d'Israël et la construction dans les colonies, en quoi différent les idées du Yesh Atid (Lapid) de celles du Likoud (Bibi) ?
M. Lapid parle à la fois de la nécessité d'un Etat palestinien et de ses interrogations sur la capacité à y parvenir. Au cours de sa campagne, il a pesté contre les sommes dépensées dans les colonies, mais c'est dans l'une d'elles, Ariel, qu'il a débuté sa campagne. Il est aussi très réservé sur un partage de Jérusalem. Sa ligne est plus centriste que celle du Likoud, majoritairement hostile à cet Etat palestinien. Mais il est sans doute plus frileux que les travaillistes, si ces derniers se risquaient à aborder le sujet.
Ph : Ayant une position politique interne plus fragile, Nétanyahou va t-il devoir être plus prudent concernant sa politique propre à la question palestinienne, et notamment plus à l'écoute des recommandations diplomatiques de ses soutiens occidentaux ?
C'est sans doute le vœu des Européens ou des Américains, même si on peut douter de la volonté du premier ministre sortant de faire la moindre proposition concrète sur le sujet.
La dispersion des voix, entre le centre et la droite, apparaît pour l'instant comme une garantie d'immobilisme sur cette question qui a été sciemment passée sous silence pendant la campagne par la majorité des partis.
David : Nétanyahou peut-il rester dans la continuité de sa politique ou doit-il la ré-axer vis-à-vis des avertissements directs et indirects des Etats-Unis ? A quelles évolutions peut-on s'attendre dans les relations Israël-Etats-Unis ?
Nous avons une certitude et une interrogation concernant les Etats-Unis. La certitude est que les relations entre M. Nétanyahou et M. Obama sont médiocres mais pourtant indispensables.
L'interrogation renvoie à la volonté ou non de l'administration Obama de s'engager sur un dossier qui lui a valu de retentissants déboires en 2010 et en 2011.
Lire aussi : Une relation indispensable mais difficile entre MM. Nétanyahou et Obama
Mélanie : Dans quelle mesure la "menace nucléaire" iranienne était-elle un enjeu de campagne, et quelle politique Nétanyahou compte-t-il adopter vis-à-vis de l'Iran ?
Pendant la campagne, Yaïr Lapid, la surprise des élections, avait détourné la séquence au cours de laquelle M. Nétanyahou avait spectaculairement tracé une ligne rouge sur un croquis censé représenter une bombe iranienne, à la tribune des Nations unies. M. Lapid avait parlé d'une ligne rouge pour les classes moyennes et c'est manifestement lui qui a été entendu. Affaibli, M. Nétanyahou ne pourra sans doute pas autant peser sur l'administration américaine qu'au cours du mandat précédent.
Visiteur : Les partis religieux juifs sont-ils pro-guerre entre l'Iran et Israel ? Comment risque de manœuvrer Netanyaou (place des postes ) ?
La fonction principale des partis ultraorthodoxes est de garantir des subsides à leur électorat. Même si leur expression politique s'est par ailleurs radicalisée ces dernières années. Pour ce qui est des postes, il est bien trop tôt pour pouvoir répondre.
Lire : Le demi-succès de Naftali Bennett
Chat modéré par Hélène Sallon.
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